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la liberté; et Pitt voulait le faire rétrograder vers la barbarie et vers le despostisme; aussi, l'ensemble des événements a trahi jusqu'ici ses rêves ambitieux ; il a vu briser tour à tour, par la force populaire, les divers instruments dont il s'est servi: il a vu disparaître Necker, d'Orléans, Lafayette, Lameth, Dumouriez, Custine, Brissot et tous les pygmées de la Gironde. Le peuple français s'est dégagé, jusqu'ici, des fils de ses intrigues, comme Hercule d'une toile d'araignée.

fut vaincu par son siècle : le siècle s'élançait vers | dont il a mille fois violé la constitution, qu'envers la France. Le projet même de placer un prince anglais sur le trône des Bourbons, était un attentat contre la liberté de son pays. Un roi d'Angleterre, dont la famille régnerait en France et en Hanovre, tiendrait dans ses mains tous les moyens de l'asservir. Comment, chez une nation qui a craint de remettre une armée entre les mains de son roi; chez qui on a si souvent agité la question, si le peuple anglais devait souffrir qu'il réunît la puissance et le titre de duc de Hanovre comment, chez un tel peuple, peut-on tolérer un ministre qui ruine sa patrie, pour donner des couronnes à son maître? Au reste, je n'ai plus besoin d'observer que le cours des événements imprévus de notre révolution a dû nécessairement le forcer de faire, selon les circonstances, beaucoup d'amendements à ses premiers plans; multiplier ses embarras, et par conséquent ses noirceurs. Il ne serait plus même étonnant que celui qui voulut donner un roi à la France, fût réduit aujourd'hui à épuiser ses dernières ressources pour conserver le sien, ou même pour sauver sa tête.

Voyez, comme chaque crise de notre révolution l'entraîne toujours au delà du point où il voulait s'arrêter : voyez avec quels pénibles efforts il cherche à faire reculer la raison publique, et à arrêter la marche de la révolution; voyez, ensuite, quels crimes prodigués pour l'étouffer! A la fin de 1792, il croyait préparer insensiblement la chute du roi Capet, en conservant le trône pour le fils de son maître. Mais le 10 août a lui; et la république est fondée. C'est en vain que, pour l'étouffer dans son berceau, la faction girondine et tous les lâches émissaires des tyrans étrangers appellent de toutes parts les serpents de la calomnie, le démon de la guerre civile, l'hydre du fédéralisme, le monstre de l'aristocratie. Le 31 mai, le peuple se lève, et les traîtres ont vécu. La convention se montre aussi juste que le peuple; aussi grande que sa mission. Un nouveau pacte social est proclamé, cimenté par le vœu unanime des Français. Le génie de la liberté plane, d'une aile rapide, sur la surface de cet empire, en rapproche toutes les parties prêtes à se dissoudre, et le raffermit sur ses vastes fondements.

Dès l'année 1791, la faction anglaise et tous les ennemis de la liberté s'étaient aperçus qu'il existait en France un parti républicain, qui ne transigerait pas avec la tyrannie. Ce parti était le peuple. Les assassinats partiels tels que ceux du Champ de Mars et de Nancy, leur paraissaient insuffisants pour le détruire; ils résolurent de lui donner la guerre de là, la monstrueuse alliance de l'Autriche et de la Prusse; et, ensuite, la ligue de toutes les puissances armées contre nous. Il serait absurde d'attribuer principalement ce phénomène à l'influence des émigrés, qui fatiguèrent longtemps toutes les cours de leurs clameurs impuis

l'ouvrage de la politique étrangère, soutenue da pouvoir des factieux qui gouvernaient la France.

Mais ce qui prouve à quel point le principal ministre de Georges III manque de génie, en dépit de l'attention dont nous l'avons honoré, c'est le sys-santes, et au crédit de la cour de France: il fut tème entier de son administration. Il a voulu allier deux choses évidemment contradictoires; l'extension sans bornes de la prérogative royale, c'est-àdire, le despotisme, avec l'accroissement de la prospérité commerciale de l'Angleterre; comme si le despotisme n'était pas le fléau du commerce; comme si un peuple qui a eu quelque idée de la liberté, pouvait descendre à la servitude sans perdre l'énergie qui seule peut être la source de ses succès. Pitt n'est pas moins coupable envers l'Angleterre

