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l'armée révolutionnaire, et la nombreuse troupe | arrêté pour faire traduire en italien et envoyer au

des cordeliers.

Une simple insurrection les eût rendus maîtres des destinées de la France. Par une heureuse fatalité, Hébert et Chaumette n'y songèrent point, ou du moins attendirent trop longtemps. Se bornant à exhaler leur haine imprudente en vains discours et d'inutiles murmures, ils se plaignaient de l'ingratitude de la Montagne qui, à les en croire, leur était redevable de son triomphe sur les girondins : « S'il » y a des dangers à courir, disaient-ils, on nous appelle les premiers; il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de partager cette autorité, fruit » de nos victoires; sans notre assistance, le 2 juin » n'aurait point eu lieu, et nous n'avons recueilli » que la haine de la faction abattue, avec la certi» tude d'être les premiers objets de sa vengeance, » si jamais la Gironde venait à renaître de ses >> cendres. >>

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Après avoir ainsi exprimé leur mécontentement, ils veulent enfin se faire des prosélites et augmenter l'amour que leur porte déjà la multitude, en prenant l'initiative sur les mesures les plus violentes du gouvernement révolutionnaire. Ces modernes Diogènes, non moins cyniques, mais plus cruels que le philosophe grec, rivalisent d'efforts pour étendre les limites de la turpitude et de l'immoralité, et pour leur rendre justice, il faut dire qu'ils parcoururent cette carrière à pas de géants.

Encouragé par eux, l'évêque constitutionnel, Gobet, fit, le 17 novembre, une abjuration publique de la religion dont il était ministre; cet exemple fut suivi par une multitude de prêtres qui, animés d'une sainte apostasie, venaient à l'envi se dépouiller des marques de leur sacerdoce, et fouler aux pieds cette croix qu'ils offraient jadis à la vénération des peuples. La convention devint le théâtre de ces farces révoltantes, et d'une impiété dont on chercherait vainement des exemples; on poussa l'oubli des convenances jusqu'à se vanter à la tribune d'avoir promené un âne revêtu de toutes les décorations épiscopales et autres attributs religieux: enfin, pour mettre un dernier sceau à leur impudence, les membres de la commune prirent un

(1) Nous entendons ici par religion, la morale religieuse, et non les abus d'un culte intolérant ou le fanatisme af

Pape tous les décrets ou procès-verbaux des actes publics et particuliers qui avaient amené le bouleversement de la religion (1).

Ce fut à cette époque que Chaumette imagina le culte de la raison. Dans la fête qu'il célébra en son honneur le 10 novembre 1793, une chanteuse de !'Opéra, représenta la nouvelle déesse, telle qu'on nous dépeint Minerve s'appuyant sur une lance. Son cortége, formé d'une foule immense de jacobins coiffés du bonnet rouge et entonnant des cantiques sacriléges, après avoir défilé devant la convention se rendit processionnellement à l'église de Notre-Dame. Là, cette divinité de théâtre, déposée avec un respect ridicule sur l'autel même du vrai Dieu, reçut les hommages et l'encens de la multitude, et d'une troupe de vestales de coulisses.

Jamais l'immoralité ne s'était montrée dans un appareil plus pompeux. Robespierre laissait faire et observait en silence; peu inquiet des suites de cette saturnale, il se proposait, après en avoir envoyé les auteurs à l'échafaud, de sanctifier la république en proclamant son Être suprême et l'immortalité de l'âme. Le Dracon de la France voulait aussi en être le Numa.

Ce genre de gloire touchait faiblement Danton, qui venait de reparaître sur la scène; mais il se réunit à son collègue pour écraser des rivaux dangereux toutefois ils ne les attaquèrent pas directement, et se servirent d'abord de Camille Desmoulins pour les accuser. Anacharsis Clootz, Hébert, Chaumette, Ronsin, commandant de l'armée révolutionnaire, et plusieurs autres de ces anarchistes furent arrêtés dans le même jour. Barrère, chargé de faire un rapport sur les délits dont ils étaient prévenus, s'en acquitta avec son bonheur accoutumé, et le dictateur paya d'un sourire les éloges prodigués à sa feinte modestie par le complaisant orateur du comité.

L'impatience d'arriver jusqu'au supplice de ces misérables, qui n'eut lieu qu'au milieu de mars, nous a fait dépasser les bornes chronologiques de cette campagne : avant de rapporter celle de 1794, il ne sera pas inutile de quitter un instant les ri

fecté d'un clergé ambitieux : choses qu'on a trop souvent confondues.

