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PIÈCES JUSTIFICATIVES

DES LIVRES II ET III.

1792.

No 1.

par le soin d'une légitime défense, est essentiellement injuste; et de s'unir particulièrement aux

Note adressée à Lord Grenville, par M. Chauvelin, dispositions de S. M. Britannique pour la tran

du 19 juin 1792.

quillité de l'Europe, qui ne serait jamais troublée, si la France et l'Angleterre s'unissaient pour la maintenir.

Mais cette déclaration du roi et les dispositions de Sa Majesté Britannique l'autorisent à espérer qu'elle se portera aussi avec empressement à employer ses bons offices auprès de ces mêmes alliés, pour les détourner d'accorder aux ennemis de la France, directement ou indirectement, aucune as

Le soussigné, ministre plénipotentiaire de S.M. le roi des Français, a fait parvenir à S. M. la note officielle que lord Grenville lui a adressée le 24 mai dernier, de la part de S. M. Britannique, en réponse à celle qu'il avait eu l'honneur de lui remettre, le 15 de ce même mois; ainsi que la proclamation royale, publiée en conséquence. Il a reçu l'ordre de présenter à S. M. Britannique le témoi-sistance; et pour leur inspirer, relativement à ses gnage de la sensibilité du roi aux dispositions amicales et aux sentiments d'humanité, de justice et de paix, si bien manifestés dans cette réponse.

Le roi des Français en a recueilli avec soin toutes les expressions. Il se plaît en conséquence à donner de nouveau, au roi de la Grande-Bretagne, l'assurance formelle que tout ce qui peut intéresser les droits de S. M. Britannique, continuera à être l'objet de son attention la plus particulière et la plus scrupuleuse.

Il s'empresse en même temps de lui déclarer, | conformément au désir énoncé dans cette réponse, que les droits de tous les alliés de la Grande-Bretagne qui n'auront point provoqué la Francè par des démarches hostiles, seront, par lui, non moins religieusement respectés.

En faisant, ou plutôt en renouvelant cette déclaration, le roi des Français jouit de la double satisfaction d'exprimer le vœu d'un peuple, aux yeux de qui toute guerre qui n'est point nécessitée

TOME 1.

droits, c'est-à-dire, à son indépendance, les égards que la France est prête à manifester en toute occasion pour les droits de toutes les puissances qui demeureront envers elle dans les termes d'une stricte neutralité.

Les mouvements que s'est donnés le cabinet de Vienne auprès de diverses puissances, et principalement auprès des alliés de S. M. Britannique, pour les engager dans une querelle qui leur est étrangère, sont connus de toute l'Europe. Si l'on en croit même le bruit public, ses succès auprès de la cour de Berlin lui en préparent de nouveaux auprès des Provinces-Unies. Les menaces employées auprès de divers membres du corps germanique, pour les faire sortir de cette sage neutralité, que leur situation politique et leurs intérêts les plus chers leurs prescrivent, les arrangements pris avec divers souverains d'Italie, pour les déterminer à agir hostilement contre la France; et enfin, les intrigues qui viennent d'armer la Russie contre la

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constitution de la Pologne: tout annonce de nouveaux indices d'une vaste conjuration contre les Etats libres, qui semble vouloir précipiter l'Europe dans une guerre universelle.

Les conséquences d'un tel complot, formé du concours de puissances si longtemps rivales, sont aisément senties par S. M. Britannique. L'équilibre de l'Europe, l'indépendance de divers États, la paix générale; tout ce qui, dans tous les temps, a fixé l'attention du gouvernement anglais, se trouve à la fois compromis et menacé.

Le roi des Français présente ces graves et importantes considérations à la sollicitude et à l'amitié de S. M. Britannique. Vivement pénétré des marques d'intérêt et d'affection qu'il en a reçues,

de ses alliés et Sa Majesté a cru que, dans les circonstances actuelles de la guerre déjà commencée, l'intervention de ses conseils et de ses bons offices ne pourrait être utile, à moins que d'être désirée par toutes les parties.