Pour engager les rois dans cette téméraire entreprise, il ne suffisait pas d'avoir cherché à leur persuader que, hors un petit nombre de républicains, toute la nation haïssait en secret le nouveau régime, et les attendait comme des libérateurs : il ne suffisait pas de leur avoir garanti la trahison de tous ceux qui tenaient les rênes, ou qui commandaient nos armées; pour justifier cette odieuse en

treprise aux yeux de leurs sujets épuisés, il fallait leur épargner jusqu'à l'embarras de nous déclarer la guerre. Quand ils furent prêts, la faction dominante la leur déclara à eux-mêmes. Vous vons rappelez avec quelle astuce profonde elle sut intéresser au succès de ses perfides projets, le courage des Français et l'enthousiasme civique des sociétés populaires. Vous savez avec quelle impudence machiavélique, ceux qui laissaient nos gardes nationales sans armes, nos places fortes sans munitions, nos armées entre les mains des traîtres, nous excitaient à aller planter l'étendard tricolore jusque sur les bornes du monde. Déclamateurs perfides, ils insultaient aux tyrans, pour les servir d'un seul trait de plume, ils renversaient tous les trômes, et ajoutaient à l'Europe, l'empire français: moyen sûr d'assurer le succès des intrigues de nos ennemis, dans le moment où tous les gouvernements venaient de se déclarer contre nous. Les partisans sincères de la république avaient d'autres pensées. Avant de briser les chaînes de l'univers, ils voulaient assurer la liberté de leur pays. Avant de porter la guerre chez les despotes étrangers, ils voulaient la faire au tyran qui les trahissait ; convaincus d'ailleurs qu'un roi était un mauvais guide, pour conduire un peuple à la conquête de la liberté universelle; et que c'est à la puissance de la raison, non à la force des armes, de propager les principes de notre glorieuse révolution.

étrangères. Peuple! tu pourras les distinguer à ces traits.

Voilà les hommes qui, naguère encore, réglaient les relations de la France avec les autres nations. Reprenons le fil de leurs machinations.

Le moment est arrivé, où le gouvernement britannique, après nous avoir suscité tant d'ennemis, avait résolu d'entrer lui-même ouvertement dans la ligue. Mais le vœu national et le parti de l'opposition contrariaient ce projet du ministère. Brissot la fit déclarer : on la déclara en même temps à la Hollande : on la déclara peu de temps après à l'Espagne, parce que nous n'étions nullement préparés à combattre ce nouvel ennemi, que la flotte était prête pour se joindre à la flotte anglaise.

Avec quelle lâche hypocrisie les traîtres faisaient valoir de prétendues insultes à nos envoyés, concertées d'avance entre eux et les puissances étrangères! Avec quelle indécence ils invoquaient la dignité de la nation dont ils se jouaient insolemment!

Les lâches! Ils avaient sauvé le despote prussien et son armée; ils avaient engraissé la Belgique du plus pur sang des Français : ils parlaient naguère de municipaliser l'Europe : et ils repoussaient les malheureux Belges dans les bras de leurs tyrans : ils avaient livré à nos ennemis nos trésors, nos magasins, nos subsistances, nos défenseurs : sûr de leur appui, et fier de tant de crimes, Dumouriez avait osé menacer la liberté jusque dans son sanctuaire....... O patrie! quelle divinité tutélaire a donc pu t'arracher de l'abîme immense creusé pour t'engloutir, dans ces jours de crimes et de calamités, où, ligués avec tes innombrables ennemis, tes

Les amis de la liberté cherchèrent de tout temps les moyens les plus sûrs de la faire triompher. Les agents de nos ennemis ne l'embrassèrent que pour l'assassiner; tour à tour extravagants ou modestes; prêchant la faiblesse et le sommeil, où il fallait de la vigilance et du courage; la témérité et l'exagé-enfants ingrats plongeaient dans ton sein leurs mains ration, où il s'agit de prudence et de circonspection. Ceux qui, à la fin de 1791, voulaient briser tous les sceptres du monde, sont les mêmes qui, au mois d'août, voulaient parer le coup qui fit tomber celui du tyran. Le char de la révolution roule sur un terrain inégal : ils ont voulu l'enrayer dans les chemins faciles, et le précipiter avec violence dans les routes périlleuses; ils cherchent à le briser contre le but.

