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dont les représentants de la France pour- des importants qui marquent, par de si bruyantes prétentions, leur célébrité éphémère.

ront disposer en 1789;

4o De l'écrit intitulé Qu'est-ce que le tiers état?

Ces excellents écrits, qui eurent deux, trois et quatre éditions en moins d'un an, sont les premières et les plus éclatantes manifestations de l'Esprit de la révolution, ses premières expressions, le premier souffle de l'immortelle vie que la nation a reçue d'elle.

Ils seront pour la postérité un précieux monument de la grande transmutation qui s'est opérée en France à cette époque; ils feront revivre, aux yeux des amis de l'humanité et des admirateurs du génie, le grand homme qui signala le retour de la liberté et de l'égalité, et dont l'existence est aujourd'hui ignorée dans l'enceinte de cette capitale; ils offriront à la reconnaissance des siècles éloignés, un nom qui de nos jours n'est pas prononcé entre ceux

Dans ces derniers temps, deux histoires se sont partagé les lecteurs curieux de connaître les premiers mouvements de la révolution de 1789 l'une est de M. Lacretelle, l'autre de M. Mignet. M. Lacretelle n'a vu dans le mouvement de 89 que l'or et l'ambition du duc d'Orléans (1); M. Mignet y a vu le génie de Sieyès. Le premier connaissait à fond les aversions de la cour de France; le second a pressenti le jugement de la postérité : l'un né historiographe, l'autre né historien.

(1) M. Lacretelle a été victorieusement réfuté pa l'auteur anonyme d'une brochure d'environ cent pages, intitulée De l'Assemblée constituante, en réponse à M. Charles Lacretelle; Paris, chez Corréard, libraire, 1822. Cet écrit parait être d'Alexandre de

Lameth, qui connaissait très-bien les faits et les personnages.

LETTRE

ADRESSÉE

A MGR LE DUC D'ORLÉANS

DANS LES PREMIERS JOURS DE JANVIER 1829,

EN LUI ENVOYANT LE MANUSCRIT DE

L'ESPRIT DE LA RÉVOLUTION.

MONSEIGNEUR,

Lorsque j'eus l'honneur de présenter à V. A. R. mon ouvrage concernant Louis XII et François Ier, vous daignâtes me parler des difficultés que vous rencontriez dans la recherche des actes essentiels de la révolution, dont vous vouliez instruire vous-même vos enfants. Je vous demandai la permission de mettre sous vos yeux, Monseigneur, un travail dans lequel je croyais les avoir complétement rassemblés; où ils étaient classés par ordre de matières, et pour chaque matière par ordre de dates. Vous voulûtes bien acquiescer à ma demande. Depuis ce moment j'ai essayé à plusieurs reprises de rendre cet ouvrage moins indigne de vous être offert; mais inutilement : l'âge du travail est passé pour moi. Je me borne donc à vous offrir, sous un titre trop ambitieux peut-être, l'assemblage des actes constitutifs de la révolution, depuis 1789 jusqu'à la mort de Louis XVI. Je les ai fait précéder d'un tableau où l'état ancien des hommes et des choses est fidèlement exposé, de sorte qu'il est facile de reconnaître avec précision les changements

qu'ont éprouvés les uns et les autres depuis 1789.

Cet ouvrage, Monseigneur, n'est point destiné à recevoir, au moins prochainement, la publicité. S'il pouvait à la suite être livré à l'impression, l'auteur n'oublierait pas que sa réprobation, quoiqu'il puisse à son gré l'appeler proscription ou ostracisme, puisque aucun jugement ne l'a précédée, lui interdit l'honneur d'offrir un hommage public au premier prince du sang royal. Je prie Votre Altesse Royale d'agréer ce manuscrit, comme le tribut qu'un citoyen croit devoir au prince qui élève ses fils dans les intérêts de la patrie, et de permettre que le baron de Schonen, député, ait l'honneur de le remettre entre ses mains.

Je suis avec le plus profond respect,

MONSEIGNEUR,

De Votre Altesse Royale, Le très-humble et très-obéissant serviteur,

ROEDERER.

L'ESPRIT

DE

LA RÉVOLUTION

DE 1789.

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Pour bien faire concevoir la révolution de 89, il faut d'abord dire ce qu'elle n'est pas, et dégager les esprits des fausses notions qu'on en a données.

La révolution ne s'est pas faite un tel jour, à telle heure, en tel lieu, par telles personnes, par tel événement du siècle passé.

Elle ne s'est faite ni à Versailles, ni à la Bastille, ni au Palais-Royal, ni à l'Hôtel de Ville, ni au Palais de Justice. Elle n'est l'ouvrage ni des parlements, ni des notables, ni même de l'assemblée constituante.

L'éloquence de d'Espréménil dans le parlement, celle de Mirabeau dans l'assemblée constituante, l'épée de la Fayette, le génie de Sieyes, y ont coopéré puissamment; mais ces hommes illustres n'en sont pas les auteurs. Elle ne doit rien aux trésors du prince sur qui la maison royale voulut se venger du peuple, sur qui le peuple acheva de se venger de la maison royale, et sur qui s'est encore acharné

naguère un prétendu historien de l'assemblée constituante.

