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tranquillement faire les Prussiens, au risque de | après dans le Brabant : l'amour de la patrie en fut le prétexte; les intérêts du clergé en étaient le véritable motif. L'empereur Joseph, animé par un esprit de réforme, louable, mais qui brusquait peut-être trop les mesures, porta atteinte aux droits du clergé, dans un pays où il était tout-puissant. La noblesse, également attaquée dans ses prétentions et dans ses intérêts, fit cause commune avec les ordres ecclésiastiques : le peuple belge, crédule et facile à séduire, courut aux armes pour défendre des abus. Quelques ambitieux se servirent de ce prétexte pour s'emparer du pouvoir, et donnèrent

perdre tout crédit chez ses voisins, et de jeter la Hollande entre les bras des ses ennemis. Il n'y avait pas à balancer, la France devait soutenir le parti qui lui était dévoué; elle se borna à de futiles démonstrations. On sait que le duc de Brunswick entra dans les Provinces-Unies, à la tête d'une petite armée prussienne, qui fit non-seulement remettre les choses sur l'ancien pied, mais qui fit même donner au stathoudérat plus de pouvoir qu'il n'en avait jamais eu.

Une alliance de la Prusse, de l'Angleterre et de la Hollande fut le malheureux résultat de cet évé-à ce mouvement tous les dehors d'un patriotisme nement, qui enleva à l'Europe tous les avantages de le paix de 1788, et qui releva les espérances et les prétentions des Anglais.

Le dénoûment brusque et imprévu de cette révolution parut d'autant plus étonnant, qu'on avait vu Louis XVI, allié de l'Espagne et de l'Autriche, commencer son règne par une guerre heureuse, et tenir le premier rang parmi les puissances. On ne pouvait guère présumer que quatre ans après, sans motifs, sans combats, il se laissât humilier par un prince comme Frédéric-Guillaume, qu'un historien célèbre appelait le marquis de Brandebourg, avec beaucoup plus de raison qu'on n'avait pu donner ce titre à son prédécesseur.

Dix ans de succès maritimes, militaires et diplomatiques, furent anéantis par une faute d'un instant; et cette faute doit faire d'autant plus époque dans l'histoire, qu'elle accéléra une révolution dont le ministère de Louis XVI aurait probablement évité l'explosion, en montrant de la dignité, et en détournant, sur d'audacieux ennemis, la tempête qui était prête à éclater dans l'intérieur de la France. L'époque des grandes agitations a toujours été la plus favorable pour diriger les nations vers la guerre; et dans cette occasion ce n'était pas seulement un intérêt, mais un devoir.

généreux. La Prusse et l'Angleterre, liées par des traités, et intéressées à opérer une diversion en faveur des Turcs, alors accablés par les armées réunies de Catherine et de Joseph II, soutinrent assez ouvertement ces insurgés pour susciter des embarras au cabinet de Vienne. Nous aurons occasion de parler plus loin de l'établissement de cette confédération belge qui avait un sénat, un président et une armée de vingt mille hommes, mais que la réconciliation de Reichenbach, en 1791, laissa exposée à tout le ressentiment et à tous les efforts de l'Autriche. Les troupes impériales reployées dans le Luxembourg, rentrèrent bientôt avec de nombreux renforts dans les Provinces-Unies, en dissipant facilement les bandes indisciplinées des mécontents.

Cette pétite révolution offre un singulier contraste avec les grands mouvements de Hollande et de France et il est extraordinaire en effet, de voir, à la fin du 18° siècle, un peuple combattre pour des préjugés et pour aggraver ses chaînes, contre un gouvernement guidé par des principes libéraux, et qui voulait l'en affranchir.

AFFAIRES DU NORD (1).

Tandis que la politique des puissances maritimes

Des troubles d'une autre espèce éclatèrent peu de l'Europe éprouvait ces vicissitudes, il ne se fai

(1) On trouvera des répétitions nombreuses dans ce chapitre, mais il était difficile de les éviter. Je n'ai pu faire autrement que de diviser ce tableau en deux parties; celle qui était relative aux affaires du Midi et des puissances ayant des démêlés avec l'Angleterre, et

celle relative aux affaires du Nord; ce n'est pas l'histoire du siècle que j'ai prétendu tracer, c'est simplement un aperçu des mouvements qui avaient amené l'état des choses en 1792. Mon travail eût été trop confus sans cette division; mais le résultat inévitable en a été de me forcer

sait pas une révolution moins grande dans les relations continentales. Une puissance presque inconnue jusqu'alors avait commencé avec le 18° siècle à déployer ses forces; les folies de Charles XII et le génie de Pierre le Grand en précipitèrent le développement.

