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monarchique sous une tutelle funeste, avait vu triompher ce dernier par l'énergie de Gustave, et l'appui qu'il avait reçu de la France. Sorti avec honneur de ses luttes contre Catherine, ce prince avait la réputation d'un héros; attaché à Louis par l'amitié et par principes, autant que par les vues d'une saine politique, il était un des alliés les plus précieux de la maison de Bourbon.

Le Danemark, neutre depuis longtemps, étranger à toutes les crises de ses voisins, florissait à l'ombre de la paix, et savait profiter de la guerre: la sagesse de Christian VII, soutenue de l'habileté de son ministre, lui présageait une longue suite de prospérités, dont le système de 1780 était la garantie.

miner sur l'Empire et l'Italie, à restreindre la Prusse dans ses anciennes limites, ou à partager la Turquie européenne comme il avait commencé à démembrer la Pologne. Toute alliance qui lui promettait un accroissement de force et tendait à un de ces buts, lui semblait donc également convenable, et les circonstances devaient décider celle qu'il adopterait d'abord.

L'Angleterre venait de voir sa puissance en Amérique presque anéantie; elle préparait tous les moyens de s'en venger. Le voile qui couvre la conduite de son ministère dans les premières années de la révolution, n'est pas encore soulevé, et il n'entre pas dans mon plan d'en pénétrer le mystère. Mais on a tout lieu de croire que le cabinet de Saint-James ne fut pas étranger aux orages qui jetèrent les fondements de sa grandeur. Cependant par un raffinement d'adresse qui ne lui est que trop familier, il semblait ne prendre aucune part à des événements qu'il avait peut-être provoqués; s'efforçant par des dehors de modération de faire oublier que c'était pour ses intérêts seuls que l'Europe allait être embrasée (1).

La Prusse, gouvernée par l'ombre d'un héros, avait un ministère plus astucieux qu'habile. Car si les vues de Frédéric le guidaient encore sous Hertzberg, il n'hérita pas après lui du génie et du talent qui savent agir suivant les circonstances. Le but de sa politique devait être de ménager la France, de se défier de l'Autriche, d'observer la Russie, enfin de conserver son influence sur le corps germanique : sa conduite fera juger à quel L'Espagne, depuis la conquête du nouveau point il lui fut fidèle. monde, avait en quelque sorte cessé d'être puisL'Autriche semblait attendre un moment favo-sance continentale; toutes les vues de la nation rable pour rétablir la gloire de ses armes, un peu obscurcie dans la guerre de sept ans et dans celle contre les Turcs. Le traité de 1756, qui lui fut si utile sous le règne du grand roi, ne paraissait plus aussi nécessaire depuis sa mort. Ses stipulations étaient néanmoins toutes à l'avantage du cabinet de Vienne, auquel il assurait l'appui de la France, et qu'il mettait à même de ne craindre ni la Prusse ni la Russie. Cependant, s'il faut en juger par le résultat, on serait autorisé à croire que le ministère autrichien envisagea les choses d'un œil différent.

L'abandon de ce système suivi depuis trente-six ans, fut à la vérité provoqué par des événements au-dessus de la prévoyance humaine; mais il fit place à une politique plus embrouillée, celle de circonstance. Dès lors des combinaisons multipliées s'offrirent au gouvernement autrichien; il pouvait aspirer à reprendre l'Alsace et la Lorraine, à do

(1) L'opinion des écrivains les plus célèbres est encore divisée sur ce point décisif de l'histoire moderne; Gentz,

étaient dirigées vers le commerce de l'Amérique. Le célèbre pacte de famille de 1761, liant moins les deux nations que leurs souverains, plaçait Charles IV dans la disposition naturelle de faire la guerre à la France pour défendre les droits de la famille dont il était issu. Cependant des vues plus vastes parurent un instant animer son ministère, et lui imposer l'obligation de ne pas sacrifier à des calculs personnels, l'intérêt général et bien avéré de sa monarchie.

Le cabinet de Madrid se contenta donc de protestations et de démarches en faveur de la famille royale, et sa conduite modérée après la catastrophe du 10 août, semble détruire tout soupçon d'une alliance réelle de l'Espagne avec les ennemis de la France.

Les rois de Sardaigne et de Naples se trouvaient à peu près dans la même situation.

Lacretelle et Ségur voient ces événements d'une manière tout à fait opposée.

