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elle n'avait aucune guerre continentale, excepté | années qui suivirent la mort de Louis XIV, suffira

avec les petits princes de Brunswick et de Hesse, à l'époque où elle semblait pouvoir le mieux diriger toutes ses vues sur sa marine et ses colonies, que la France vit passer aux mains de ses rivaux implacables les sources de sa prospérité commerciale, coloniale et maritime; qu'elle fut forcée de voir s'élever leur suprématie sur le continent indien, et dans le Bengale, comme sur les deux côtes de la presqu'île; et qu'elle perdit, peut-être pour toujours, les moyens de leur disputer l'empire des mers. Il serait injuste néanmoins d'accuser le seul ministère de Louis de ces tristes résultats; ils furent amenés par un concours d'événements antérieurs; et, pour en juger, il faut remonter à l'acte de navigation de Cromwell ; à la triple alliance impolitique de la Hollande et de la Suède; à l'invasion plus impolitique encore de la Hollande par Louis XIV; au faux système que cette agression imprima pour un siècle aux Hollandais; enfin aux journées de la Hogue et de Vigo. A ces causes premières en succédèrent d'autres plus importantes et plus décisives encore: telles que la mauvaise administration maritime de la fin du règne de Louis XIV; l'inimitié de Philippe V pour le régent; la faiblesse et la parcimonie déjà signalées du cardinal Fleury; la faute què fit l'Espagne de ne pas soutenir à l'époque critique de 1755, une marine sans le concours de laquelle la sienne devait aussi périr un jour. Enfin, en dernière analyse et avant toutes les causes transitoires, on doit attribuer l'élévation de l'Angleterre à la politique habile de Guillaume III, et à l'adresse avec laquelle ses principes furent maintenus par ses successeurs, qui, ainsi que lui, surent tourner contre la France toutes les petites passions des puissances continentales, et firent oublier le grand intérêt d'un équilibre maritime, par les dangers imaginaires de l'équilibre continental. Une telle masse de causes générales prolongées pendant un siècle ne pouvait avoir d'autres résultats. Mais si le blâme n'est pas tout entier au ministère de Louis XV, il faut convenir qu'il ne fit rien pour réparer le mal déjà fait, et peu de chose pour prévenir le mal plus grand encore dont le commerce français était menacé.

Cet exposé rapide des mouvements de la politique européenne, pendant les cinquante premières

pour démontrer jusqu'à quel point les principes des différents cabinets furent bouleversés.

Une même génération vit la France alliée avec l'Angleterre, contre un prince de la maison de Bourbon qu'elle venait de placer elle-même sur le trône, au prix d'un demi-million de Français moissonnés dans la guerre de la succession. Elle trouva l'Autriche aidant les Espagnols à s'introduire en Italie, et à lui reprendre le royaume de Naples, dont la maison impériale venait d'être investie tout récemment par le traité d'Utrecht. On vit dans la même période la Hollande prendre une part sanglante aux deux guerres de Flandre, sacrifiant ainsi ses trésors et ses intérêts pour favoriser l'accroissement d'une rivale qui ne s'élevait déjà que trop. Il ne manquait pour rendre ce tableau complet, que de voir l'Autriche contribuer à l'élévation du trône de Prusse, et la France combattre la maison de Brandebourg en faveur de Marie-Thérèse : l'Europe eut cette double satisfaction.

La fin du dix-huitième siècle fut signalée par une catastrophe bien plus extraordinaire encore; il serait difficile de développer dans un cadre si étroit les causes qui la produisirent : nous nous bornerons donc à indiquer les événements politiques qui en furent le résultat.

Après la paix désavantageuse que Louis XV avait conclue en 1763, l'Europe croyait pouvoir tout se permettre envers la France humilié sur terre comme sur mer. Le renvoi du duc de Choiseul, au moment où ce ministre combinait une guerre maritime, et voulait s'allier à l'Autriche pour empêcher les projets de Catherine sur la Pologne, acheva de ruiner l'influence et la considération dont jouissait jusqu'alors le cabinet de Versailles. Le premier résultat de ce renvoi fut le partage de la Pologne, fait en 1772, entre Frédéric, Catherine et Joseph. Cet événement important et décisif ne put soulever un instant l'apathie d'un roi déjà âgé, et livré à l'empire absolu de madame Dubarry et du faible Maupeou. Mais la mort de ce prince suivit de près le partage, et le brillant début de son successeur releva pour quelque temps l'honneur et l'espoir de la France.

