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fayette refuse d'y consentir sans un ordre de la commune. Enfin, cet ordre venu, il part avec ses bataillons.

Cette armée qui ne montait guère à moins de vingt mille hommes, marchait sur plusieurs colonnes avec une avant-garde et du canon, comme s'il eût été question d'attaquer les plus dangereux ennemis de la France: elle était suivie d'une foule de mauvais sujet accourus de toutes les parties du royaume, armés de bâtons ferrés ou de piques, et dont la figure étrangère et sinistre contrastait avec celle des habitants de Paris, composant la garde nationale.

Par la lenteur de son départ, et celle inséparable d'une telle marche, Lafayette courut risque d'arriver trop tard. Depuis longtemps en effet la troupe des mégères de la halle et des faubourgs, renforcée de la populace de Versailles, et même d'une partie de la garde nationale de cette ville, entourait le château, et ces séditieux après avoir tiré plusieurs fois sur les gardes du corps, s'étaient avancés dans la cour des ministres, sans que les troupes qui avaient défense de faire feu, pussent s'y opposer.

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sailles, en faisant donner à la garde nationale de cette ville, ainsi qu'aux troupes, l'ordre de rentrer; mais au moment où celles de sa maison se mirent en devoir d'obéir, elles furent assaillies par une décharge qui blessa plusieurs hommes.

Le désordre croissait de plus en plus, l'animosité contre les gardes du corps était arrivée au plus haut degré, et la fermeture des grilles avait pu seule les mettre à l'abri, lorsque Lafayette arriva inopinément avec son armée. Après lui avoir fait prêter serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi, le général se présenta d'abord à l'assemblée, inondée de la populace de Paris qui siégeait pêlemêle avec elle; il se rendit ensuite au château où il promit, dit-on, au roi, de rétablir l'ordre et de répondre de tout.

Peut de temps après les anciennes gardes françaises vinrent prendre les postes qu'elles occupaient au château avant leur défection; elles firent même ouvrir les grilles en témoignage de la confiance qu'on plaçait dans le peuple : tous les autres postes furent également relevées par les troupes de Lafayette.

Le calme paraissait rétabli, mais ce calme était précurseur d'une insigne perfidie, et assurait le triomphe des conspirateurs.

Les femmes venues de Paris demandaient du pain; la garde nationale ne savait trop à qui elle en voulait; sa rage se tourna contre ces mêmes gardes du corps qui l'avaient accueillie avec tant Des milliers de brigands bivouaquaient sur les de fraternité quelques jours auparavant, et dont places, et les postes du château n'étaient pas même elle affectait alors de partager les sentiments. Une doublés. Le roi et l'assemblée s'étaient livrés au circonstance qui prouve combien peu la multitude sommeil, sur les promesses du général parisien, sait ce qu'elle fait et ce qu'elle désire, c'est que lorsque le 6 octobre, à cinq heures et demie, cette tous les habitants de Versailles se révoltaient pour foule de gens sans aveu qui avaient suivi les coprovoquer le départ du roi, de la cour et de l'as-lonnes de la garde nationale, mêlée aux horribles semblée, dont le séjour amenait l'abondance et la femmes qui l'avaient précédée, s'avance sur le vie dans leurs murs.

château par la cour des ministres et des princes. Quelques hommes introduits par les postes confiés aux gardes françaises massacrent les sentinelles des grilles et donnent passage à la foule : en un clin d'œil les brigands inondent le château, arrêtent ou blessent plusieurs gardes du corps, pénètrent à l'appartement de la reine, criant comme des bêtes féroces qu'il fallait lui couper la tête. Marie-Antoinette avertie par mesdames Auguié et Thibaut, n'a que le temps de se sauver presque nue chez le roi.

Les femmes et quelques agents secrets ayant répandu de l'argent et corrompu bon nombre de mauvais sujets du régiment de Flandre, il ne restait ainsi qu'une force bien insuffisante pour tenir tête à cet orage. Le ministre comte de Saint-Priest, justement alarmé, sollicitait le roi de partir, lorsqu'une lettre de Lafayette, écrite sans doute avant qu'il n'eût l'ordre de se mettre en marche, fit espérer que le calme allait être rétabli dans Paris, et décida le roi à refuser ce parti extrême qui l'eût Après une heure de la scène la plus scandaleuse, probablement sauvé. Ce prince voulut même les brigands sont enfin chassés des appartements et essayer de rétablir également la tranquillité à Ver- | du château ; mais le tumulte continue sur les pla

