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La Prusse et l'Autriche purent justifier ce pre- | cier et d'accepter les propositions qui lui avaient mier partage par l'importance des acquisitions été faites. qu'elles firent; mais il semble que ces deux puissances auraient dû s'en tenir là, et donner la plus grande consistance et la plus grande force intérieure à ce qui restait de la Pologne, puisque, dès lors, elle devenait une barrière importante pour elles. Au lieu d'en agir ainsi, elles consacrèrent, par une constitution vicieuse, tous les abus qui garantissaient de nouveaux troubles (1).

Pendant que le ministère français oubliait ses intérêts les plus puissants, les armes ottomanes luttaient avec des succès balancés contre celles de Catherine. L'année 1772 se passa en préparatifs et en négociations, un armistice fut conclu et des conférences se tinrent à Focksani: mais ce repos apparent était trompeur, la véritable cause doit en être attribuée à ce qui se passait en Pologne, et à l'intérêt qu'avait l'impératrice de ne rien donner au hasard en Bulgarie, dans l'instant où l'affaire importante du partage s'achevait.

La paix de Kainardgy fut le résultat de ces derniers succès; elle n'offrait aucune condition brillante, mais elle assurait aux Russes des avantages réels en leur ouvrant un commerce considérable avec le Levant et la mer Noire, et en leur promettant la domination future sur la Crimée, qui fut déclarée indépendante pour l'instant, et livrée, le fait même de cette indépendance, à tous coups que Catherine ne devait pas tarder à lui porter.

par

les

Les choses en étaient là, lorsque Louis XVI monta sur le trône (1774). Depuis deux ans, le premier partage de la Pologne était consommé, et une paix générale ne donnait aucun espoir de revenir sur cette opération. On devait se borner à chercher les moyens d'en prévenir le renouvellement. Nous avons déjà dit comment le nouveau ministère de Louis, dirigé par Turgot et Vergennes songea aux moyens d'indemniser la France, par une guerre maritime heureuse, de tout ce qu'elle avait eu à souffrir sous le règne precédent, et particulièrement depuis la mort de madame de Châ

Les opérations, en 1773, furent assez favorables aux Turcs, qui évitaient des batailles générales, et se bornaient à une série de combats partiels, où la part du courage tumultueux est moins incer-teauroux On a vu aussi le résultat heureux de leurs taine. Le maréchal de Romanzof passa le Danube, efforts. Cette lutte n'amena d'autre changement et s'avança sur Silistrie; mais la grande supériorité dans la marche des affaires au Nord, que la fade ses ennemis le fit échouer, il revint en Mol-meuse transaction de 1780 pour garantir le comdavie; et les Tures franchirent le Danube à leur tour.

La campagne de 1774 fut poussée de part et d'autre avec vigueur. Mahomet III était mort, et son successeur, voulant réparer les désastres de son règne, avait fait des levées considérables; mais Romanzof ayant été renforcé, passa sur la rive droite du Danube.

Les Turcs avaient divisé leurs forces. Tandis que Suwarow et Kamensky battaient complétement une partie de leur armée, Romanzof manoeuvra pour couper le visir de ses autres corps, et parvint en effet à l'investir, en quelque sorte, dans son camp de Schumla, où ce ministre s'empressa de négo

(1) Cette singulière constitution donnée en 1775, sous le prétexte de mettre un terme aux troubles de Pologne, établissait un gouvernement électif, proscrivait tous ceux qui osaient parler d'hérédité et de donner de la considéra

merce des neutres, dont nous avons déjà fait mention, et à la quelle la Russie, la Suède, le Danemark et la Hollande accédèrent également.

La guerre de la succession de Bavière ne fit pas grande sensation en Europe: on sait que l'électeur étant mort sans enfants, l'Empereur avait voulu envahir ses États et en disputer la succession au palatin. Frédéric s'arma pour empêcher le démenbrement de l'empire germanique et l'atteinte portée à sa constitution. La France, engagée dans une guerre avec les Anglais, ne jugea pas devoir diviser ses moyens par une guerre continentale; mais les négociations de Vergennes secondèrent Frédéric, qui eut au reste l'honneur de cette noble résistance.

tion à l'autorité royale: ce devait être pour toute l'Europe une preuve suffisante qu'un nouveau partage était déjà décidé.

Mais il ne faut pas anticiper sur les événements; revenons à la situation du Nord.