A la fin du règne de ce grand homme, le cabinet de Pétersbourg intervenait déjà dans les affaires du Danemark et de l'Allemagne: on sait qu'il avait réglé celles de Pologne, en maintenant Auguste II de Saxe sur le trône; il luttait avec succès contre la Perse et la Porte.

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L'impulsion extraordinaire donnée à ce nouvel empire ne se ralentit pas sous les successeurs de son illustre fondateur, et de grands avantages s'offraient effectivement à eux pour favoriser leur tème. Placés à une extrémité de l'Europe, et peu connus encore, leurs éléments de puissance n'en étaient que plus grands; sans voisins dangereux, ils n'avaient rien à craindre et tout à espérer; sans marine, sans commerce, ils n'avaient encore aucun démêlé à redouter avec l'Angleterre, et pouvaient au contraire beaucoup attendre de l'alliance de cette nation. Les querelles que le cabinet de SaintJames entretenait sans cesse entre la France, l'Allemagne et la Hollande, assuraient au gouvernement russe toutes les facilités d'intervenir dans ces différends comme auxiliaire d'un des partis, et d'en profiter pour s'agrandir insensiblement aux dépens de la Pologne et de la Porte.

Les cabinets, influencés par celui de Saint-James, avaient sans cesse le mot de balance politique dans la bouche; mais ils donnaient à ce système l'acception la plus étroite en l'appliquant seulement à quelques bailliages du Palatinat ou de la Flandre, tandis qu'on songeait à peine à l'Amérique, à l'Inde, et à des intérêts non moins puissants.

Dans le même temps où la France était livrée successivement à la faible administration du duc de Bourbon et du cardinal Fleury, Catherine I", Pierre II, avaient succédé au vainqueur de Pultawa:

rien de bien remarquable ne se passa au dehors jusqu'à l'avènement d'Anne en 1730.

La mort d'Auguste II, dont l'élection au trône de Pologne avait été un des sujets de querelle de Charles XII et de Pierre, vint bientôt offrir un vaste champ aux opérations politiques des divers cabinets, et cette époque est une des plus importantes dans l'histoire. Son compétiteur Stanislas Leczinsky avait succombé avec Charles XII, et s'était retiré en France, où nous avons vu qu'il avait marié sa fille à Louis XV. La noblesse polonaise rappela Stanislas, mais la czarine était trop fidèle aux principes tracés par Pierre le Grand pour souf frir cette élection, elle soutint les prétentions de la maison de Saxe et d'Auguste III.

Il ne se présentait qu'un moyen de sauver la Pologne, c'était l'alliance de la France et de l'Autriche (1); mais la politique de Charles VI était exclusivement dirigée sur la pragmatique sanction, et Auguste III l'avait reconnue, tandis que le cardinal Fleury contrariait ce projet de succession, par tous les moyens possibles.

Le cabinet de Vienne concourut donc à l'établissement de l'influence russe en Pologne, sans autres motifs que l'adhésion de la maison de Saxe à la pragmatique; ainsi, pour le refus d'une vaine formalit, le cardinal perdit peut-être l'occasion de remettre le beau-père de Louis XV sur le trône.

Stanislas débarqua, et se vit accueilli par la majeure partie de la noblesse; mais, combattu par les Saxons et les Russes, il dut se réfugier à Dantzig, où le célèbre Munich vint l'attaquer, et le força de s'enfuir en Prusse. On sait l'expédition que 1,500 Français, commandés par un ambassadeur (le comte de Plelo), firent pour secourir Dantzig, en débarquant à Weichselmunde, et comment ils furent réduits à mettre bas les armes.

Après avoir ainsi donné deux rois à la Pologne, le cabinet de Pétersbourg pouvait aisément prévoir qu'il lui en donnerait un troisième, et qu'il finirait par régner dans le pays, si des circonstances ex

à répéter, dans les deux parties, des événements contemponse à cette objection sera facile. Il y a une grande difporains qui avaient influé sur les deux extrémités de l'Eu-férence entre une alliance de conservation réciproque et rope en même temps.

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un traité comme celui de 1756, où la France sacrifiait ses intérêts les plus chers pour élever l'Autriche aux dépens d'un allié naturel, et où elle fournissait cent mille hommes pour garder la Belgique aux Autrichiens.

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traordinaires ne se réunissaient pas pour l'en empêcher. Nous avons déjà rapporté comment la paix de Vienne (1735) vint mettre un terme à ces faibles efforts de la France en faveur de Stanislas, et assurer la Lorraine à ce prince, pour qu'à sa mort elle rentrat dans le sein de la monarchie, dont elle était démembrée depuis si longtemps.