ces, où l'on se disputait les gardes du corps pour | rent: ces suites bien plus menaçantes pour la moles mettre à la lanterne; le roi paraît au balcon pour narchie et pour l'Europe entière, annonçaient la apaiser les furieux, on veut aussi que la reine s'y destruction des premiers nœuds du lien social : l'inprésente. Une voix part de la foule et crie « le surrection, le meurtre, transportés jusque dans les roi à Paris. » Ce cri répété par mille sicaires qui appartements inviolables des rois, présageaient n'en connaissaient pas la signification devient bien- déjà toutes les catastrophes imaginables, et rien ne tôt une loi impérieuse. dut étonner après un semblable début.

Louis répugnant beaucoup à prendre cette résolution, qu'il soupçonnait être un des motifs du complot dirigé contre lui, voulut d'abord consulter l'assemblée et la manda au château; la majorité consentait à s'y rendre, lorsque Mirabeau s'écria avec sa véhémence ordinaire, que les représentants ne pouvaient délibérer dans les palais des rois, et cette sortie vivement applaudie des tribunes fit manquer le projet. Une députation de trente-six membres et les sollicitations de Lafayette décidèrent enfin le roi à partir. La conduite ingrate des habitants de Versailles contribua du moins à diminuer les regrets que ce changement forcé de résidence eût inspiré au monarque. L'assemblée resta encore quelques jours dans cette ville, et ne suivit la cour à Paris que le 15.

Les ennemis de Lafayette élevèrent contre lui des soupçons injurieux; on lui reprocha d'avoir cherché à inspirer de la confiance à Louis par la lettre qu'il écrivit avant son départ de Paris; d'avoir répondu de tout, sans prendre aucune mesure pour la sûreté du château; enfin de l'avoir laissé forcer par deux mille brigands armés de piques, quoiqu'il eût vingt mille hommes pour le défendre. Bertrand l'accuse de la plus noire trahison ou de la plus coupable imprévoyance, et nous pensons que c'est à tort : l'abandon chevaleresque, et l'extrême confiance dans les hommes et dans la générosité de leurs sentiments, qui ont toujours caractérisé ce général, suffisent pour détruire ces inculpations et pour expliquer sa conduite; il fut induit en erreur dans cette occasion comme dans beaucoup d'autres.

Deux partis différents semblent avoir comploté cette funeste journée, l'un pour amener Louis et Cependant, soit qu'il sentit le besoin de réparer l'assemblée à Paris, afin de faciliter aux séditieux le tort que ces soupçons pouvaient faire à sa réles moyens de s'emparer de l'autorité par la mul-putation, soit qu'il fût lui-même indigné d'avoir titude de la capitale; l'autre pour attenter aux jours de la reine et forcer le roi à la fuite, afin de placer le duc d'Orléans à la tête des affaires en qualité de régent.

On désigna Mirabeau et le duc d'Orléans comme instigateurs de ces complots, et une procédure fut même dirigée contre eux par le Châtelet; mais soit que leur parti se trouvât déjà tout-puissant ou que leurs trames eussent été bien couvertes, ils furent disculpés par l'assemblée.

Le discours tenu un an après à la tribune publique par Mirabeau, et consignée dans le Moniteur du 4 octobre 1790, ne laisserait point de doutes sur ses projets, s'il ne s'était vanté plus d'une fois lui-même d'avoir amené le duc d'Orléans au pied du trône, sans que ce prince sût y monter.

été trompé, il se rendit peu de jours après chez le duc d'Orléans, pour lui signifier, de la part du roi, l'ordre de quitter la France : ce prince partit en effet peu de temps après pour l'Angleterre; mais cette mesure devenait illusoire si on ne l'appliquait aux meneurs habiles qui se servaient de son nom, et aux conjurés subalternes qui aspiraient à de plus affreux résultats encore.

Une des suites les plus fâcheuses de cette jonrnée fut la retraite de Mounier et de Lally-Tollendal, députés libéraux, mais vertueux et sages : l'exemple de ces honorables dissidents, imité par trois cents députés de la noblesse et du clergé qui n'avaient peut-être pas des motifs aussi louables, assura la majorité aux hommes entreprenants qui s'inquiétaient moins de faire triompher les principes de la liberté que de s'emparer d'un pouvoir arbitraire.