Ce grand roi termina, le 17 août 1786, sa glo- | suis imposées, retracer les vices d'organisation inrieuse carrière. L'Europe était en paix. Une alliance térieure qui ont causé si longtemps les malheurs des princes allemands, conclue en 1785, semblait de la nation polonaise, en divisant et paralysant devoir lui assurer quelques années de repos, lors- les efforts qu'elle a souvent faits pour reprendre le que les troubles de Hollande et ceux de France rang qu'elle occupait parmi les nations du premier vinrent renverser toutes ces espérances. ordre dans le 15° siècle. Tout le monde sait que le système de la féodalité la plus servile pesait alors sur ces peuples. Le sort, les propriétés, l'honneur de la Pologne étaient remis entre les mains de vingt familles dominantes, et de quelques milliers de familles nobles, moins riches, moins puissantes que les premières, mais qui se craignaient entre elles, et appelaient liberté le droit de n'être gouvernées par personne, ou de l'être selon les caprices et les intérêts particuliers de chaque coterie.

L'Angleterre, mécontente de la neutralité armée proclamée en 1780, et des entraves que la Russie mettait à son commerce dans la Baltique par son traité avec la France, ou redoutant peut-être l'influence qu'une telle puissance pourrait exercer un jour sur les mers et sur le continent, employait tous les moyens pour arrêter l'impulsion que lui donnait Catherine, et les projets de son ministre Potemkin. La Prusse suivait la même politique, autant par le sentiment de ses convenances que par l'influence des guinées anglaises.

L'Autriche, entraînée par les projets de Joseph, ne savait trop à quel système il lui convenait de s'arrêter; en attendant, elle ne calculait que les avantages du moment et s'apprêtait à faire la guerre pour éloigner le croissant de ses frontières et pour lui reprendre la Servie,

Les entrevues de Joseph et de Catherine, et ce fameux voyage en Tauride, n'eurent, au moins suivant les apparences, d'autre but que la Turquie : ses vues sur la Pologne ne parurent pas encore s'étendre jusqu'à un partage absolu.

La France se trouvait dans les convulsions qui sont les avant-coureurs d'une grande révolution; elle était peu disposée à entreprendre des guerres dont elle ne calculait que le mal momentané, sans s'inquiéter du mal plus grand qu'elles auraient pu

éviter.

Les Polonais, affaiblis par le premier démembrement, mais éclairés sur les dangers qui menaçaient leur patrie, étaient généralement d'accord pour s'y soustraire, et non sur les moyens d'y parvenir. Depuis plusieurs années la république avait éprouvé toutes les horreurs des guerres civiles et étrangères. Les troupes russes appelées par un parti étaient restées dans le pays, et dominaient à Varsovie. Enfin le roi Stanislas laissait à l'ambassadeur russe le soin de gouverner son royaume.

Je ne pourrais, sans passer les bornes que je me

Les malheurs prolongés de leur patrie, l'anarchie qui la désolait et l'affaiblissait, firent sentir un peu tard à tous les Polonais éclairés, que le système d'une monarchie élective, qui flatte l'amour-propre des hommes, est peu d'accord avec leurs passions, bien moins encore avec leurs intérêts. La position de ce pays entouré d'ennemis redoutables par leur puissance (1), et dont quelques-uns l'étaient plus encore par leur politique et leur adresse à profiter de l'inertie du gouvernement, suffisait seule pour assurer sa perte sous un ordre de chose pareil.

Le premier partage, et le danger d'être entièrement subjugués, éclairèrent tous les partis, et les décidèrent à réformer ces abus qui, malgré leur dévouement et leurs efforts, les menaçaient d'une ruine certaine. Les choses en étaient cependant à un tel point, que cette réforme devenait presque impossible, puisque la constitution qu'il fallait renverser, était celle-là même que les puissances envahissantes avaient donnée au pays, et qu'elles s'étaient engagées de maintenir à force ouverte. On ne devait pas trouver moins d'obstacles non plus dans l'influence de la czarine, sur l'esprit faible de Stanislas et d'une partie des grands du royaume.

La réforme des lois, à Varsovie, ne pouvant donc s'opérer qu'avec la sanction du cabinet de SaintPétersbourg, il fallait renoncer à toute autre voie qu'à celle des armes; et on ne pouvait se flatter de réussir qu'en profitant d'un moment favorable où

(1) La Russie, l'Autriche, la Prusse, la Turquie.

les forces de la Russie seraient occupées ailleurs. | ottoman d'une ruine qui paraissait inévitable, si les

La guerre qui éclata en 1788, entre les Russes, les Autrichiens et la Turquie d'un côté, la Russie et la Suède de l'autre, ne tarda pas à en fournir l'oc

casion.