Il ne reste donc au soussigné que de réitérer à M. Chauvelin l'assurance des vœux que Sa Majesté forme pour le retour de la tranquillité, de l'intérêt qu'elle prendra toujours au bonheur de S. M. TrèsChrétienne, et du prix qu'elle attache à son amitié et à la confiance qu'elle lui a témoignée.

N° 2.

étrangères, à l'assemblée nationale.

il l'invite à chercher dans sa sagesse, dans sa posi- Rapport de Chambonas, ministre des affaires tion et dans son influence, les moyens compatibles avec l'indépendance de la nation française, d'arrêter, tandis qu'il est temps encore, les progrès de cette ligne qui menace également la paix, la liberté, le bonheur de l'Europe, et de détourner surtout de toute accession à ce projet, ceux de ses alliés qu'on pourrait vouloir y entraîner, ou que même on serait parvenu à y entraîner déjà par la crainte, la séduction, et les divers prétextes de la plus fausse comme de la plus odieuse politique.

Réponse adressée par Lord Grenville à
M. Chauvelin.

Whitehall, le 8 juillet 1792.

Le soussigné, secrétaire du roi, a eu l'honneur de mettre sous les yeux de Sa Majesté la note que M. Chauvelin lui a adressée le 18 juin.

Le roi reçoit toujours avec la même sensibilité, de la part de S. M. Très-Chrétienne, les assurances de son amitié et de ses dispositions pour le maintien de cette heureuse harmonie qui subsiste entre les deux empires. Sa Majesté ne refusera jamais de concourir à la conservation ou au rétablissement de la paix en Europe, par des moyens propres à produire cet effet, et compatibles avec sa dignité et avec les principes qui dirigent sa conduite. Mais les sentiments qui l'ont déterminée à ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures de la France, doivent également la porter à respecter les droits et l'indépendance des autres souverains, et surtout

On a dû prévoir dès l'origine de la révolution française, qu'elle nous attirerait de nombreux et puissants ennemis : au dedans, ceux dont le nouveau régime contrariait les intérêts, les passions, les préjugés : au dehors, des princes qui en redoutaient les effets pour leur autorité arbitraire; ou qui, voulant profiter de nos troubles et de nos divisions, les ont prolongés par des vues d'agrandissement. A cette époque, presque toutes les chances nous étaient favorables: la Russie, livrée aux embarras d'une double guerre contre la Suède et la Turquie : l'Autriche, épuisée par trois campagnes brillantes mais ruineuses; occupée au Levant à conquérir des déserts qu'elle devait restituer ensuite; occupée à l'Occident à regagner de riches provinces soulevées; et menacée plus ou moins de mouvements populaires et d'insurrection dans les différentes parties de ses vastes domaines : la Prusse, qui avait sourdement préparé à sa rivale tous ces embarras. n'attendant plus que l'occasion de se déclarer ouvertement pour lui porter le dernier coup: l'Angleterre et l'Espagne sur le point de se faire une guerre acharnée pour de misérables factoreries, pour de petits intérêts mercantiles : toute l'Europe enfin, travaillée dans tous les sens, soit par l'ambition des principales puissances, soit par le mécontentement général des peuples, en qui l'exemple des Français avait réveillé le sentiment de leurs droits et de leurs forces: telle était la situation po

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litique des États, dont nous avons maintenant à | ont constamment. manqué à leur parole. C'est surcraindre les dispositions malveillantes. Le données tout dans leurs électorats que les émigrés ont trouvé ne sont plus les mêmes; les passions des princes asile et protection; qu'ils se sont exercés publiont pris un autre caractère : il faut se frayer une quement. On peut donc les regarder comme des route nouvelle, et en calculer la direction sur les ennemis déclarés ; et on ne blessera aucune loi, en rapports actuellement existants. Quels sont ces les traitant comme tels. rapports? c'est ce que je me propose de mettre sous les yeux de l'assemblée nationale.