Cette émeute, plus désastreuse que celle du 14 juillet, fut moins signalée par le nombre des victimes que par les attentats qui avaient été médités, Les mois de novembre et de décembre 1789 et et les vues audacieuses des conjurés qui les dirigè-les premiers jours de 1790, ne furent signalés q

par l'adresse remarquable d'un club révolution- | dangereuse, procura plus tard d'immenses ressour

naire établi à Londres, et par l'adoption de plusieurs décrets, au nombre desquels on distingue celui du 16 décembre, sur l'abolition des milices. Le roi, pour ainsi dire captif au milieu de sa capitale, et réduit par la faiblesse de ses conseillers et l'astuce de ses ennemis au rôle le plus humiliant et le plus nul, se rendit le 4 février à l'assemblée, où il promit d'approuver et de défendre la constitution. Cette démarche inconsidérée fut arrachée au monarque, ou par la violence ou par de perfides conseils ; car il connaissait trop ce qu'il devait à sa dignité, pour promettre d'avance fidélité à une constitution qui n'était pas achevée, et dont la rédaction même avait été soustraite à l'initiative royale.

ces à la France, pour soutenir la terrible lutte dans laquelle elle se trouva engagée.

On avait résolu de sanctionner ce qui venait de se passer depuis un an, par la célébration de l'anniversaire du 14 juillet; une fédération des députés des différentes administrations, de l'armée, et de toutes les gardes nationales du royaume, fut convoquée pour ce jour solennel. Une cérémonie imposante eut lieu au Champ de Mars : cent mille Français armés, jurant de défendre leurs institutions et leur liberté en présence de la cour, de l'assemblée, des ministres étrangers et de toute la population de Paris, offrirent un de ces tableaux magiques dont l'imagination la plus féconde aurait peine à se tracer une fidèle image.

Jusque-là les intérêts de politique extérieure avaient eu peu de part aux sollicitudes de l'aréopage français et de la nation régénérée. Les rudes

L'assemblée que rien n'arrêtait dans ses travaux prononça le 24 février et le 15 mars l'abolition des droits féodaux et des distinctions honorifiques. Le 28 février, la constitution de l'armée fut détermi-attaques auxquelles les armes ottomanes étaient exnée, et les plus belles chances de la carrière des armes, ouvertes aux Français de toutes les conditions, ranimèrent l'émulation d'une jeunesse belliqueuse. La division du royaume en départements, l'organisation judiciaire, l'institution des jurés, l'initiative des lois et le droit de paix et de guerre enlevés au roi, et attribués à l'assemblée, furent les principales opérations qui signalèrent tour à tour, les talents et les principes, les passions et les erreurs de ces modernes Solons.

Après avoir donné ainsi un libre essor à leur esprit de réforme, ils durent enfin tourner leurs regards sur les finances. Les chocs produits par les mesures qu'on avait voulu prendre pour combler le déficit, étaient loin de remplir le trésor; l'embarras se multipliait au contraire par les divisions intestines et par les craintes qu'elles inspiraient. Augmenter les charges dans de telles occurences, c'eût été se perdre aux yeux du peuple; on imagina d'y suppléer par la vente d'une partie des bi ualu clergé, et par la création d'un papier monn, intLa fabrication de quatre cents millions d'assignats, hypothéqués sur les domaines nationaux, fat décrétée le 1er juin 1790, et fournit au gouvernement le moyen de faire face, pour un instant, aux besoins les plus impérieux. Cette mine féconde, dont l'exploitation est aussi délicate que

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posées par la réunion des forces de Joseph II et de Catherine, ne touchaient que faiblement des légistes, dont les vues ne s'étendaient pas jusqu'à embrasser toutes les relations des États européens. Nonobstant les grands avantages que le commerce du Levant, et ses relations avec la Porte assuraient à la France, elle se trouvait assez embarrassée, pour souffrir que l'Angleterre et la Prusse se saisissent de son rôle naturel, et devinssent à sa place les soutiens de l'empire de Sélim.