La Porte et la Suède commirent chacune de leur côté la même faute, en ne profitant pas, pour agir, du moment où les forces de Munich étaient occupées en Pologne : la Porte protesta, et ne fit rien de plus; ce qui était une double imprudence, puisqu'elle donna le temps à la Russie d'achever les affaires de Pologne, de préparer de nombreux armements, et de tomber à son tour sur les Ottomans qui l'avaient provoquée.

A peine le traité de Vienne était-il conclu, et Anne débarrassée des Polonais, qu'elle tourna ses armes contre les Turcs. Les brigandages des Tartares soumis à la Porte fut le prétexte de la rupture (1736).

M. Villeneuve, ambassadeur de France, vint mettre un terme à ces luttes sanglantes, et cette paix de Belgrade (18 septembre 1739) assura de grands avantages aux Turcs. La Porte acquit la forteresse de Belgrade, celles de Sabatz et d'Orsova, la Servie et la Valachie autrichienne. L'Empereur désavoua son ministre pour sauver les apparences, mais le traité fut maintenu.

Du côté de la Russie, tout rentra sur le pied de la paix du Pruth.

La Suède était depuis quinze ans dans un paix profonde, qu'on pourrait, avec quelque raison, nommer une léthargie, si elle n'était pas excusée par les plaies sanglantes que Charles XII avait faites à l'État. Elle n'avait armé ni pour soutenir Stanislas et les Polonais, ni pour seconder la Porte. Elle attendit que le traité de Belgrade eût rendu toutes les forces russes disponibles, et ce fut alors qu'elle provoqua une guerre qui ne pouvait être que malheureuse. Le désastre d'Helsingfort, où les Suédois passèrent sous les fourches caudines, et le traité d'Abo, qui leur imposa pour quelque temps des lois, furent le résultat de cette faute.

Je ne rappellerai plus ici la guerre de sept ans, dont j'ai publié une histoire militaire. On sait que la Russie, gouvernée alors par Élisabeth, y prit part contre Frédéric; peut-être la czarine eût-elle

Les premières opérations furent heureuses pour les Russes: Munich prit Azof et la Crimée; mais le défaut de vivres, les distances énormes et les maladies, l'empêchèrent de se maintenir dans la presqu'île. Dans l'année suivante le maréchal emporta Oczakow d'assaut, et Lascy pénétra en Crimée. L'Autriche se déclara alors contre la Porte, et atta-agi d'une manière plus conforme à une saine politaqua la Servie, la Bosnie, la Croatie, la Valachie; mais ses armées morcelées, désunies, essuyèrent presque partout des revers.

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tique, si, auxiliaire de ce prince, elle eût envoyé ses armées combattre sous ses ordres jusque dans la Bohême, la Saxe et la Moravie. Cependant il

contraire; elle pouvait dans l'une et l'autre hypothèse occuper la Courlande, la Semigale, et la Vieille-Prusse; ses troupes traversant la Pologne, y préparaient sa domination; enfin, pourvu qu'elle prît part aux affaires d'Allemagne, peu lui importait en faveur de qui elle se déclarait.

La campagne de 1736 fut encore plus malheu-parut indifférent à Élisabeth de choisir le parti Munich, arrêté sur le Dniester par une armée de soixante mille hommes, manquant de vivres et accablée par des privations et des maladies, se vit obligé de rentrer en Ukraine. Lascy, abandonné en Crimée, privé du secours de la flotte dans un pays ravagé, se crut heureux d'en pouvoir faire autant. Oczakow et Kinburn furent abandonnés et rasés. Les armées autrichiennes, commandées par Wallis, avaient été défaites.

La mort de l'impératrice changea totalement la face des affaires (1762). Pierre III lui succéda : la paix et l'alliance que le nouvel empereur conclut L'année suivante, le maréchal Munich aban- avec Frédéric parurent aussi bizarres que la guerre, donna sagement le plan d'opérer sur la Bessarabie, et les motifs en sont entièrement dans les passions qui était ravagée; il prit la route de la Moldavie, des princes plus que dans des intérêts bien avérés. et, après avoir remporté une victoire complète près | On sait assez que ce règne ne fut pas de durée, et de Choczim, il s'empara de Yassi et de toute la comment, après la fin tragique du malheureux province. La paix conclue par la médiation de Pierre, Catherine monta sur le trône.