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Tandis que la France parvenait à repousser l'invasion des coalisés, par les résultats d'une exaltation sans exemple dans les annales du monde, mais qu'elle épuisait, par ces efforts mêmes, les sources réelles de crédit, de prospérité commerciale et de puissance fédérative, l'Angleterre se hâtait de profiter des embarras où sa rivale se voyait plongée, afin de saisir, de prime abord, toute la supériorité coloniale et maritime à laquelle elle aspirait. Trop habile pour compter sur une victoire facile, et se reposer sur ses alliés du soin de la lui procurer, elle redouble d'efforts, comme si elle eût dû soutenir seule une lutte contre tous. Lord Dundas avait fait décréter, dès le 28 janvier, la levée de 45,000 hommes pour la marine : plus de 80 vaisseaux allaient être mis en commission, et porter son pavillon victorieux sur les points les plus reculés du globe.

même, qui en prit une part suffisante pour se dédommager, disait-on, des frais de ce dépouille

ment.

Dès lors le malheureux établissement de Pondichéry, qui naguère disputait à Calcutta et à Madras, l'empire de la presqu'ile, jeté seul aujourd'hui au milieu des immenses possessions britanniques, devint, en peu de semaines, la proie de

ses ennemis.

La conquête des Antilles offrit plus de difficultés, malgré l'état déplorable dans lequel l'esprit de parti venait de plonger les colonies. Le choc établi entre les blancs et les hommes de couleur, fut d'autant plus violent qu'il se ressentit de la chaleur du climat, des mœurs de ses habitants et du froissement immédiat des intérêts les plus chers. Les bornes de cet aperçu ne permettant pas de présenter le tableau complet de la situation des colonies et des révolutions qui les bouleversèrent, nous ébaucherons à grands traits les causes de ces événements et leurs résultats, en commençant par la plus importante.

La population de Saint-Domingue se composait en 1789, de 40,000 blancs, de 30,000 à 35,000 hommes de couleur libres, et d'environ 500,000 esclaves. Les intérêts de cette population se trouvaient plus divisés que partout ailleurs. Les grands planteurs européens étaient aristocrates quand il s'agissait de leurs prétentions envers leurs inférieurs, et partisans de la démocratie dès qu'il était question de lutter contre l'autorité royale. On va même jusqu'à dire que plusieurs d'entre eux, pétris d'égoïsme, sacrifiant tout à leur intérêt privé, et le plaçant bien au-dessus d'une patrie qu'ils connaissaient à peine (1), ne se firent aucun scrupule de désirer l'indépendance, au moyen de laquelle ils espéraient obtenir plus de liberté dans leurs spéculations, et se débarrasser des entraves mises au commerce dans l'intérêt de la métropole.

On se rappelle que la compagnie des Indes, profitant des embarras où la révolution plongeait le cabinet de Versailles, s'était hâté de porter le coup décisif à l'empire de Mysore, et que Cornwallis avait fait, en 1792, sous les murs de Seringapatnam, une paix qui ravit à Tippoo-Saïb la moitié de ses États. Le vainqueur partagea ces conquêtes entre le Nizam, créature dévouée à la compagnie; les Marattes, qui l'avaient imprudemment secondé, et qu'il espérait s'attacher; puis la compagnie elle-mis du gouvernement colonial dont ils ambition

(1) Nous sommes loin de penser que cet esprit fut celui de la majorité, il était au contraire, celui d'un trèspetit nombre. On sait assez combien de riches proprié

Ceux qu'on nommait petits-blancs, ouvriers artisans ou aventuriers sortis d'Europe dans l'espoir d'un meilleur avenir, démagogues par intérêt, enne

taires créoles se distinguèrent par leur rare patriotisme; les Beauharnais, les Lameth, les Laborde, les Dugommier, en fournissent d'assez grandes preuves.

naient les emplois et jalonsaient l'autorité, devin- | droits politiques, lorsque, par leurs propriétés ou leur état, ils pouvaient justement y aspirer.

rent aristocrates insolents dans leurs rapports avec les hommes de couleur libres. Ceux-ci, espèce d'affranchis, n'ayant de commun avec le citoyen que le droit de posséder une propriété, se trouvaient encore voisins de l'esclavage par l'opinion. Si les doctrines d'égalité avaient jeté de si profondes racines en France, que l'abolition de toute distinction Y fût désirée, il n'en était pas encore de même dans les Antilles, où, à part l'orgueil des rangs et des castes, de puissants préjugés mettaient une distance inouïe entre le riche colon ou le gentilhomme employé par l'État, et le rejeton adultérin d'une négresse. Indépendamment de cette considération particulière, les planteurs s'accordaient assez à regarder l'admission des hommes de couleur aux emplois publics, comme une tendance à l'abolition de l'esclavage; chance ruineuse qui devait tarir toutes les sources de leur fortune et de leur existence.