Un incident remarquable vint troubler à la fin de mai cet horizon en apparence si serein; le ministre Montmorin rendit compte à l'assemblée des difficultés sarvenues entre l'Angleterre et l'Espagne, au sujet de la baie de Nootka, sur la côte occidentale d'Amérique; le cabinet de Londres réclamait contre des violences envers son pavillon, et préparait des armements considérables pour s'en venger. L'occasion semblait belle pour réparer les échecs essuyés dans la guerre d'Amérique ; Pitt était porté à croire que le même gouvernement qui avait laissé envahir la Hollande souffrirait patiemment que l'Espagne fût accablée, et ce raisonnement était d'autant plus naturel que le pacte de famille devait paraître odieux aux meneurs de l'assemblée. Ceux-ci en voulaient surtout aux princes de la famille dont ils conjuraient la perte; et le seul traité

qui honorât la politique du siècle de Louis XV ne serait sans doute à leurs yeux qu'un acte attentatoire aux libertés de la France.

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coup faillit réussir; cette ouverture amena des débats très-vifs sur le droit de paix et de guerre; Barnave, Pétion, et Lameth, oubliant que toute la puissance politique d'une nation gît dans la faculté accordée à son gouvernement de faire la guerre à propos et de se ménager de bonnes alliances (1), se laissèrent entraîner par des doctrines fallacieuses qui tendent à diviser et énerver jusqu'aux moindres rouages de l'administration. Mirabeau seul, gardant un juste milieu, fut accusé d'avoir abandonné les bannières de la philosophie pour épouser le parti de la cour.

Enfin, après beaucoup de discussions savantes, et malgré la profonde logique de Maury, le droit de paix et de guerre fut dévolu concurremment aux deux pouvoirs.

» malgré leurs protestations, étaient les ennemis » les plus dangereux de la France, et qu'il fallait » s'en méfier. Sa voix fut bientôt étouffée par de violents murmures, et cet accueil lui imposa un silence éternel.

Cependant, le comité diplomatique, influencé à son origine par Mirabeau, resta dans une juste ligne, et eut occasion, dans les premiers jours d'août, de faire un grand acte de politique nationale, å l'occasion des démêlés dont nous avons parlé; il proposa non-seulement de soutenir l'Espagne, et de lui fournir le contingent fixé par le pacte de famille, mais encore de le porter à quarante-cinq vaisseaux. A la vérité, il était plus aisé d'expédier un décret que de faire sortir la flotte de Brest. Néanmoins cette fermeté en imposa au gouvernement britannique, qui se contenta d'une satisfaction insignifiante, bien convaincu qu'une occasion plus propice ne tarderait pas à se présenter. Il avait d'ailleurs trouvé dans ces démonstrations le moyen de se faire assigner les fonds nécessaires pour continuer ses préparatifs en silence. Quelques jours après, l'assemblée pria le roi de négocier avec les petits princes allemands possesseurs de biens en Alsace, et qui se trouvaient lésés par les décrets sur les priviléges ou droits féodaux. On ne s'attendait guère alors que des réclamations d'une si mince importance, deviendraient le prétexte d'une guerre sans exemple.

Ces débats solennels sur les intérêts extérieurs

Une résolution, plus funeste encore que celle-là, fut prise deux mois plus tard, à la suite de quelques débats sur un passage de troupes autrichiennes autorisées à traverser le territoire français pour se rendre en Belgique; un comité diplomatique fut chargé, sur la motion de Fréteau et d'Aiguillon, d'interpeller les ministres sur toutes les relations extérieures de la France; dès lors les transactions les plus délicates et les plus discrètes des cabinets, devinrent des objets de discussions à la tribune publique. Les débats qui venaient d'avoir lieu relative-firent diversion à la véritable situation du royaume. ment à des matières politiques, étaient cependant bien faits pour dégoûter les hommes d'État de cette nouvelle manière de procéder; on applaudissait à outrance les orateurs qui croyaient aux protestations faites par lord Stanhope et le docteur Price, au nom de la société des amis de la révolution; on berçait les esprits faibles des charmes que deux nations, jadis rivales, devaient trouver dans leurs nouvelles relations. L'esprit de parti dénature tout: il fut un instant où les philosophes de l'assemblée ne virent de véritables amis qu'à Londres; le seul Martineau, député obscur, mais dont le nom doit passer à la postérité, osa crier « que les Anglais,

(1) Il faut rendre le ministère responsable des traités, mais lui en laisser le droit exclusif comme en Angleterre.

TOME I.