La Hollande étrangère à ces liens de famille avait, | à s'affranchir. La négligence que le ministère mit en échange, avec l'Espagne une similitude d'inté-à profiter de si belles occasions pour déployer la rêts maritimes qui devait l'éloigner de toute alliance politique nationale, est d'autant plus répréhensible, avec les Anglais, et les relations intimes qu'elle qu'en entreprenant à propos des guerres nécessaivenait de conclure avec eux en 1787, étaient un res et avantageuses, il eût conservé la considéramalheur réel pour la cause des nations: on en a tion dont il jouissait depuis la paix de 1783, et déjà signalé l'origine (1). détourné l'orage prêt à éclater sur lui.

On a vu quels furent les résultats malheureux de sa faiblesse, soit dans ses relations au dehors, soit dans ses rapports avec les ennemis plus dangereux de l'intérieur.

Après avoir tracé une esquisse rapide des pre

Les versions sur l'origine de la coalition ont autant varié qu'il y a eu de partis; on n'a pas été plus d'accord sur les causes qui purent décider une alliance d'interêts aussi divisé ; les uns l'attribuent

Le cabinet de Versailles trop inquiété chez lui ne s'occupait que faiblement des affaires extérieures. Son inaction dans les troubles de Hollande et pendant la guerre de Turquie sera un monument éternel d'impéritie et de pusillanimité. Il commit une faute plus grave et plus fatale encore en mé-mières causes et des premiers mouvements de la prisant les propositions faites par Tippoo-Saïb. Ce révolution, il ne me reste qu'à indiquer les changeprince, fils et successeur du grand Hyder-Aly, en- ments qu'elle apporta dans la politique des cabinets, voya une ambassade au roi, en 1788, proposant et les premières démarches hostiles qui en furent d'expulser les Anglais de l'Inde, pourvu qu'on lui la suite. fournit quelque appui. Ainsi, sans la faiblesse de son ministère et la déprédation de ses finances, il était peut-être réservé à Louis de mériter le titre de libérateur de l'Inde comme il avait déjà mérité celui de sauveur de l'Amérique. On doit regretterà la peur qu'inspira le parti révolutionnaire, les que le gouvernement, sans calculer d'autre chances que le bien qui devait en résulter un jour pour la France et l'Europe entière, ne se soit pas décidé à tenter l'entreprise. Il n'était pas impossible de cacher pendant longtemps les préparatifs, et de trouver ensuite un prétexte quelconque pour une expédition de long cours, qui eût porté, au prince musulman, les moyens de fixer le sort des rives de l'Indus et du Gange. On n'en fit rien, et Tippoo livré par cette démarche au ressentiment des Anglais, se vit bientôt accablé par les focres de Cornwalis, assiégé dans Seringapatnam, et trop heureux de gagner du temps en sacrifiant la moitié de ses États, par un traité dont le vainqueur ne tarda pas

(1) Nous ne craignons pas d'affirmer que l'alliance de la Hollande avec l'Angleterre eut les plus funestes résultats pour les intérêts européens. Il est vrai que celle qui fut conclue plus tard entre la France et la république batave causa les plus grands dommages au commerce et aux colonies hollandaises; ce qui a fait dire à tous les marchands qui jugent les effets sans remonter aux causes, que les relations de l'Angleterre étaient les seules convenables à cette république. Mais l'homme d'État ne s'y trompera pas, et saura apprécier la différence qui existe entre ces deux époques.

Les rapports forcés de la Hollande après l'invasion

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autres à l'ambition des cabinets, et peut-être ces deux opinions ne sont-elles pas dénuées de fondement.

Les atteintes portées au pouvoir monarchique en France, avaient en effet jeté l'alarme dans toutes les cours; les rois, les ministres et leurs favoris crurent également y trouver de funestes présages, et tous les trônes leur parurent un instant ébranlés. Ils comptaient pour rieu la différence qui existait entre leur position et celle de la cour de France, entre les mœurs et les habitudes de leurs peuples, l'esprit d'ordre et la soumission de leurs armées, et le caractère turbulent des Français. Les premières alliances de ces cours purent donc être at

de 1795, lorsque toute balance maritime était déjà rompue, devaient mettre en effet toutes les colonies au pouvoir des Anglais, et ruiner le commerce qui fait le premier besoin des Provinces-Unies. Quelques relations interlopes, seul dédommagement de ces revers, cessèrent dès l'avènement de Bonaparte à l'empire. Son joug dut leur paraître insupportable, mais les maux qu'elles ont soufferts prouvent d'autant mieux combien le despotisme maritime qui a été le résultat de l'alliance monstrueuse de la Hollande et de l'Espagne avec l'Angleterre pèse sur

l'univers.