La séance du jeu de paume, le canon de la Bastille et la suppression des priviléges, du 4 août 1789, retentirent au fond du golfe des Caraïbes, et soulevèrent dans les Antilles, des passions et des intérêts plus violents encore qu'en Europe. Chacune de ces classes s'attribua les idées de liberté répandues dans la métropole. Les créoles y virent un moyen de se placer au-dessus de l'autorité du gouvernement: les petits-blancs, celui de se mettre de pair avec les privilégiés, qui, jusqu'alors leur avaient témoigné peu de considération : les hommes de couleur attendaient que les nouveaux légis lateurs de la France les fissent participer à la réforme des abus; et, si on ne les mettait pas d'emblée au niveau des autres classes, ils espéraient du moins une amélioration graduelle, et une part dans les assemblées provinciales; prétentions assez fondées, puisqu'ils étaient pour la plupart propriétaires ou chefs d'atelier jouissant d'une honnête aisance. La condition humiliante dans laquelle on les avait tenus jusqu'alors, dut leur sembler d'autant plus vexatoire, que dans la partie espagnole, ils jouissaient de la plénitude de leurs

(1) Cette assemblée fut présidée par le nommé Bacon de la Chevalerie, intrigant célèbre qui, dans un discours hardi, réclama dès le premier jour l'abolition du système

Ce mot magique de liberté, se faisant entendre jusque dans les ateliers des noirs, dut nécessairement y produire de la fermentation, dès que d'adroits ou imprudents instigateurs s'efforcèrent de leur en faire comprendre toute la signification.

Il faut ajouter à ces éléments de discorde, l'influence que deux clubs absolument opposés dans leurs vues, exerçaient sur les différents partis de l'assemblée. Les riches colons, fixés dans la capitale pour y jouir d'une fortune immense, s'étaient réunis en comité à l'hôtel Massiac, afin de délibérer sur leurs intérêts avec l'administration; tandis qu'une société d'amis des noirs, composée de Mirabeau, Brissot, Condorcet, Lameth, etc., avisait aux moyens d'abolir la traite et l'esclavage.

Influencée alternativement par des opinions si contraires, et cherchant à concilier les convenances locales, l'assemblée adopta une législation ambiguë et versatile, qui alluma les passions sans savoir les faire servir à sa cause.

Une assemblée coloniale de 213 membres, convoquée à Saint-Marc, au commencement de 1790, pour débattre les intérêts du pays, se hâta bientôt, à l'imitation de l'assemblée nationale, de s'emparer de l'autorité; s'arrogea l'initiative des lois intérieures, avec le droit de les soumettre directement à la sanction royale, déclarant même que celles rendues par le corps législatif de France pour les relations générales, n'auraient de force qu'autant qu'elle les aurait sanctionnées (1). L'institution des gardes nationales fut accueillie avec enthousiasme : les blancs seuls devaient y commander à des blancs; et tous étaient également avides de grades et de décorations militaires : un état-major aussi brillant que celui de Lafayette à Paris, fut créé comme par enchantement. Les députés, qui n'avaient pas craint d'usurper un pouvoir illégal, devaient voir avec plaisir une force armée qui surpassait celle du gouverneur, et les rendait en quelque sorte maîtres de l'île.

L'assemblée constituante sanctionna, le 8 mars

de douane, si nécessaire pour les intérêts du commerce de la métropole, et sans lequel la colonie eût été plus à charge qu'utile à la France,

ministère.

1790, cette autorité coloniale, dont elle ignorait | rent, et fut soupçonné d'être un agent secret du encore les vues. Elle ordonna même qu'il en serait institué de semblables dans toutes les colonies françaises en même temps elle adopta, le 28, une instruction particulière accordant le droit de citoyen aux hommes de couleur propriétaires.