Louis XVI, monté sur le trône en 1774, avait une tâche bien difficile à remplir, de longues erreurs à réparer, une marine à réorganiser, un

commerce à soutenir et une considération intérieure | semblaient justes, et auxquelles le ministère anglais opposa la force des baïonnettes; une révolte générale fut le résultat de cet abus de pouvoir, et les hostilités commencèrent dès 1775, entre les Anglais d'Europe et ceux de l'Amérique. L'indépendance fut proclamée le 4 juillet 1776. La guerre commença alors dans toutes les règles, et les succès furent balancés pendant deux ans entiers.

et extérieure à rétablir. Pour obtenir de si grands résultats, il ne lui restait qu'un trésor obéré, une armée découragée, une noblesse récalcitrante, enfin une nation mécontente, et sourdement agitée par les nombreux écrits philosophiques et par les théories qui signalèrent cette période remarquable, et qui, pour avoir été outrées dans leur application, ont eu de si terribles suites (1).

Turgot et Vergennes, ministres du nouveau roi, étaient des hommes habiles; le premier, avec des vues fort estimables, pensait à régénérer l'intérieur et les finances; le second songeait à profiter des occasions qui s'offraient d'abaisser l'Angleterre; il débuta plus heureusement que Turgot dont les projets philanthropiques éprouvaient de fortes oppositions de la part des parlements.

Dès le commencement du dix-septième siècle, l'Angleterre possédait sur le continent américain de vastes provinces situées entre la Floride et le Canada, depuis le 30 degré de latitude jusqu'au 60°. Le sol fertile de ces contrées, leur climat, leur voisinage des riches possessions des Antilles et du Mexique, y avaient attiré de nombreuses émigragrations européennes, et la population s'élevait déjà, en 1770, à trois millions d'âmes, dont les deux tiers environ étaient d'origine anglaise. Le nom de Nouvelle-Angleterre qu'on avait donné à ces immenses colonies caracterisait toute leur importance et si on devait juger de l'accroissement qu'elles prendraient un jour, par la progression rapide de leur premier développement, on aurait pu, avec raison, les considérer comme le berceau d'un nouvel empire britannique.

Le ministère de Louis XVI avait là une trop belle occasion de se venger de l'humiliation du traité de Paris, pour ne pas en profiter; on a reproché néanmoins à M. de Vergennes d'avoir inutilement violé le premier principe des gouvernements monarchiques, en soutenant ouvertement des peuples révoltés. On a dit qu'il suffisait de déclarer la guerre aux Anglais, et de la pousser avec vigueur pour les Américains s'affranchissent par eux-mêmes du joug britannique; et qu'il devenait inutile de se compromettre en traitant avec eux. Ce raisonnement paraît assez spécieux; mais, dans le fait, la violation du principe établi n'était que masquée, et l'histoire fournit un trop grand nombre de mesures semblables, pour que la politique de M. de Vergennes soit difficile à justifier.

que

Le gouvernement français balança pendant quelque temps sur le parti qu'il adopterait, ou plutôt il gagna par des négociations indirectes le temps de faire ses préparatifs. Ces délais lui ont été aussi imputés comme une faute, et il semble en effet que la déclaration de guerre aurait pu se faire dès 1776. Le désastre essuyé par les Anglais aux ordres du général Burgoyne, qui capitula à Sarratoga avec les restes d'une armée de dix mille hommes, décida enfin le cabinet de Versailles au traité qui fut signé par les Américains en février 1778, et la guerre fut déclarée à l'Angleterre au mois de mars. Un en après, l'Espagne y prit une part active, et les négociations de M. de Vergennes à ce sujet, quoiqu'elles fussent une suite immédiate du pacte de famille, peuvent être considérées comme une époque hono

Cette nation, répandue dans treize provinces, dont la surface excédait celle des plus grandes puissances européennes (excepté la Russie), vit ses droits attaqués par le régime fiscal des lords Burke et North, et par une législation qui rapportait tout à la métropole, en refusant aux colons les mêmes priviléges et la part au gouvernement dont jouis-rable de la diplomatie française. saient les habitants de la mère-patrie. Les Américains élevèrent déjà, en 1769, des réclamations qui

(1) Loin de moi la pensée de blâmer des institutions libérales, lorsqu'elles sont maintenues dans de justes bornes et modifiées sur les mœurs, les habitudes, les passions des hommes. Ce sont les théories imitées de Rome et

TOME 1.