tribuées à l'instinct de leur conservation réciproque; | les affaires intérieures de la France. Il paraît au mais par la tournure que les affaires prirent dès la reste que le projet de M. de Montmorin avait été première campagne, il ne fut pas difficile de s'a- concerté entre lui et M. de Calonne, puisqu'il percevoir que si la peur contribua à réunir leurs s'accordait parfaitement avec les démarches de ce forces, l'ambition les engagea bientôt à en pro- ministre, qui avait déjà eu une entrevue avec l'emfiter. pereur Léopold, à Florence, et l'avait décidé à intervenir dans les troubles de sa patrie.

Mais par suite de ce caractère mobile et indécis, qui causa tous les malheurs des princes dans les temps de troubles, le roi prenait la résolution de s'enfuir du royaume, et en faisait un mystère à ses ministres. Ce dernier plan parut se rattacher avec

Les outrages dont Louis XVI était menacé tous les jours, l'espèce de captivité dans laquelle on le retenait, les dangers mêmes qui semblaient s'amonceler sur sa tête, décidèrent ses conseillers à lui proposer différents moyens de s'y soustraire, de rétablir son autorité et de rendre au trône la considération qu'il avait perdue. Le ministre Mont-l'arrivée du roi de Suède sur les rives du Rhin. morin présenta à ce prince un plan dont les bases principales étaient :

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» 3° De mettre ainsi le roi à même de conjurer >> par des négociations ce danger simulé et de tirer » parti de ce service rendu à la nation pour adres>> ser une dernière déclaration aux cours.

» On se flattait de pouvoir rédiger cet acte im» portant, de manière à ce que tout en prenant la » défense de l'honneur et de l'indépendance na» tionale, il servît en même temps de concordat » entre l'autorité royale et la majorité du peuple » français. Pour atteindre plus sûrement ce but, la » déclaration serait soumise à la sanction des as» semblées départementales convoquées à cet effet: » démarche solennelle et imposante qui déjouerait » les factieux et rétablirait l'harmonie entre le sou» verain, la noblesse et le peuple. »

Le roi autorisa, au mois d'avril 1791, M. de Montmorin à entretenir les intelligences nécessaires à l'exécution de ce projet dont il ne prévit pas les inconvénients. Un examen plus sérieux eût prouvé qu'il était aussi dangereux qu'insuffisant, puisqu'il supposait une abnégation complète d'intérêts et d'ambition de la part de tous les cabinets européens, qu'il immisçait avec tant d'imprudence dans

Soit que ce monarque se fût réellement concerté avec Catherine, les princes français ou les ministres secrets de Louis, soit qu'il voulût aspirer à la gloire de rétablir l'autorité royale en France, comme il l'avait fait dans son pays, il s'était rendu en Belgique au mois de mai 1791, sous prétexte de prendre les eaux de Spa, pour les blessures reçues dans la guerre de Finlande.

Le dessein de Gustave JII était de se mettre à la tête des émigrés, du régiment royal suédois et des troupes françaises restées fidèles, et de rétablir Louis XVI dans toute l'étendue de son autorité; afin d'en rendre la réussite plus certaine, le roi devait se joindre à lui pour rallier tous les mécontents du royaume. Ce concours de circonstances a fait penser à beaucoup de personnes que cette singulière entreprise fut le résultat des pouvoirs secrets donnés à M. de Breteuil, et on crut en trouver la preuve dans l'attention des conseillers du roi à mettre un prince naturellement ami et allié de la France à la tête de l'expédition, pour ne pas laisser la direction de la guerre à une puissance rivale, telle que la Prusse ou l'Autriche. Ce calcul qui ferait honneur à leurs intentions n'en fait guère à leur jugement diplomatique; car une guerre civile était toujours une calamité qui devait déchirer la France, et dont trop de voisins jaloux et puissants étaient intéressés à profiter. D'ailleurs, c'était une erreur grossière d'imaginer que la révolution se fût terminée par la présence de cinquante mille hommes sous Paris. Cela eût été tout au plus à espérer en 1789; mais depuis deux ans que les partis étaient en présence; ils avaient eu le temps de déployer leurs forces, et l'on ne subjugue pas un

pays en fermentation avec une poignée d'hommes. | bureaux de police. Une surveillance active s'exer

En admettant même que ce petit nombre de bataillons fussent parvenus jusqu'à la capitale, quel parti eussent-ils pris? Se seraient-ils dispersés dans quatre-vingts départements, dont la population exaltée en aurait eu bon marché, ou bien seraient-ils restés blottis sous les murs de Paris? Alors l'armée renforcée des volontaires de Marseille, Bordeaux, Rennes, Besançon, Grenoble, obéissant à la voix de l'assemblée ou de quelques meneurs les eût bientôt anéantis.