Tel est le caractère des faux patriotes; telle est la mission des émissaires stipendiés par les cours

TOME 1.

parricides, et semblaient se disputer tes membres épars, pour les livrer tout sanglants aux tyrans féroces conjurés contre toi; dans ces jours affreux, où la vertu était proscrite, la perfidie couronnée, la calomnie triomphante; où tes ports, tes flottes; tes armées, tes forteresses, tes administrateurs, tes municipalités, étaient vendus à tes ennemis! Ce n'était point assez d'avoir armé les tyrans contre nous on voulait nous vouer à la haine des nations, et rendre la révolution hideuse aux yeux de l'univers. Nos journalistes étaient à la solde des cours

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Cependant le peuple français, seul dans l'uni

alliés de la France, qu'étiez-vous devenus? N'étiez-vous que les amis du roi, et non ceux de la nation? Américains, est-ce l'automate couronné, nommé Louis XVI, qui vous aida à secouer le joug de vos oppresseurs, ou bien nos bras et nos armées? Est-ce le patrimoine d'une cour méprisable qui vous alimentait, ou bien les tributs du peuple francais, et les productions de notre sol favorisé des cieux ? Non, citoyens, vos alliés n'ont point abjuré les sentiments qu'ils vous doivent. Mais, s'ils ne sont point détachés de votre cause, s'ils ne sont pas rangés même au nombre de vos ennemis, ce n'est point la faute de la faction qui nous gouvernait.

étrangères, comme nos ministres et une partie de nos législateurs. Le despotisme et la trahison pré-vers, combattait pour la cause commune. Peuples sentaient le peuple français à tous les peuples comme une faction éphémère et méprisable; le berceau de la république, comme le repaire du crime; l'auguste liberté était travestie en une vile prostituée. Pour comble de perfidie, les traîtres cherchaient à pousser le patriotisme même à des démarches inconsidérées, et préparaient eux-mêmes la matière de leurs calomnies. Couverts de tous les crimes, ils en accusaient la vertu qu'ils plongeaient dans les cachots; et chargeaient de leur extravagance les amis de la patrie qui en étaient les vengeurs ou les victimes. Grâces à la coalition de tous les hommes puissants et corrompus, qui remettaient à la fois dans des mains perfides tous les ressorts du gouvernement, toutes les richesses, toutes les trompettes de la renommée, tous les censeurs de l'opinion, la république française ne trouvait plus un seul défenseur dans l'Europe; et la vérité captive ne pouvait trouver une issue pour franchir les li

mites de la France ou les murs de Paris.

Par une fatalité bien bizarre, la république se trouve encore représentée auprès d'eux, par les agents des traîtres qu'elle a punis. Le beau-frère de Brissot est le consul général de la France près les États-Unis. Un autre homme, nommé Genest, envoyé par Lebrun et par Brissot, en qualité d'agent plénipotentiaire, réside aussi à Philadelphie; il a rempli fidèlement leurs vues et leurs instructions. Il a employé les moyens les plus extraordinaires pour irriter le gouvernement américain contre nous il a affecté de lui parler, sans aucun prétexte, avec le ton de la menace, et de lui faire des propositions également contraires aux intérêts des deux nations : il s'est efforcé de rendre nos principes suspects ou redoutables, en les outrant par les applications les plus ridicules. Par un contraste bien remarquable, tandis qu'à Paris, ceux qui l'avaient envoyé persécutaient les sociétés po

Ils se sont attachés particulièrement à mettre en opposition l'opinion de Paris avec celle du reste de la république; et celle de la république entière, avec les préjugés des nations étrangères. Il est deux moyens de tout perdre l'un, de faire des choses mauvaises par leur nature; l'autre de faire du mal; ou, à contretemps, les choses mêmes qui sont bonnes en soi. Ils les ont employés tour à tour. Ils ont surtout manié l'arme du fanatisme, avec un art nouveau. On a cru quelquefois qu'ils voulaient le détruire; ils ne voulaient que l'armer, et repousser par les préjugés religieux, ceux qui étaient attachés à notre révolution par des princi-pulaires, dénonçaient comme anarchistes les jacopes de morale et de bonheur public.

Dumouriez, dans la Belgique, excitait les volontaires nationaux à dépouiller les églises, et à jouer avec les saints d'argent et le traître publiait en même temps des manifestes religieux dignes du pontife de Rome, qui vouaient les Français à l'horreur des Belges et du genre humain. Ainsi, les traîtres de l'intérieur déclamaient ici contre les prêtres, et ils favorisaient la rébellion du Midi et de l'Ouest. Combien de choses le bon esprit du peuple a tournées au profit de la liberté, que les perfides émissaires de la France avaient imaginées pour la perdre!

cobins luttant avec courage contre la tyrannie, Genest se faisait chef du club en Amérique, et ne cessait de faire et provoquer des motions aussi injurieuses qu'inquiétantes pour le gouvernement. C'est ainsi que la même faction, qui en France voulait réduire tous les pauvres à la condition d'ilotes et soumettre le peuple à l'aristocratie des riches, voulait en un instant affranchir et armer les nègres pour détruire nos colonies.