Cette circonstance seule semblait pouvoir rétablir la balance maritime de l'Europe, et si la Hol

d'Athènes dont on a fait un si cruel abus, qui ont entraîné la France et l'Europe entière dans un abîme qu'on a pu croire fermé, mais qui n'est pas encore comblé.

lande, revenue à ses véritables intérêts, fut assez prudente pour en profiter, elle ne fut cependant ni assez habile ni assez ferme pour mettre dans cette balance un poids décisif qui assurât pour jamais l'indépendance des mers.

une escadre française débarqua le général Rochambeau avec un corps d'élite de six mille hommes sur le continent américain, et ce corps, réuni à Washington, conquit à New-York l'indépendance des États-Unis.

Les résultats de cette ligne prouvèrent toutes les Le comte de Guichen, à la tête d'une flotte de fautes que les trois nations avaient commises au 23 vaisseaux, livra deux combats au célèbre Rodcommencement du siècle. Malgré quelques fausses ney, et si aucun parti ne put s'attribuer la vicdirections dans l'emploi des forces, la guerre fut toire, l'amiral français y eut plus de droits que glorieuse. Les escadres françaises et espagnoles se son adversaire. C'était beaucoup d'avoir lutté, à réunirent le 25 juin 1779. Cette flotte redouta- chances égales, contre la réputation de ce marin et ble, forte de 66 vaisseaux de ligne et d'un nom- contre des escadres toujours victorieuses. Enfin, bre proportionné de bâtiments du second ordre, malgré l'échec essuyé par la marine espagnole au porta la terreur pendant deux mois sur les côtes cap Saint-Vincent, et celui du comte de Grasse à d'Angleterre, tandis qu'une armée était prête à la Dominique, qui empêcha la prise de l'impors'embarquer sur celles de France. Mais au lieu de tante colonie de la Jamaïque, la supériorité des faire quelque entreprise digne d'un si grand ar- | alliés se maintint en Europe et en Amérique. Essemement, ces flottes errèrent des mois entiers dans quebo, Demerari, Surinam, perdues par les Holle canal de la Manche, sans but déterminé; elles landais, furent reprises par une escadre française, perdirent ainsi dans cette croisière un grand nom- aux ordres de Kersaint; Bouillé prit d'assaut l'ile bre de malades. Cependant elles dominaient la de Saint-Eustache, et peu de temps après le poste mer, et l'amiral d'Estaing tenait avec 25 vaisseaux plus important de Saint-Christophe. de ligne, la garde assurée des Antilles.

La guerre, commencée sous de si heureux auspices, fut une lutte honorable; mais on n'en tira pas tous les avantages qu'on s'était promis, parce que les opérations ne furent pas toujours bien dirigées on perdit de vue le point décisif, la ruine des flottes et des chantiers ennemis, tandis qu'on occupa des forces immenses à assiéger Minorque et Gibraltar. Si un homme comme Suffren, Lamotte-Piquet ou Duquesne, avait commandé les grands armements de 1779, c'en eût été fait de la suprématie anglaise.

Suffren ne fut pas moins redoutable aux Anglais dans l'Inde. Victorieux dans cinq combats, et secondé par Hyder-Aly, sultan de Mysore, et par son fils Typpoo, ce grand homme aurait assuré l'indépendance de ces contrées, si on ne l'y eût pas envoyé un peu tard, et s'il eût été renforcé par une partie des moyens immenses, accumulés inutilement devant Gibraltar. Une paix prématurée vint lui arracher les fruits de la victoire qu'il avait remportée le 20 juin 1783 devant Gondelour, pour secourir cette place dans laquelle ses alliés étaient assiégés.

Cette paix de Versailles, conclue au moment où il aurait fallu prolonger la lutte et la pousser avec le plus de vigueur, consacra néanmoins l'indépendance des États-Unis, la restitution de Minorque et de la Floride à l'Espagne, enfin la remise de Tabago à la France.

Néanmoins, le pavillon des alliés se montra avec honneur sur l'Océan et la Méditerranée. D'Estaing conquit Grenade et Saint-Vincent, et seconda les opérations des Américains. La Dominique, le Sénégal, Tabago furent enlevés successivement aux Anglais. Les Espagnols leur prirent Pensacola et toute la Floride occidentale, point de la plus haute Si les hostilités avaient duré un an de plus, et importance dans les stations du golfe mexicain, si pour leur donner un but convenable, une parpuisqu'il est au centre des communications des tie des forces de terre et de mer, employées à jeter États-Unis avec le Mexique et autres possessions sans succès des bombes contre le rocher de Giespagnoles. Minorque fut pris par le duc de Cril-braltar, eussent été envoyées à Suffren pour déci lon, et, pour le malheur des alliés, Gibraltar fut der l'affranchissement du continent indien; enfin, assiégé sérieusement par terre et par mer : enfin, si Grasse eût été plus habile ou plus heureux dans

l'entreprise sur la Jamaïque, pour la réussite de | fit au contraire qu'en précipiter le développement. laquelle on avait rassemblé de si grands moyens, la supériorité des mers et le commerce du monde eussent été acquis au continent, et acquis probablement pour toujours.