Cette guerre, provoquée par une déclaration des Turcs, attribuée par M. de Ségur à la politique de l'Angleterre et de la Prusse, paraît, suivant M. Castera, avoir été prévue et désirée par Catherine. Il est difficile de décider entre deux assertions aussi différentes. M. de Ségur affirme que l'armée russe n'était ni assemblée ni préparée, et que Potemkin fut pris en défaut. Castera dit, au contraire, que la rupture était si fort prévue et désirée, que les troupes avaient déjà filé en grand nombre dans le Cuban, et que les armées de Catherine couvraient la terre depuis Kaminieck jusqu'à Balta (1).

Quoi qu'il en soit, les hostilités commencèrent sérieusement en 1788. Les armes ottomanes, d'ad'abord malheureuses, se maintinrent néanmoins par la division extrême des forces des deux empires

alliés.

Cette guerre fut sanglante, et les succès souvent balancés : l'armée autrichienne, disséminée en cordon, d'après le système de Lascy, essuya des pertes énormes, partie par le fer des Turcs conduits par le grand visir Jussuf, partie par les maladies. L'arrivée seule du maréchal Laudon ramena un système de concentration plus conforme aux principes, et Belgrade tomba sous ses coups.

Les armées russes, entreprenant également sur plusieurs points à la fois, étaient tantôt victorieuses, tantôt repoussées mais elles conservaient néanmoins leurs forces plus réunies que celles de leurs alliés, et leurs ennemis ne trouvaient point ainsi l'occasion de les entamer. Cependant, conduites par Potemkin, elles perdirent des années à faire inutilement le siége de quelques places qui n'auraient pu tenir quinze jours, si elles avaient été attaquées en règle, et qu'après dix mois de siége on fut encore forcé d'enlever d'assaut avec des pertes énor

mes.

deux armées alliées, profitant de leur supériorité dans les batailles, s'étaient décidées à une guerre d'invasion. Ce système paraissait d'autant plus naturel dans cette circonstance, que, suivant toutes les probabilités, son entier succès dépendait d'une victoire sous les murs de Constantinople. A cet effet, les Russes auraient dû franchir ou tourner le mont Balkan avant la saison du rassemblement des grandes forces turques, et marcher sur Andrinople; tandis que l'armée autrichienne aurait pris la même direction en appuyant à gauche par Sophie et par Belgrade, Novi-Pazar ou Widdin. Ce mouvement combiné eût probablement décidé du sort de l'empire ottoman en Europe. Pour assurer d'autant mieux sa réussite, la flotte aurait dû venir en même temps jeter l'ancre dans le golfe de Burgas au revers du Balkan, afin de porter, sur ce point important, la base des approvisionnements de l'armée, aussitôt qu'elle serait arrivée vers Andrinople. Tel est au moins l'aperçu des points stratégiques indiqués par les règles de l'art. J'ignore si les communications directes, et celles de Nikopoli sur Sophie, sont de nature à permettre ce mouvement, et praticables pour du canon; mais j'ai lieu de le croire, et on aurait toujours pu embarquer le gros du matériel pour le faire arriver par Burgas. Au lieu d'adopter un système de guerre vigoureux et rapide, les armées des deux empires commirent des fautes graves, se divisèrent sur un front immense et attaquèrent l'ennemi sur les points les plus favorables à la défense.

Toutefois les troupes ottomanes, victorienses des Autrichiens à Statina, durent céder à l'ascendant des armées russes; Potemkin leur enleva Oczakow après des attaques meurtrières et un assaut plus sanglant encore. Vaincues ensuite par Suwarow à Foczany et à Rimnisk (1789), par Potemkin à Bender, elles eussent fini par succomber quand d'heureuses diversions vinrent les tirer d'embarras.

Tandis que le sang des deux partis coulait depuis Belgrade, et même depuis Dubicza et les rives de Ces fautes, cette lenteur, sauvèrent l'empire la Sawe jusqu'à Oczakow, sur la mer Noire, la

(1) L'entrevue de Catherine et de Joseph II à Cherson, fait croire que l'impératrice était préparée à la guerre, et que Castera a raison : il paraît au reste que ce fut la con

naissance de ses projets d'invasion qui détermina les alliés des Turcs à les exciter à prendre l'initiative et à ne pas attendre l'exécution de ses desseins.