Les mêmes manoeuvres furent employées à la Porte, par Choiseul-Gouffier et son successeur. Qai croirait qu'on a établi des clubs français à Con

stantinople ; que l'on y trouve des assemblées pri- | avec la défense de notre liberté, les sentiments de bienveillance et de fraternité dont le peuple français est animé envers les autres nations, et particulièrement envers celles que leur caractère rend dignes de son alliance.

maires? On sent que cette opération ne pouvait être utile, ni à notre cause, ni à nos principes; mais elle était faite pour inquiéter et pour irriter la cour ottomane. Le Turc, l'ennemi nécessaire de nos ennemis, l'utile et fidèle allié de la France, négligé par le gouvernement français, circonvenu par les intrigues du cabinet britannique, a gardé jusqu'ici une neutralité plus funeste à ses propres intérêts, qu'à ceux de la république française. Il paraît néanmoins qu'il est prêt à se réveiller; mais c'est le cabinet de Saint-James qui dirige le divan: il ne portera point ses forces contre l'Autriche, notre commun ennemi, qu'il lui serait si facile d'affaiblir; mais contre la Russie, dont la puissance intacte peut devenir encore une fois l'écueil des armées ottomanes.

Il est un peuple, uni à notre cause par des liens non moins puissants: un peuple, dont la gloire est d'avoir brisé les fers des mêmes tyrans qui nous font la guerre un peuple, dont l'alliance avec nos rois offre quelque chose de bizarre, mais dont l'union avec la France libre est aussi naturelle qu'imposante: un peuple enfin, que les Français libres peuvent estimer; je veux parler des Suisses. La politique de nos ennemis a jusqu'ici épuisé toutes ses ressources pour les armer contre nous : l'imprudence, l'insouciance, la perfidie, ont concouru à les seconder : quelques violations de territoire, des chicanes inutiles, des injures gratuites insérées dans quelques journaux, et une intrigue très-active, dont les principaux foyers sont Genève, le mont Terrible, et certains comités ténébreux qui se tiennent à Paris, composés de banquiers, d'étrangers et d'intrigants couverts du masque du patriotisme; tout a été mis en usage pour les déterminer à grossir la ligue de nos ennemis. La sagesse helvétique a résisté à toutes les provocations des malveillants, aux caresses perfides de l'Autriche, aux sollicitations des Français réfugiés dans ces contrées, et aux intrigues de toutes les cours confédérées. Les Suisses se sont bornés à présenter amicalement leurs réclamations au gouvernement. Le comité de salut public les a trouvées justes en général; il s'en était occupé d'avance: il a résolu, non-seulement d'en faire cesser les causes, mais de prouver aux cantons suisses, par tous les moyens qui peuvent se concilier

Vonlez-vous connaître d'un seul trait toute l'importance que ceux-ci mettent au succès de ces machinations, et en même temps toute la lâcheté de leurs moyens ? il suffira de vous faire part du bizarre stratagème que les Autrichiens viennent d'employer. Au moment où j'avais terminé ce rapport, le comité de salut public a reçu une note authentique, que l'Autriche avait fait remettre au gouvernement bernois.

Le gouvernement bernois, inquiet, la communiqua à notre ambassadeur en Suisse, en le priant de dissiper toutes les craintes à ce sujet. Croiriezvous que vos ennemis ont encore trouvé le moyen d'enchérir sur un artifice aussi grossier? Eh bien! il faut vous dire qu'au moment où je parle, les gazettes allemandes publient dans toute l'Europe, que le comité de salut public a résolu de faire déclarer la guerre à la Suisse; et que je suis chargé de vous faire un rapport qui tend à ce but.

Afin que vous puissiez apercevoir encore mieux la perfidie autrichienne, je vous dirai qu'il y a plus d'un mois, il avait été fait au comité une proposition qui offrait à la France un avantage infiniment précieux dans les circonstances où nous étions : il ne s'agissait, pour l'obtenir, que de faire une in. vasion dans un petit État enclavé dans notre terri toire, et allié de la Suisse. Mais cette proposition était injuste, et contraire à la foi des traités; nous la rejetâmes avec indignation.

Au reste, les Suisses ont évité les piéges que leur tendaient nos ennemis communs. Quoique notre cause ait des ennemis dans cette contrée, ils ont vu que les griefs dont ils auraient pu avoir à se plaindre, étaient en partie les effets des mouvements orageux, inséparables de la révolution; en partie, ceux d'une malveillance dirigée contre la république et contre les Suisses : ils ont constamment consulté les véritables intérêts de leur patrie, et l'affection naturelle qui attache à la France le peuple des cantons.