On a pensé que le gouvernement, alarmé des idées d'indépendance dont l'heureuse émancipation des États-Unis venait de donner l'exemple et d'inspirer le goût, évita de se prononcer vigoureusement dans le début, afin de régner d'autant mieux sur deux partis, qui auraient alternativement besoin de son appui.

Ce terme moyen réussit mal: ce n'était pas en pareille occurrence, qu'il fallait se jouer de si puissants intérêts et n'en satisfaire aucun. Des désordres eurent lieu sur tous les points: abus d'autorité de la part des créoles; exécutions barbares de quelques mulâtres qui osèrent réclamer leurs droits, et notamment du colonel Ogé, venu de Paris avec les promesses de l'assemblée (1); protestation solennelle de la part des blancs, qui déclaraient préférer mille fois la mort, à la honte de voir siéger dans leurs autorités une race bâtarde et dégénérée; indignation et soulèvement de la part des hommes qu'on affectait de traiter avec tant de mépris telles furent les suites inévitables de ce choc d'intérêts, et les brandons de guerre civile qui devaient mettre Saint-Domingue à la discrétion du cabinet de Saint-James, ou du moins l'arracher pour toujours à la France.

:

Ses premiers soins furent de s'entourer d'une force suffisante pour dissoudre l'assemblée; celle-ci, de son côté, chercha à semer l'esprit de révolte parmi ses soldats; et n'y ayant pas réussi, décréta le licenciement des corps réglés de la colonie dont elle prétendait ensuite diriger la réorganisation. Elle encourut par cet acte téméraire le reproche de vouloir tout bouleverser, afin de marcher ensuite à l'indépendance par une scission avec la métropole. De son côté, l'assemblée prétendit que ses ennemis voulaient opérer la contre-révolution dans les colonies, pour la faire ensuite plus facilement dans le royaume; et aujourd'hui encore on serait embarrassé de décider si ces différentes imputations n'étaient pas également fondées. Dès lors la guerre civile fut ouvertement déclarée.

Dans ces entrefaites, le Cap et l'assemblée provinciale du Nord s'étant mis en opposition avec l'assemblée générale de Saint-Marc, Peynier et Mauduit résolurent d'en profiter, dispersèrent d'abord par la force des armes le comité du Port-auPrince, et proclamant ensuite les griefs du gouvernement contre cette dernière, déclarèrent qu'il était de leur devoir de la dissoudre.

L'assemblée en avait trop fait pour rétrograder : après avoir répondu à des reproches par des proclamations, elle arrête des mesures pour résister à ses ennemis qu'elle accuse des plus noirs projets, et provoque même une prise d'armes. Aussitôt la Le comte de Peynier, alors gouverneur de l'île, population blanche de l'Ouest et du Sud se prononce homme probe et modéré, chercha d'abord les sur tous les points en faveur de ses députés ; moyens de concilier les prétentions de l'assemblée l'équipage du Léopard est gagné par les amis de la générale avec les intérêts du gouvernement; mais révolution : l'assemblée générale décide de se renforcé ensuite de se conformer aux instructions du dre en corps à Paris, pour y plaider sa cause, et 83 ministre de la marine, marquis de la Luzerne, il ne députés, abandonnant fortune, famille et pénates, songea qu'aux moyens de la dissoudre. Le colonel s'embarquent en effet à bord de ce vaisseau, pour Mauduit, envoyé en juin 1790 pour commander le prouver à la métropole qu'ils ont agi dans le sens régiment du Port-au-Prince, capta bientôt toute de l'opinion publique et de l'intérêt général. Le la confiance du gouverneur : brave, énergique, gouverneur veut profiter de leur absence, pour décidé à soutenir l'autorité du roi, cet officier les remplacer par un nouveau conseil : il ordonne joua un grand rôle dans les événements qui suivi-le licenciement de la garde nationale ; et convoque

(1) Ogé était venu par Londres, et réclamait l'exécu-surrection fut une faute quoiqu'elle parût fondée sur les cution des instructions du 28 mars; traité en factieux et lois de la métropole; mais son supplice fut accompagné forcé de fair, il eut recours à la voie des armes, Son in- de détails qui révoltent.

les assemblées primaires, qui se refusent à chan- | les uns, tantôt par les autres, surent enfin se créer ger leurs premières élections. une existence sur les ruines de celle des Européens; et les colons pour avoir trop voulu, furent dépouillés, exilés, ou livrés au fer des assassins.