Prusse et l'Angleterre s'entendaient en secret pour susciter des ennemis à Catherine, et mettre des obstacles à ses entreprises : elles animaient les Polonais, et les Suédois, en les engageant à profiter de l'absence des armées russes, pour reprendre leur rang et reconquérir les provinces qu'ils avaient perdues.

Gustave III, roi de Suéde, jeune prince doué d'une ambition demesurée, d'une imagination ardente plus que d'un jugement solide; d'une valeur impétueuse plutôt que d'un courage soutenu, n'hésita pas à se prononcer. Favorisé par la position de ses établissements maritimes dans le golfe de Finlande, et par la médiocrité de l'escadre que la czarine entretenait sur la mer Baltique, il se berça des plus belles espérances et forma le projet de porter le théâtre de la guerre jusque dans Saint-Pétersbourg, au moment même où toutes les forces de son irréconciliable ennemie s'avançaient dans la Moldavie jusque sur le Danube.

La Pologne ne pouvait perdre une si belle occasion: animée par les instigations du ministre prussien Hertzberg, la diète et la noblesse commencèrent en 1788 à faire entendre les mots de réforme et d'amélioration. Catherine, instruite des démarches du cabinet prussien, qui visait à la possession importante de Thorn et de Dantzig, inquiète peutêtre de la fermentation qui régnait en Pologne, fit proposer au gouvernement de ce pays de s'unir avec elle par une alliance.

Comme l'observe fort bien M. de Ségur, cette proposition était une faute politique (1). Les Polonais jugeant leur position, en appréciaient tous les avantages: il est donc facile de concevoir l'effet que l'offre de Catherine dut produire sur la diète à l'instant même où les armes des Turcs et des Suédois, jointes aux promesses de la Prusse, faisaient naître dans tous les cœurs l'espoir d'une liberté prochaine; la faiblesse que l'impératrice semblait témoigner par cette démarche, doubla à tous les yeux l'embarras où on la supposait.

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L'ambassadeur Luchesini, excitant ces passions, prétendit « que la nation polonaise avait un allié » plus sûr et plus naturel dans le roi de Prusse; qu'elle était trop éclairée pour tomber dans un » piége si grossier, et oublier tant d'injures; qu'elle » devait repousser avec mépris une alliance hon» teuse, briser un joug odieux, et reconquérir des » droits sacrés. » Le ministre d'Angleterre appuyait ces discours.

Les Polonais regardant Frédéric - Guillaume comme un ange tutélaire, envoyé par le ciel, se prononcèrent avec vigueur, repoussèrent l'alliance, refusèrent le passage aux troupes russes, renvoyèrent celles qui se trouvaient sur leur frontière, et firent enfin casser le conseil de gouvernement et la constitution de 1775.

Cette résolution énergique excita naturellement dans Catherine un ressentiment proportionné au danger dont elle la menaçait; mais ayant trop à faire chez elle pour s'occuper alors de ses voisins; elle dissimula sa vengeance, sans négliger aucun des moyens qui pouvaient la rendre plus terrible.

Le ministère prussien, alors dirigé par Hertzberg, déploya à cette époque une activité et un système remarquables. Une alliance offensive conclue avec les Turcs le 31 janvier 1790, et un traité de garantie signé avec la Pologne le 29 mars suivant, en sont des monuments durables. Cet homme élevé à l'école du grand Frédéric voyait bien à quel danger la Prusse serait exposée, si la chute de l'empire ottoman laissait disponibles les forces colossales des deux souverains alliés, alors d'autant plus dangereuses pour elle, que sa rivalité avec l'Autriche était trop récente et trop prononcée pour laisser le moindre doute sur les suites graves qui en résulteraient, En conséquence, il décida Frédéric-Guillaume à rassembler une armée de quatre-vingt mille hommes en Silésie, pour empêcher l'empepereur Joseph de continuer ses hostilités contre la Porte Ottomane, et faire ainsi retomber sur Catherine tout le poids de la guerre.

(1) Si l'on devait toujours raisonner d'après les événeen 1790, on trouvera que cette alliance n'était pas natuments, il paraîtrait que la Pologne, en s'alliant franche-relle. En tout cas, si le partage total avait été à prévoir, il ment à Catherine et à ses projets, aurait évité le sort cruel qui la frappa plus tard, ou du moins qu'elle l'eût retardé longtemps. Mais, en se reportant à l'état des affaires

eût incontestablement mieux valu associer la Pologne entière à la grandeur de Catherine, que de la voir morceler et détruire.