Malgré toutes ces fautes, on obtint, par le traité de Versailles, des avantages qui, avec le temps, auraient conduit les puissances de l'Europe à un véritable équilibre politique et maritime. Tout, à cette époque, semblait présager le triomphe de ce système si nécessaire au bien-être européen, car au même instant où l'Angleterre était menacée, Catherine avait rendu un service éminent à la cause commune des nations, en dictant l'acte de la neutralité armée de 1780, et en y faisant accéder les puissances du Nord et la Hollande (1). En persévérant dans une marche qui avait produit de si heureux résultats, on aurait pu espérer de mettre, lors de la première guerre, un terme définitif à la prépondérance anglaise, si la révolution de France n'était pas venue renverser toutes les idées des nations, tous les intérêts de leurs chefs, toutes les combinaisons de leurs cabinets. De ce volcan épouvantable, nous avons vu sortir, au milieu de torrents de sang, la domination universelle des Anglais sur les mers, la conquête de tous les points maritimes et militaires qui peuvent assurer cette domination, l'empire de l'Inde, le monopole du monde, et une influence menaçante sur le conti

nent.

A peine Louis XVI eut-il terminé victorieusement la guerre d'Amérique, que l'embarras de ses finances provoqua la belle, mais malheureuse résolution de convoquer les états généraux. Cet embarras du trésor, joint à l'agitation intérieure que l'assemblée de ces états fit éclater en France, furent les premiers symptômes de cette révolution terrible; ce fut probablement aussi la cause qui empêcha le cabinet de Versailles de prendre une part active et prépondérante aux affaires de Hollande en 1787.

Cette époque de l'histoire européenne est une des plus remarquables; elle mérite une étude particulière et approfondie. L'homme qui y joue le rôle principal est le célèbre Pitt.

La guerre d'Amérique lui avait donné une grande supériorité comme chef de l'opposition ; son éloquence avait eu plus d'une fois occasion de contre-balancer le système des ministres. North succomba enfin et fit place an fils de Chatam. Le grand homme d'État qui s'était fait l'apôtre des principes libéraux dans toutes les séances des communes, ne tarda pas à juger que ces principes pourraient devenir entre ses mains une arme menaçante pour ses ennemis. Il savait bien qu'une autorité étendue, lorsqu'elle n'est pas tyrannique, et qu'on n'en fait pas un mauvais usage, donne à un État plus de force et de vigueur. Il pensait, sans doute, que créer un point d'opposition chez les nations rivales de l'Angleterre, c'était enlever à leurs gouvernements une partie des moyens de développer la puissance nationale. L'histoire de son pays aurait suffi pour lui prouver cette vérité; et des dissensions civiles, dans un État continental, entouré de voisins ambitieux et puissants, devaient avoir bien plus d'influence que dans un État isolé et insulaire. Susciter les Hollandais con

L'examen et le développement des causes importantes qui ont amené de tels événements, seraient des sujets dignes d'exercer la plume des plus grands hommes d'État et des historiens les plus habiles. En attendant, on peut mettre au premier rang de ces causes, l'imprudence et les erreurs de la noblesse française, les crimes des jacobins, et, enfin, l'ambition d'un homme qui, par ses services et ses talents, pouvait tout réparer, et dont l'exa-tre la maison d'Orange, et soutenir alors les prégération a tout détruit.

Il semblait que la lutte honorable dont la France venait de sortir avec succès, dût garantir ce pays des commotions intérieures dont il était menacé par la tendance générale de l'esprit public; elle ne

(1) Get acte de Catherine a trouvé beaucoup de détrac teurs; sans doute, il ne suffisait pas à lui seul pour soutenir les grands principes qui y étaient proclamés. Mais on

tentions de celle-ci, semblait un moyen assuré de se l'attacher irrévocablement, en dépit des intérêts de la république. Provoquer, seconder les mêmes agitations en France, c'était obtenir l'alliance du stathouder pour réprimer le développement des

ne peut se dissimuler qu'il offrait de grands avantages, forsqu'il pouvait être appuyé par toutes les forces de l'Europe réunies, c'est-à-dire, par 200 vaisseaux de ligne.

principes qui menaçaient la propre existence de sa maison; c'était armer l'Europe contre la puissance qui avait ébranlé l'Angleterre en 1783.