Il ne faut pas se dissimuler qu'il existe dans presque toutes les cours de l'Europe, un esprit d'opposition aux principes de liberté, qui sont la base de la constitution française; mais il en est, dont le ressentiment s'est manifesté d'une manière plus prononcée. La maison d'Autriche, fidèle au plan d'une ambition héréditaire, a vu dans nos troubles un moyen d'agrandissement; et, parvenue à faire prendre le change à la maison de Brandebourg sur ses véritables intérêts, elle se dispose à recueillir seule les fruits de nos divisions. Cependant, quoique la rupture du traité de 1756 doive, encore plus que nos principes, aliéner le cabinet de Vienne, il paraît que cette guerre n'est pas vue de très-bon œil par la cour elle-même, et par le roi de Hongrie et de Bohême; et si de longues hostilités n'aigrissent pas les esprits, il sera possible de reprendre les négociations, pourvu qu'elles s'appuient sur d'autres bases que celles du traité de Versailles, et qu'elles ne compromettent pas les engagements que nous avons pris avec nos alliés.

La cour de Berlin paraît également animée contre la France quoiqu'on puisse ne la regarder que comme auxiliaire du roi de Hongrie et de Bohéme. Il est cependant vrai de dire que cette animosité ne paraît pas partagée par la nation, par les hommes d'État et par les vieux généraux formés à l'école du Grand Frédéric : que cette alliance monstrueuse entre la Prusse et l'Autriche, qui menace l'indépendance de l'association germanique, ne saurait être durable, fût-elle fondée sur des Traités de partage; et que la Prusse peut encore revoir dans la France son alliée naturelle.

Les dispositions des électeurs de Trèves et de Mayence ne sont pas moins prononcées : malgré toutes leurs protestations, dues uniquement à la crainte d'attirer les armes françaises dans leurs États, et aux vives réclamations des habitants, ils

Il est inutile d'entrer ici dans le détail des divers États de l'association germanique; il suffira de présenter le tableau général de la diète actuelle. Les dispositions des esprits ne nous sont nullement favorables: il s'y exerce une surveillance trèsexacte, de la part des ministres malintentionnés pour nous, sur ceux, qui paraissent incliner en notre faveur. Ceux-ci, qui forment le plus petit nombre, le savent, et ne ne veulent point se compromettre.

Nous avons une forte majorité contre nous, soit dans le collége électoral, soit dans celui des princes et le collége des villes, qui nous serait peutêtre favorable, est soumis, dans les grandes affaires, à des influences supérieures. La neutralité de l'Empire est donc aujourd'hui la chose la plus certaine : car, parmi les princes qui paraissent se rapprocher de ce système, il en est plusieurs qui montreront des sentiments tout différents, lorsqu'ils verront leurs États garantis par les armes de Prusse et d'Autriche. Leur contingent ne serait pas formidable, soit par les lenteurs inséparables du rassemblement, soit par le caractère de leurs troupes mais on laissera l'option entre les troupes et l'argent; et le dernier moyen sera le plus expéditif. Aussitôt après la cérémonie du couronnement, l'Empereur fera une déclaration très-puissante pour entraîner l'Empire dans la guerre ; et cette déclaration pourra seule nous éclairer sur les dispositions de diverses cours d'Allemagne, et fixer nos idées sur cet important objet: mais, en général, ces dispositions ne sont rien moins que faites pour nous rassurer.

La Russie n'a jamais employé à notre égard cette dissimulation perfide, cette duplicité de sentiments qui nous avait trop aveuglés sur les intentions des cours de Vienne et de Berlin. Depuis longtemps elle s'était déclarée ouvertement l'ennemie de notre révolution et la protectrice des émigrés; elle a été un des principaux moteurs du concert des puissances; elle a rompu de bonne heure les communica