La nation venait de conquérir des droits précieux sans doute; mais rompant cette union qui constituait sa force, elle avait substitué des théories vagues à une administration dont les ressorts étaient puissants: les liens sociaux se trouvant ainsi relâchés, un vaste champ fut ouvert aux passions, aux intérêts individuels, à l'ambition personnelle, qui trop souvent prennent les dehors du bien public et du patriotisme. Des désordres menaçants éclatèrent dans les colonies; Saint-Domingue et la Martinique se trouvaient dans une agitation qui présageait les plus grands malheurs : l'escadre de Brest faisait craindre une insurrection; des scènes de carnage se passaient à Nancy dans le régiment suisse de Château-Vieux, et des excès commis à Nîmes provoquaient la fédération du camp de Jalès.

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La constitution civile du clergé, décrétée le 12 | convient de jeter un coup d'œil sur la situation pojuillet, et que le roi n'avait sanctionnée qu'à regret litique à la fin de 1791. après un long retard, imposait aux ministres des autels un serment auquel la plupart répugnaient de se soumettre. Une nouvelle loi, rendue le 27 novembre, exigea d'eux cette formalité plus impérieusement. Ces mesures inconsidérées envers des hommes toujours prêts à colorer leur désobéissance du zèle de la foi, achevant de les exaspérer, ajoutèrent le danger des troubles religieux à la violence des troubles civils.

L'année 1791 commença sous les mêmes auspices que les précédentes : les insurrections se multipliaient, et les désastres occasionnés par celle de Saint-Domingue glacèrent d'effroi tous les Français capables d'en apprécier les suites. L'émigration des nobles avait un caractère alarmant, et ses résultats devaient être plus funestes encore que ceux de l'édit de Nantes.

L'assemblée des jacobins prenant un essor redoutable, signalait déjà les amis d'une monarchie constitutionnelle comme des ennemis du peuple, et des partisans d'un despotisme déguisé sous de plus belles formes ; l'esprit de démocratie devenait plus général, et allait bientôt faire place à une démagogie dégoûtante.

Les hommes les plus prononcés de l'assemblée commencèrent à redouter l'anarchie; Mirabeau luimême chercha à se rapprocher de la cour, et promit au roi de sauver le vaisseau de l'État, dont un naufrage semblait inévitable. Sa mort prématurée, qui arriva à l'instant où il se mettait en devoir d'exécuter les projets arrêtés entre lui et le ministère, a laissé croire que ses ennemis l'avaient empoisonné.

Dès lors la marche des événements devint plus inquiétante, le roi était sans cesse humilié. Ce prince voulant aller à Saint-Cloud, le 18 avril, fut arrêté sur la place Louis XV par un bataillon de gardes nationales, et forcé de rentrer au palais; on le tenait depuis longtemps dans une espèce de captivité, et l'assemblée en fixant, au mois de mai, les Tuileries pour lieu de son séjour, sanctionna en quelque sorte cette opinion.

A cette époque les démarches diplomatiques annonçaient une alliance de puissances étrangères contre la France; avant d'en indiquer l'origine, il

CHAPITRE III.

Aperçu de l'état de l'Europe en 1791.

L'état où se trouvaient les puissances européennes dans les premiers moments de la révolution a été esquissé au chapitre 1.

On y a tracé les démêlés de la Russie avec la Porte et la Suède, les mouvements agonisants de la nation polonaise, les espérances et les craintes que la constitution du 3 mai 1791 faisait concevoir, enfin les changements que la paix de Varela et celle Jassy devaient apporter dans la situation du nord de l'Europe.

Nous n'avons donc qu'à suivre la marche des événements, et à retracer ici ceux qui amenèrent l'intervention des puissances dans les affaires de France.

La Russie, toujours gouvernée par l'illustre Catherine, était encore engagée dans une guerre pénible et sanglante avec les Turcs; elle avait besoin d'en cicatriser les plaies, et souhaitait la paix pour attendre l'occasion de faire repentir la diète de Varsovie de s'être donné une constitution. Si Catherine adopta, en 1780, un système assez sage pour se rapprocher des intérêts maritimes du cabinet de Versailles, elle était trop habile aussi pour ne pas tirer parti d'un changement de circonstances, et profiter de l'embrasement général du Midi, afin de porter un dernier coup à la nation polonaise qui, par la révolution de 1789 et ses nouvelles institutions, avait détruit l'influence de la czarine sur le faible Stanislas. Sa politique était donc d'encourager la résistance des émigrés et les projets de coalition générale contre les principes alarmants propagés en France; c'était mettre aux prises et armer les une contre les autres toutes les puissances dont l'intervention aurait pu gêner ses projets.

La Suède, après avoir langui longtemps sous le joug d'un sénat ombrageux qui tenait le pouvoir

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