Sur ces entrefaites, Joseph mourut, et son successeur, Léopold, apportant sur le trône des dispositions plus pacifiques que belliqueuses, les démonstrations de la Prusse eurent leur effet. Léopold retira une partie de ses forces de la Servie pour les porter en Bohême. Le cabinet de Vienne, fatigué d'une guerre qui lui coûtait d'immenses sacrifices, et dont le plus beau résultat n'était peut-être pas même dans ses intérêts, ne demandait pas mieux que de saisir cette occasion, pour isoler sa cause de celle de Catherine. Mais Hertzberg offrait des conditions un peu dures; il voulait faire cesser définitivement tout point de rivalité entre la Prusse et la Pologne, en se faisant céder les places si fort convoitées de Thorn et de Dantzig; en échange, il proposait de faire rendre la Galicie aux Polonais, en indemnisant l'Autriche sur une partie de la Servie ces prétentions mirent quelque temps des entraves à un arrangement auquel néanmoins Léopold eût été forcé d'accéder, pour éviter une double guerre.

Les préparatifs redoublaient de part et d'autre, et tout annonçait un embrasement général en Europe, lorsqu'un événement auquel personne ne s'at. tendait, changea totalement les affaires. FrédéricGuillaume avait un goût prononcé pour les plaisirs, et un grand éloignement pour les embarras et les fatigues de la guerre; Bischoffswerder prenait chaque jour plus d'ascendant sur son esprit, et les agents de Léopold ne manquaient pas de l'appuyer. Le roi sourdement prévenu contre son vieux ministre, ou contre son système, prit tout à coup la résolution de terminer malgré lui ses démêlés avec l'Autriche, et ordonna impérativement à Hertzberg de signer des préliminaires opposés à ses vues, et dans les intérêts de la cour de Vienne, bien plus que dans ceux du cabinet de Berlin. Une convention, conclue le 27 juillet 1790 à Reichembach, en Bohême, mit fin à ces démonstrations. L'Autriche promit de rendre toutes ses conquêtes aux Turcs, à l'exception de Choczim; mais elle garda la Galicie. Frédéric-Guillaume ne parla plus de Thorn ni de Dantzig; son armée se retira, et le ministre Hertzberg, abreuvé de dégoûts, donna sa démission, emportant avec lui toutes les grandes idées

que Frédéric avait laissées à la Prusse. D'un autre côté, le roi de Suède, après plusieurs

affaires navales plus brillantes que décisives, et quelques revers en Finlande, jugea que la lutte l'exposait à plus de périls qu'il n'en pouvait espérer de succès, et fit sa paix particulière avec la Russie, à Varela, le 14 août de la même année.

Cependant les Polonais, animés du désir de mettre un terme aux abus qui avaient causé tous leur maux, procédaient à cette régénération avec un calme inconnu dans leurs diètes depuis plus d'un siècle, et qui prouvait d'autant mieux les sacrifices particuliers qu'ils faisaient tous pour atteindre au but louable de sauver leur patrie.

Cette constitution si vivement désirée, si impatiemment attendue, parut enfin le 3 mai 1791. Elle rendit le trône héréditaire, afin d'éviter les commotions éternelles que le système électif avait occasionnées. La princesse de Saxe et sa descendance mâle furent appelées à la succession, après la mort de Stanislas-Auguste. La puissance royale, rendue plus fixe, se trouva limitée par de sages institutions, et le bonheur de la Pologne semblait assuré.

Pendant que la diète croyait poser les bases de la félicité publique, les Russes, abandonnés par les Autrichiens dans leurs opérations contre les Turcs, n'en avaient pas moins continué la guerre avec vigueur. Le visir Jussuf, moins heureux contre le prince Repnin, qu'il ne l'avait été contre le cordon de Lasry, fut totalement défait à Matzin : Suwarow emporta Ismaël, après un carnage affreux qui coûta la vie à 20,000 Turcs; Warna allait succomber, et l'armée du grand visir était en danger d'être coupée.

Ces succès menaçants réveillèrent Frédéric-Guil laume. Ce prince versatile avait trop bien jugé néanmoins la politique de son illustre prédécesseur, pour qu'il ne revînt pas, par la force des circonstances, au système de Hertzberg. Il sentit le besoin de se prononcer; mais, toujours guidé par le même esprit de parade, il se borna à une guerre de plume, que Catherine apprécia à sa juste valeur, et, pendant que les ministres prussiens remettaient des notes dont on s'amusait; Potemkin, Repnin et Suwarow, gagnaient des batailles, et menaçaient d'aller à Constantinople.

Cependant le danger devint tellement pressant, que Frédéric-Guillaume crut enfin devoir rassem

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