La mort du roi du Pologne, Auguste III, offrit | patrie; et tandis que l'Europe restait dans une attitude d'observation assez singulière, les Turcs avaient rassemblé deux cent mille hommes pour soutenir la liberté des diètes polonaises, et leur armée se préparait déjà à passer le Dniester. Mais le défaut d'art dans l'emploi de ces forces, leur division en vingt corps morcelés, et l'audace heureuse du prince Galitzin, aidée de la rupture des ponts par une crue subite, anéantit les avant-gardes ottomanes, et l'espoir qu'elles avaient déjà donné aux confédérés. La guerre fut poussée l'année suivante (1770) avec vigueur ; une armée, aux ordres de Romanzof, battit les Turcs à Kagul et s'empara de Bender. Une entreprise, en quelque sorte romanesque, avait été confiée à Alexis Orloff, pour tenter un débarquement en Grèce, où une nation, jadis si grande, était courbée sous un joug de fer. Toute l'Europe, qui s'intéressait également au sort de cette presqu'île célèbre, attendait avec le même empressement l'issue de cette expédition. La flotte russe passa en effet le détroit de Gibraltar, le débarquement fut effectué, et on s'avança vers Misistra (l'ancienne Sparte). Mais les moyens étaient insuffisants; les libérateurs reprochèrent aux Grecs d'être lents à les seconder, et ceux-ci reprochèrent à Orloff d'avoir manqué de vigueur. Les Turcs furent prompts à se rassembler, reprirent l'offensive, et réduisirent la petite troupe d'Orloff à s'enfermer dans Navarin. On s'aperçut, un peu tard, que la patrie des Thémistocle, des Léonidas, des Épaminondas n'avait pas même conservé le souvenir de ces grands hommes, et qu'il n'était pas si facile d'attaquer, par une expédition maritime et lointaine, une puissance qui avait une force de résistance hors de toute proportion avec les moyens d'agression. La flotte turque voulut aller au-devant de celle des Russes; mais l'amiral Elphingston la défit complétement, l'attaqua encore dans la baie de Tschesmé, et la brûla. Cette victoire mémorable semblait livrer Constantinople aux vainqueurs ; elle fut sans résultat. L'activité du célèbre Hassen Pacha et du baron de Tott répara ce désastre, ou en diminua les effets. Elphingston, subordonné à Orloff et à Spiritof, se plaignit de ce qu'on n'avait pas profité de ses succès.

bientôt à cette princesse une nouvelle occasion de reprendre les projets sur ce pays, sans la ruine duquel la politique russe semblait devoir rester étrangère aux démêlés européens. Catherine déploya de bonne heure le caractère et les vues élevées qui la mettront dans l'histoire à côté de Pierre le Grand. On sait par quel assemblage d'habileté et de force elle parvint, en 1769, à faire élire, pour roi de Pologne, Stanislas Poniatowsky.

Cette élection causa des troubles : un fort parti protesta, la noblesse se confédéra à Bar pour s'opposer à l'élection d'un prince soumis à l'influence étrangère. Des hostilités ne tardèrent pas à éclater entre les confédérés et les Russes. L'Europe ne prenait aucune part au sort de ce pays, à l'exception toutefois des Turcs, qui coururent aux armes à l'instigation de la France.

M. de Choiseul avait à lutter alors contre le caractère du roi et contre les caprices de ses maîtresses, qui craignaient de se mettre plus mal encore dans l'esprit de la nation en faisant des guerres dont l'issue pouvait être malheureuse. Le duc était parvenu, après la mort de madame de Pompadour, à gagner toute la confiance du monarque, et on s'attendait à le voir nommer à la dignité de premier ministre, charge indispensable sous un prince faible, mais dont les favorites s'étaient bien gardées de provoquer le rétablissement depuis la mort de Fleury. Le duc de Choiseul sentait le besoin de rétablir l'opinion publique par une guerre heureuse; il s'apprêtait à soutenir les Polonais, et avait déjà armé les Turcs en leur faveur; il voulait en même temps négocier avec l'Autriche et pousser avec activité les armements maritimes, lorsqu'un de ces coups d'État, trop fréquents sous des rois sans énergie vint renverser tous ses plans, et le fit exiler. L'autorité livrée dès lors à madame Dubarry, qui avait succédé à la marquise de Pompadour, fut partagée par d'Aiguillon et par le chancelier Maupeou, homme faible et sans moyens. Le résultat de ce changement de ministère fut l'abandon des intérêts de la Pologne et de la Porte.

Pendant que les confédérés de Bar, désunis entre eux comme le sont toujours de grandes familles oligarchiques, n'opposaient aux projets de Catherine La flotte russe débuta, dans la campagne de qu'une résistance décousue et désastreuse pour leur | 1771, par un échec, elle fut obligée de lever le

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siége de Lemnos; malgré cela elle conserva la supériorité dans les parages de l'Archipel. Cette troisième campagne fut signalée par la prise des fameuses lignes de Perekop et par la conquête de la Crimée qui en fut le fruit : ces succès furent dus au prince Dolgoroucky.