D'un autre côté, l'Empereur n'approuvant point ces mesures concertées sans sa participation ou craignant peut-être les résultats d'une tentative aussi hasardée préférait un congrès de toutes les puissances, dans l'espoir de faire cesser les troubles intérieurs par l'appareil imposant des forces de l'Europe réunie. D'après ce qui avait été convenu avec M. de Calonne, l'Empereur eut une entrevue à Mantoue, le 20 mai, avec le comte d'Artois qui venait réclamer son assistance au nom de la famille royale opprimée. Léopold communiqua au prince un projet tout rédigé, qui supposait une alliance entre le cabinet de Vienne, l'Empire et les différentes branches de la famille des Bourbons (1). La communication de ce plan, que le comte de Durfort apporta à Paris, ne détourna cependant point Louis de la résolution qu'il avait prise de quitter sa capitale.

Quelque difficile que cette évasion dût paraître, on fondait l'espoir de sa réussite sur la sagacité de M. de Bouillé. Son commandement s'étendait sur toute la Lorraine, et une fois qu'on aurait atteint cette province, tout danger semblait évanoui. Pour diminuer encore les chances de ce trajet, il était convenu de pousser des détachements de cavalerie jusqu'à Châlons; des relais particuliers préparés avec soin devaient accélérer le voyage et le rendre plus sûr. Lorsque tout fut disposé, le roi partit dans la nuit du 20 juin, accompagné de la reine et de ses enfants, prenant la route de Verdun; MONSIEUR Suivit celle de Mons.

Depuis 1789, tous les Français étaient transformés en gardes nationales, et les municipalités en

çait sur tous les voyageurs; soit que les magistrats la redoublassent à cause des mouvements des troupes chargées d'escorter le roi, soit l'effet d'un pur hasard, Louis fut reconnu par le maître de poste de Sainte-Menehould et arrêté à Varennes. Aussitôt le tocsin sonne, les gardes nationales accourent, les hussards d'escorte sont investis ou mis en fuite, et le roi arrêté, est reconduit à Paris par une foule d'hommes armés dont le nombre toujours croissant s'élève jusqu'à dix mille. MONSIEUR, plus heureux, était arrivé sans obstacle à Mons.

Dans cet interrègne de trois jours, la France offrit un grand spectacle. Depuis la frontière de Flandre jusqu'à celle de l'Espagne, depuis le Rhin jusqu'à l'Océan, le premier sentiment de surprise fit bientôt place au calme et à la confiance dans l'assemblée. A Paris tous les emblèmes de la royauté sont effacés, les gardes nationales prennent les armes, et suivies d'une foule de citoyens vont défiler devant les législateurs en leur prêtant serment. Ceux-ci de leur côté ne perdent pas une minute, mandent les ministres et leur ordonnent de continuer l'exécution des lois, expédient des courriers sur la ligne des frontières pour faire arrêter toute personne voulant sortir du royaume. Enfin, ils imposent aux fonctionnaires civils et militaires la prestation d'un serment de fidélité à la nation; puis restant eux-mêmes en permanence pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, ils montrent l'exemple et déploient une grande fermeté.

A la vérité l'absence d'un roi en tutelle depuis deux ans, et suspendu en quelque sorte de ses fonctions depuis le décret du 21 septembee 1789, ne devait pas changer beaucoup la situation d'un gouvernement déjà accoutumé à se passer de chef, et toute l'importance de cette fuite était rattachée aux avantages que devaient en tirer les royalistes, s'ils eussent réussi à établir l'autorité légitime au quartier général d'une armée dévouée à leur parti.

Aussi la nouvelle de l'arrestation du monarque et de son retour fut-elle, pour la majorité de l'assemblée, le signal de la joie la plus vive; c'était

(1) On trouvera ce plan aux pièces justificatives (no 1). renvoyer nos lecteurs aux détails intéressants qu'en donne Quant aux circonstances qui l'amenèrent, nous devons

Bertrand de Molleville.

une véritable victoire pour les députés ennemis de la cour et de la noblesse; car une réaction eût compromis leur liberté et même leur existence.