L'opinion générale est que Pitt fut le premier moteur des troubles de ces deux pays. Il ne nous appartient pas de prononcer sur cette assertion pour ce qui est relatif à la France; mais quant à la Hollande, c'est un fait aujourd'hui reconnu, et le mémoire de Caillard en convaincrait les plus incrédules. Pitt se crut sans doute autorisé à suivre le système que Louis XIV avait adopté dans les dissensions de Jacques et de Guillaume, et dont la France venait de se servir encore envers les ÉtatsUnis.

Nous sommes loin de croire qu'il ait jamais osé mesurer la profondeur de l'abîme qu'il creusait à la France, et à l'humanité entière. Il a pu désirer les dissensions qui semblaient assurer à son pays une suprématie décidée sur ses rivaux ; mais il n'a jamais pu provoquer le meurtre, le brigandage, qui désolèrent la malheureuse France; et s'il en était autrement, son nom mériterait d'être voué à l'exécration de tous les siècles. Laissons d'ailleurs à l'histoire le soin de développer la cause de ces grands événements, et revenons au simple aperçu des faits.

Depuis que l'Angleterre avait contribué, en 1747, au rétablissement du stathoudérat en faveur de la maison de Nassau, la politique de cette maison s'était toujours ralliée à celle du cabinet de Londres. Mais les États-Généraux au contraire avaient senti un peu tard tous les dangers de sa trop grande supériorité maritime, et ils tenaient à l'alliance de la France. Un négociateur habile, M. de La Vauguyon, en avait profité pour conclure le traité de 1785, dans les intérêts réels des deux nations. La position de Guillaume V était ainsi fausse et pénible; il avait à sacrifier ses intérêts et ses affections à l'intérêt public, alternative déplorable, pour tout chef d'État. Son épouse, sœur du roi de Prusse, et dont le caractère altier s'alliait mal à la morgue des capitalistes d'Amsterdam, exerçait sur son esprit un empire absolu; bien différente des princes aimables appelés aujourd'hui à régir les Pays-Bas, elle comptait plus sur la crainte des peuples que sur leur amour.

tion, en 1747, jamais assemblée d'une nation n'avait conservé plus de part au gouvernement, que les états de Hollande: mais ce n'était pas assez; dans une république où la richesse était le premier titre de considération, il était difficile qu'on ne jalousât pas l'autorité souveraine; et les dogmes philosophiques répandus à la fin de ce siècle avaient germé depuis trop longtemps en Hollande, pour que les succès des Américains, leur constitution et l'esprit inquiet qui commençait à remuer la France, ne fissent pas une explosion dans les Provinces-Unies.

Des discussions éternelles sur des questions de droit ne pouvaient manquer de donner mille prétextes d'exciter des troubles, Le crédit que le ministre anglais Harris (Malmesbury) exerçait sur la princesse ne tarda pas à lui en fournir une occasion. Une émeute excitée avait engagé les états à prendre des moyens de répression contre lesquels le stathouder protesta comme attentatoires aux droits du pouvoir exécutif; il s'en plaignit à l'Angleterre et à la Prusse. De part et d'autre on oublia les lois; Guillaume, excité par son épouse, s'arrogeait un pouvoir contesté, et les patriotes voulurent abolir le stathoudérat. Les émeutes furent fréquentes et terribles (en 1787). Le ministre anglais était, diton, le meneur de toute cette trame: on peut juger d'où partaient ses premières ramifications. Enfin le stathouder fut déclaré déchu. Sa femme voulant entreprendre un voyage qui avait pour but de préparer une contre-révolution, se vit arrêtée à Velsch-Sluis. Le roi de Prusse s'apprêta à venger les armes la cause de sa sœur.

par

Le ministère de Louis XVI s'oublia au point de souffrir la chute d'un parti que son ambassadeur avait pour ainsi dire créé. La France venait de perdre M. de Vergennes, dont l'administration avait été sage; son successeur Montmorin et M. de Brienne ne possédaient ni le génie ni la fermeté nécessaires dans des circonstances si difficiles. Pour comble de malheur, M. de La Vauguyon, qui avait habilement amené la Hollande au système d'alliance avec la France, quitta ce pays pour passer à l'ambassade d'Espagne, et se trouva mal remplacé.

Le cabinet de Versailles commit la faute criante de laisser décider du sort de son allié le plus pré

Malgré le changement survenu dans la constitu- cieux, par une puissance du second rang; il laissa

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