La révolution procède de causes antérieures au 4 août qui vit l'abolition des priviléges, au 14 juillet qui vit le renversement de la Bastille, à la convocation des états généraux, à l'assemblée des notables, au déficit des finances, aux exils du parlement en 1788, à la cour plénière du même temps, à la dissolution des cours souveraines en 1771, à l'abolition de l'étiquette à la cour, à la fameuse affaire du collier de la reine, aux scandales qui ont marqué la moitié du long règne de Louis XV, à ceux de la régence: toutes causes assignées à la révolution par ces écrivains qui ne remontent pas plus loin que la veille pour expliquer les événements du jour, et ne voient qu'un changement de cour, ou tout au plus de dy-nastie, dans le changement d'une grande nation.

Quand la révolution s'est déclarée, la nation n'entrait dans aucune ambition particulière; elle agissait pour elle seule. Misérables idées que celles d'une faction travaillant au renversement du monarque, pour mettre un ambitieux à sa place! Dans le seizième siècle, le duc de Guise, le prince de Condé, étaient de grands factieux, les plus grands qu'on puisse supposer dans l'ancienne monarchie française: remarquez comment leurs factions se signalaient. C'était par de petites armées, presque entièrement composées d'étrangers, qu'ils pro

menaient dans quelques provinces où ils finissaient leurs querelles par des combats dont le sang des reîtres, des lansquenets, des Suisses, des Espagnols, faisait les frais. Mesurez ces factions et leurs œuvres à la révolution française, et voyez leur disproportion. Quelle tête aurait gouverné tant de millions d'autres têtes? Quel trésor fabuleux aurait suffi à payer tant de millions de bras? Quel chef aurait dirigé, accordé ces immenses mouvements qui ont agité la France de Lille à Bayonne, de Brest à Strasbourg? Et comment concevoir des chefs à cette révolution, quand on se rappelle l'abaissement profond où elle a tenu devant elle, l'abîme où elle a précipité sans préférence et sans distinction ses partisans et ses détracteurs? Et quel but pour une nation de vingt-cinq millions d'hommes, quel déplorable but pour un tel déploiement de forces et de volontés, que de détrôner un roi et de mettre à sa place un factieux! Non, ce n'est pas pour de si faibles intérêts que la révolution s'est déclarée en 89, Ce n'était pas même pour abolir la royauté; personne alors ne songeait à la république. La France n'était pas absolument libre, mais elle n'était pas non plus dans la servitude; et dans aucun temps de son existence elle n'en a éprouvé la souillure. Les tentatives du gouvernement pour étendre son pouvoir n'étaient pas de ces violences inouïes qui fondent sur des peuples en pleine liberté, et ne cèdent qu'à leur révolte.

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La révolution était faite dans tous les esprits et dans les mœurs avant de l'être par les lois; elle existait dans les relations de société polie, avant d'être réalisée dans les intérêts matériels et communs. Elle était établie dans cette classe moyenne qui tient aux deux extrêmes de la société générale, qui sent, qui pense, qui lit, converse, réfléchit; dans cette classe où s'entendent toutes les plaintes, où se remarquent toutes les souffrances des classes inférieures, et où l'on n'y est point insensible; dans cette classe qui, d'un autre côté, est à portée de connaître les grands comme le peuple, qui les a attirés à elle par sa richesse, les a rapprochés d'elle par des alliances, a fléchi leur orgueil par les charmes d'une société où se réunissent l'opulence et l'esprit, l'esprit si rare et si captif à la cour! et qui pourtant n'a jamais cessé de craindre cet orgueil dont la

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pointe aiguë perçait toujours, l'effleurait souvent, et ne lui permettait qu'une familiarité inquiète et sans abandon. C'est l'opinion de cette classe mitoyenne qui a donné le signal aux classes inférieures; c'est la révolte de l'opinion qui a fait éclater l'insurrection des souffrances, et c'est la souffrance de l'amour-propre qui a fait éclater celle des intérêts réels. La révolution a conservé dans tout son cours l'empreinte de son origine, elle a constamment suivi la direction imprimée par sa primitive impulsion.

Quel a été donc son esprit, son caractère ? Dire que ç'a été l'amour de la liberté, de la propriété, de l'égalité, c'est confondre plusieurs idées fort distinctes. Entre ces trois affections, il en est une qui a décidé le premier éclat de la révolution, a excité ses plus violents efforts, obtenu ses plus importants succès, assuré le succès des deux autres : c'est l'amour de l'égalité.

Bien que la propriété, la liberté, l'égalité, soient inséparables et se garantissent réciproquement contre les attaques violentes, elles peuvent néanmoins être fort inégalement affectionnées par les nations, y être fort inégalement partagées, y avoir une existence plus ou moins parfaite, et elles se prêtent à cette inégalité. Entre la liberté domestique et civile, et le plus haut degré de la liberté politique; ertre la propriété à titre onéreux, et celle qui jouit sans limites et sans partage; entre l'égalité de droit et l'égalité de fait, et les supériorités réelles et d'opinion auxquelles l'égalité de droits autorise à prétendre (1), il y a de grands intervalles. Les nations, suivant leur prédilection, ou pour l'égalité, ou pour la liberté, ou pour la propriété, peuvent faire plus ou moins pour chacune d'elles, en favoriser deux aux dépens de la troisième, en favoriser une aux dépens des deux autres. Les peuples essentiellement jaloux de la liberté limiteront l'égalité de manière à prévenir et les supériorités d'institution et les supériorités morales ou d'opinion; là, l'ostracisme réduira l'égalité de droit à l'é

(1) Par égalité de droits, il faut entendre l'égalité non-seulement devant la loi civile, devant la justice, devant les tribunaux, mais aussi devant la loi politique, qui fonde les emplois publics, les dignités, les honneurs, et en règle la distribution.

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