Cependant l'assemblée constituante jalouse du pouvoir que s'étaient arrogé les législateurs de Saint-Marc, crut devoir improuver l'exemple dangereux qu'ils venaient de donner; et son décret du 12 octobre, appuyé d'une escadre avec quelques bataillons de renfort, devait rendre à la métropole, l'autorité qu'on avait voulu ébranler. A l'arrivée de ces troupes au Port-au-Prince, le parti démo-» cratique s'empresse de les gagner. Blanchelande, qui avait succédé au comte Peynier, est trop pusillanime pour saisir aucun ascendant sur elle : il est forcé de sortir de la ville, et de se réfugier au Cap. Le colonel Mauduit, victime de son dévouement, est assassiné. La municipalité s'empare de l'autorité du lieutenant de roi : un colon, nommé Caradeux, occupe celle du gouverneur : Praloto, matelot déserteur, est nommé chef de l'artillerie et des fortifications.

Cette anarchie, moitié aristocratique, moitié démagogique, n'eût été qu'une lutte entre un parti et le gouvernement royal, si les prétendus amis de la liberté avaient voulu reconnaître les droits des hommes de couleur, et préféré l'intérêt de la pa- | trie à leur morgue. Mais on sait assez l'opposition qu'ils apportèrent à la seule mesure capable de tout pacifier et des agents de l'étranger, ou des ambitieux, se saisirent de tous les rôles de cette terrible tragédie, pour l'amener à un dénoûment conforme aux divers intérêts que chacun d'eux voulait servir.

L'autorité royale chercha en menaçant la fortune des colons à les amener à une contre-révolution; elle mit en jeu tous les intérêts qui leur étaient opposées, mais elle ne sut en armer aucun pour sa cause; et tous après avoir commencé par être ses instruments, devinrent ensuite ceux de sa ruine. Les hommes de couleur se rallièrent au gouvernement qui leur donnait l'espoir d'une amélioration, et quand ils eurent les armes à la main, ils prirent goût à l'exercice du pouvoir et luttèrent contre toutes les autorités qui voulurent les contrarier dans leurs fins. Les noirs, armés tantôt par

(1) Nous n'avons pu nous dispenser de présenter une de ces protestations, parce qu'elle nous semble caractéri

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L'assemblée constituante, informée de l'opposition que ses vues bienveillantes pour les hommes de couleur rencontraient dans la colonie, crut satisfaire tous les partis en déclarant le 13 mai 1791 : Qu'il ne serait rien statué sur le sort des esclaves, que sur la proposition des autorités colo» niales, que celles existantes seraient maintenues telles qu'elles étaient; mais qu'à l'avenir, les >> hommes de couleur, nés de père et mère libres, >> seraient admis dans les assemblées paroissiales » et coloniales. >>

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Cette mesure était la plus désastreuse qu'on pût adopter, puisqu'elle confiait pour l'instant toute l'autorité à ces mêmes créoles, dont on heurtait l'orgueil et les prétentions, tandis que les hommes de couleur, peu rassurés par des espérances lointaines, ne devaient pas tarder à se convaincre de l'usage que leurs plus cruels ennemis feraient de ce pouvoir.

S'il est aisé d'allumer les passions par un décret, il n'est pas facile de les calmer par le même moyen. Celui du 15 mai produisit l'effet tout contraire de ee qu'on en attendait : la foudre n'est ni plus prompte ni plus terrible que l'incendie allumé par cette imprudente mesure; l'insurrection éclata de toutes parts; et, bien que les blancs en devinssent les premiers apôtres, comme il sera facile de s'en convaincre par la lecture de leurs protestations (1), les hommes de couleur par représailles coururent aux armes pour soutenir des droits que la métropole semblait disposée à leur accorder.

Blanchelande, voyant le malheureux résultat de ce décret, et cédant à la crainte qu'il lui inspirait pour le sort futur de la colonie, en demanda la suspension à l'assemblée, qui la prononça en effet : mais ce palliatif achevant d'exaspérer les hommes de couleur, sans satisfaire les blancs, la guerre civile ne fit que s'envenimer, et pour comble de malheur l'indiscipline gagna les troupes : Saint-Domingue fut ainsi plongé dans l'anarchie; il semblait

ser la cause des premiers troubles de Saint-Domingue. (Voyez pièces justificatives du livre V no 15.)

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