Le maréchal de Romanzof, à la tête du corps principal, continuait à battre les Turcs; mais leur armée, semblable à l'hydre de Lerne, paraissait se recréer sous ses coups.

Le grand visir, après avoir repoussé le général Weisseman de la rive droite du Danube, s'était avancé lui-même sur la gauche et dirigé vers Bukarest, où il remporta quelques avantages; mais ces légers succès ayant été bientôt suivis de deux défaites, il ne put se maintenir, et se retira au pied des monts Balkan. Romanzof de son côté rentra en Moldavie.

Pendant que les armées russes étaient victorieuses sur les rives du Danube, elles avaient comprimé tous les mouvements des confédéres en Pologne. La France n'avait porté qu'un faible corps de 1500 hommes à leur secours; ce secours commandé par Dumouriez, et ensuite par M. de Vioménil, enfermé dans Cracovie, y soutint un siége opiniâtre, et fut forcé de capituler après une belle défense.

L'empereur Joseph et Frédéric paraissaient rester paisibles observateurs de tous les événements; mais ils se préparaient à les faire tourner à leur profit. Deux conférences avaient eu lieu entre ces monarques; la première à Neiss, en 1769, la seconde à Neustadt, en Moravie. Le but de ces conférences ne peut être jugé, jusqu'à présent, que par leur résultat. Quelques historiens pensent qu'il y fut résolu de ne pas souffrir que Catherine exécutât paisiblement ses projets. D'autres croient, au contraire, que le premier démembrement de la Pologne y fut mis en question.

Le prince Henri de Prusse, frère du roi, avait été envoyé à Pétersbourg vers le même temps: bien des gens pensent que ce fut ce prince qui proposa à l'impératrice le premier partage de la Pologne. Rulhière croit, avec plus de raison, que la czarine jugea, par le ton des négociations de Frédéric et de Joseph, qu'ils voulaient plutôt avoir leur part aux dépouilles que s'y opposer entièrement, et qu'elle leur fit des propositions en conséquence.

ТОМЕ 1.

Sans rien affirmer sur un point où l'histoire n'a encore que des conjectures, il est assez probable que l'on séduisit le roi par l'avantage de lier ses provinces de Brandebourg et de Pomeranie avec la Vieille-Prusse, en lui cédant cette lisière de la Pologne qu'il était obligé de traverser pour aller de l'un de ses États dans l'autre, et en lui faisant espérer Thorn et Dantzig. Frédéric, qui a décrit tous les événements de son règne avec un talent supérieur, n'a jamais osé soulever le voile qui couvre encore ce mystère.

Depuis que la France était le jouet de quelques femmes ; que ses ministres avaient signé l'étrange alliance avec l'Autriche, en 1758; que ses généraux avaient fait ridiculement la guerre de sept ans; enfin, depuis que ses négociateurs avaient signé le traité de 1763, cette puissance, jusque-là si redoutée, qui avait tenu depuis Richelieu, la balance de l'Europe, en devint en quelque sorte la risée. Le renvoi du ministre Choiseul avait mis le comble au mal, et le gouvernement français n'était compté pour rien dans les entreprises que l'on méditait. Ainsi le partage de la Pologne fut résolu dès 1771, sans s'inquiéter de l'opposition que la moitié de l'Europe pouvait encore y apporter. Il serait contraire à mon plan d'entrer ici dans le détail des négociations qui amenèrent cet événement, ni de discuter les motifs que les puissances intéressées alléguèrent pour le justifier. J'observerai seulement que Catherine fut assez habile pour déterminer le roi de Prusse au partage de plusieurs provinces, sans lui accorder néanmoins les places importantes de Thorn et de Dantzig, qui étaient le but constant de l'ambition de ce prince. L'Autriche se fit céder la Lodomerie et la Galicie orientale, et acquit la portion la plus considérable en étendue, en richesse et en population.

L'ambassadeur de France à Vienne (Rohan), n'eut même aucun soupçon de cette négociation, et la léthargie du cabinet de Versailles fut complète à une époque si décisive. Un an entier se passa avant que le traité fût exécuté; le gouvernement français ne lui opposa que sa confusion, et Louis XV se contenta de dire. « Ah! si Choiseul » eût été ici, le traité n'aurait pas eu lieu » : mélange extraordinaire de bon sens et d'une inconcevable faiblesse.

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