tions avec les agents français; la première, elle a | adhéré aux mesures concertées pour la destruction de notre constitution; son alliance avec la Suède n'avait d'autre objet qu'une expédition commune contre la France; enfin, les secours qu'elle a accordés aux émigrés, l'envoi d'un ambassadeur à Coblentz, ses rigueurs envers nos envoyés, quand ils étaient suspects de patriotisme; tout semblait nous indiquer cette puissance comme l'ennemie la plus acharnée. Sa conduite était entièrement dirigée dans ce sens; quand, tout à coup, elle a vu la Prusse s'engager dans une guerre sérieuse sur les bords du Rhin. Alors sa politique s'est dévelop. pée on a vu clairement que la France, dont on la croyait prête à partager les dépouilles, était bien | moins l'objet principal de son ambition que la Pologne. La direction de toutes ses forces de terre sur ce seul point, la lenteur des armements dans ses ports, et la défaveur sensible où sont tombés à la cour le prince de Nassau et un autre chef des émigrés; toutes ces circonstances engagent à croire qu'elle n'a réellement voulu que faire prendre le change aux cours de Vienne et de Berlin, sur ses véritables intentions. D'après les dernières nouvelles de Pétersbourg, il est certain qu'elle a refusé des secours aux Français; et que les émigrés, qui demandaient une escadre, n'ont pu obtenir qu'une frégate, qu'on leur a accordée, moins par intérêt pour eux, que pour débarrasser la Russie, de leur présence et de leurs sollicitations.

La mort de Gustave III a changé les dispositions de la cour de Suède. Le régent n'avait jamais partagé sur la France les opinions de son frère; il est aisé de prévoir qu'il ne donnera aucune suite aux engagements inconsidérés pris par le roi cependant il ne pouvait brusquer ce changement; et, pour se dispenser de suivre les clauses d'un traité récent, il a été obligé de commencer par garder de grands ménagements. Voilà pourquoi cette cour n'a pas encore repris ses communications avec nous mais les égards qu'elle témoigue à notre chargé d'affaires à Stockholm, la permission donnée à nos navires d'arborer dans les ports le pavillon national; la disgrâce des trois ministres qui nous étaient les plus opposés ; la lenteur de ses armements de terre et de mer; tout nous annonce qu'elle gardera une stricte neutralité.

Depuis longtemps le Danemark n'a d'autre potique que de rester spectateur immobile des querelles qui agitent l'Europe : cette modération assure sa paix et sa prospérité. Le ministre danois est trop éclairé pour changer aujourd'hui de système : nous pouvons donc être sûrs de sa neutralité, puisque la justice, son intérêt et son expérience la lui commandent également.

La cour de Sardaigne montre des intentions évidemment hostiles. L'accueil qu'elle fait aux émigrés, l'intérêt qu'elle porte au sort des princes, l'éclat qu'elle a fait en dernier lieu au sujet d'un ministre patriote, ses préparatifs de campagne, enfin l'arrivée prochaine d'un corps de 10,000 Autrichiens qui doivent se rendre après la moisson à Tortone, son acquiescement au concert des princes, tout annonce qu'il est instant de se mettre en garde contre cette puissance.

Lorsque l'on connaît les dispositions de la Sardaigne, il est inutile de parler de celles de la cour de Madrid : elle a, comme ses voisines, rompu les négociations avec la France, favorisé les émigrés : aujourd'hui elle développe toutes ses forces.

L'influence qu'a perdue le pape dans la France, la destruction du clergé, la prise de possession d'Avignon par la France, et plus encore la cessasation du payement des annates, nous ont fait de la cour de Rome une ennemie irréconciliable. Le pape a fait les plus vives réclamations contre la réunion d'Avignon; il s'est adressé à toutes les cours, même à la Russie, pour les faire appuyer. Il n'a voulu recevoir aucun agent français, sous quelque titre diplomatique que ce fût. Ainsi nous pouvons nous considérer comme dans un état de rupture déclarée avec le pape, qui attend vraisem blablement que l'attaque méditée ait lieu, pour joindre aux armements concertés des rois, les fou dres qu'il tient en réserve dans le Vatican,

La république de Venise a fait déclarer aux cours de Vienne et de Turin, qu'elle persistait dans ses anciens principes de neutralité. Cependant, quoiqu'elle ait fait la paix avec la régence de Tunis, elle n'a pas encore désarmé; au contraire elle paraît vouloir fermer le golfe Adriatique aux vaisseaux français. Alors elle protégerait évidemment l'Autriche, puisqu'elle mettrait en sûreté les ports de Fiume et de Trieste, situés dans ce golfe.

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