La sensation contraire se manifesta dans le parti aristocratique. Gustave forcé de renoncer à son projet pour l'instant, retourna dans ses États, et l'alliance offensive et défensive conclue avec Catherine à Drottingholm, le 19 octobre 1791, prouve assez qu'il avait dessein d'en tenter de nouveau l'exécution.

L'assemblée avait repris ses travaux; indécise sur le parti qu'il convenait d'adopter, elle eût voulu remplacer le roi par un conseil de régence, gouvernant au nom du dauphin. Ce moyen semblait le plus propre à prévenir la réaction qu'on redoutait en laissant l'autorité aux anciens conseils de Louis. La suspension du roi jusqu'après l'acceptation de la constitution, contrastant avec les soins qu'on affectait pour son fils, justifie assez ces conjectures. Toutefois les chefs de parti n'osèrent porter le dernier coup au trône qu'ils avaient sapé, et un reste de respect pour la royauté arrêta les plus enclins à la braver.

Le mois de juillet fut signalé par quelques troubles inquiétants. Bien qu'il eût été fort peu question jusqu'alors d'une faction républicaine, on commençait à s'apercevoir de la tendance des sociétés et des clubs vers les idées démocratiques.

Les passions étaient déchaînés, la liberté, depuis quelques mois, commençait à faire place à la licence; des hommes sans emploi, sans crédit, imaginaient que le partage de l'autorité ferait la fortune de tous; quelques autres pensèrent même de bonne foi trouver dans la souveraineté du peuple, une source inépuisable de bonheur pour la classe moyenne de la société et pour la masse de la na

tion.

Toutes les têtes furent renversées par ces étranges calculs. Les idées de la raison et d'une saine philosophie se changèrent en fanatisme ridicule; l'intrigue et même le complot furent regardés comme de la politique; les déclamations et la violence passèrent pour de l'éloquence, et bientôt l'amour de l'ordre, le désir d'une administration sage et ferme furent taxés de despotisme, d'aristocratie, la vertu de lâcheté.

comme un talisman sur la foule; par ce mot on dénaturait les pensées les plus pures. Toute mesurr tendant à suspendre l'éruption du volcan anarchique, menaçait, selon les factieux, du retour de la féodalité, de la Bastille, des aristocrates, de leurs passions et de leurs vengeances: ainsi tout homme qui en 1789 et 1790 avait voulu sincèrement des réformes utiles, vit sa sûreté compromise si cette effrayante réaction s'effectuait. De là cette promptitude avec laquelle on s'alarmait des moindres résistances que la cour et les ministres opposaient aux décrets, et des démarches que les partisans de la monarchie essayaient pour conserver quelque ombre de pouvoir et quelque vigueur aux institutions.

Tout ce qui retardait ou contrariait la marche impétueuse du torrent démagogique ne pouvait provenir que de ceux qui avaient juré la perte des amis de la liberté. Il fallait surpasser ceux-ci en folie pour ne pas être accusé de projets liberticides ; bientôt la modération fut classée par la loi au nombre des crimes de lèse-nation.

Les jacobins en admettant dans leurs rangs grand nombre de nouveaux prolétaires, devenaient de jour en jour moins difficiles sur le choix. Bien différents déjà de cette société d'amis de la constitution à laquelle ils devaient leur origine, ils ne formaient plus qu'un conciliabule de factieux. Une autre association plus dangereuse encore, si cela était possible, rivalisait avec eux. Danton, président de la section des Cordeliers, obéissant à une impulsion supérieure, ou à la force de son génie malfaisant, avait imaginé de rassembler en club, des hommes que les jacobins mêmes eussent réprouvés. Là, Camille Desmoulins, Chaumette et cent autres démagogues faisaient les sorties les plus épouvantables contre les aristocrates et la cour. C'était la véritable faction des Gracques, qui prit bientôt l'empreinte de tous les vices comme du caractère de son chef. Dès cet instant un nouveau et puissant germe de destruction put être compté dans l'État, car, avec des intentions aussi perfides que les jacobins, le chef des cordeliers avait une audace et un courage d'exécution dont la tactique des premiers n'approchait pas. Nous esquisserons plus loin le portrait de ce véritable héros de révo

Le mot de contre- révolution opéra souvent lution. Employé par Mirabeau en 1789, il n'avait

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