Le comité suivra les mêmes principes avec toutes les nations amies ; nous vous proposerons

des mesures fondées sur cette base. Au reste, la | des Bataves que le sujet de sa femme, et par conseule exposition que je viens de faire de vos prin-séquent de la cour de Berlin.

cipes, déconcertera les trames ourdies dans l'ombre depuis longtemps. La garantie est dans les maximes raisonnables qui dirigent notre gouvernement. Tel est l'avantage d'une république puissante la diplomatie est dans sa bonne foi: et, comme un honnête homme peut ouvrir impunément à ses concitoyens son cœur et sa maison, un peuple libre peut dévoiler aux nations toutes les bases de sa politique.

Quel que soit le résultat de ce plan de conduite, il ne peut être que favorable à notre cause: et, s'il arrivait qu'un génie ennemi de l'humanité, poussât le gouvernement de quelque nation neutre dans le parti de nos ennemis communs, il trahirait le peuple qu'il régit, sans servir les tyrans : du moins, il se perdrait. Nous serons plus forts contre lui, de sa propre bassesse et de notre loyauté; car la justice est une grande partie de la puissance.

Mais il importe, dès ce moment, d'embrasser d'une seule vue le tableau de l'Europe : il faut nous donner ici le spectacle du monde politique, qui s'agite autour de nous, et à cause de nous. Dès le moment où on forma le projet d'une ligue contre la France, on songea à intéresser les diverses puissances, par un projet de partage de cette belle contrée. L'existence de ce plan est attestée aujourd'hui, non-seulement par les événements, mais par des pièces authentiques. A l'époque où le comité de salut public fut formé, un plan d'attaque et de démembrement de la France, arrêté par le cabinet britannique, fut communiqué aux membres qui le composaient alors. On y fit peu d'attention dans ce temps-là, parce qu'il paraissait peu vraisemblable, et que la défiance pour ces sortes de confidences est assez naturelle. Les faits, depuis cette époque, l'ont vérifié chaque jour. L'Angleterre ne s'était pas oubliée dans ce partage: elle devait avoir Dunkerque, Toulon, les colonies; sans compter la chance de la couronne pour le duc d'York, à laquelle on ne renonçait pas, mais dont on sacrifiait les portions qui devaient former le lot des autres puissances. Il n'était pas difficile de faire entrer dans la ligue le stathouder de Hollande, qui, comme on sait, est moins le prince

Quant au phénomène politique de l'alliance du roi de Prusse avec le chef de la maison d'Autriche, nous l'avons déjà expliqué. Comme deux brigands qui se battent pour partager les dépouilles d'un voyageur qu'ils ont assassiné, oublient leur querelle pour courir ensemble à une nouvelle proie; ainsi le monarque de Vienne et celui de Berlin suspendirent leurs anciens différends pour tomber sur la France, et pour dévorer la république naissante. Cependant, le concert apparent de ces deux puissances, cache une division réelle.

Mais l'Autriche est ici la dupe de la Prusse, dont le cabinet est actuellement dirigé par la Russie, quoique ce fait ne soit pas connu de tout le monde.

La maison d'Autriche, épuisée par les extravagances de Joseph II et de Léopold; jetée depuis longtemps hors des règles de la politique de CharlesQuint, de Philippe II et des ministres de MarieThérèse; l'Autriche, gouvernée aujourd'hui par les caprices et par l'ignorance d'une jeune cour, expire dans le Hainaut français et dans la Belgique. Si nous ne la secondons nous-mêmes par notre imprudence, ses derniers efforts contre la France peuvent être regardés comme les convulsions de son agonie.

Déjà l'impératrice de Russie et le roi de Prusse viennent de partager la Pologne, sans daigner faire une part à leur compagnon; et lui ont présenté, pour tout dédommagement, les conquêtes qu'il ferait en France avec leur secours; c'est-à-dire, la Lorraine, l'Alsace, et la Flandre française. L'Angleterre encourage sa folie, pour nous ruiner, en la perdant elle-même. Elle cherche à ménager ses forces, en épuisant celles de son allié, et marche à son but particulier, en lui laissant tout le poids de la guerre. D'un autre côté, le Roussillon, la Navarre française et les départements limitrophes de l'Espagne, ont été promis à S. M. Catholique. Il n'y a pas jusqu'au petit roi sarde, que l'on ne berce de l'espoir de devenir un jour le roi du Dauphiné, de la Provence, et des pays voisins de ses États.

Que pouvait-on offrir aux puissances d'Italie, qui ne peuvent survivre à la perte de la France!

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