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citoyens donc, s'écrie-t-on, la cour est l'amie de l'étranger, l'amie de nos ennemis; donc elle est notre ennemie.

La constitution portait, art. VI: « Si le roi « se met à la tête d'une armée et en dirige « les forces contre la nation, ou s'il ne s'op« pose pas par un acte formel à une telle en« treprise qui s'exécuterait en son nom, il sera « censé avoir abdiqué la royauté. » Dans la France entière retentit ce cri: La déchéance! Une députation des quarante-huit sections de Paris vient, le 3 août, la demander à la barre de l'assemblée nationale. Dans la nuit du 9 au 10 août, deux faubourgs, précédés d'un bataillon de Marseillais, marchent sur le palais des Tuileries, rangent en batterie douze canons au Carrousel, en face du château, pour forcer l'abdication du roi. Il était alors cinq heures du matin: de quarante mille hommes de la garde nationale qui, la veille, à onze heures du soir, étaient sous les armes dans les sections, prêts, disaient-ils, à repousser les faubourgs, il ne s'en trouvait plus une compagnie sur pied; tout était rentré chez soi vers minuit; un seul bataillon de garde était dans la cour royale, avec un bataillon suisse et quelques canonniers de la garde nationale, qui quittèrent leurs pièces quand ils entendirent la réquisition de repousser la force par la force. Les habitants de Paris voyaient avec effroi le mouvement des faubourgs; mais ils ne voulaient pas prendre sur eux de le réprimer. Ils craignaient d'avoir à rendre compte à la France entière, non du sort de quelques perturbateurs, mais du sort de la révolution : personne n'osant prononcer entre le désordre manifeste d'un côté, et ce qu'on disait des manœuvres cachées de l'autre.

Le roi sans défense, ou du moins sans moyens de défense suffisants, alla chercher un refuge dans le lieu des séances du corps législatif. Il y entra vers sept heures du matin. Il y fut reçu en roi, et probablement il lui aurait suffi de quelques dispositions concertées avec l'assemblée pour la garantie de l'État, et de quelques démonstrations nouvelles de sincérité, pour qu'il pût quelques heures après retourner en roi dans son palais, si la plus déplorable fatalité n'eût voulu que le bataillon de Suisses, postés au château, engageât un combat meurtrier avec ce peuple que sa lassitude allait dis

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perser, et si le sang versé dans ce malheureux moment n'eût rendu le roi et le peuple à jamais irréconciliables. Il périt quatre ou cinq cents hommes. Le peuple alors accourut dans l'assemblée nationale, et demanda vengeance. L'assemblée se borna à ordonner la suspension du pouvoir royal. C'était accorder le moins qu'il était possible. Mais bientôt la fureur populaire, croissant par le compte et la connaissance des victimes, et surtout par les incitations de l'exécrable commune, qui s'était instituée d'elle-même pendant la nuit, demanda la tête du roi; et l'assemblée nationale se vit dans l'alternative forcée de le constituer prisonnier au Temple, ou de le voir immoler dans son sein. L'assemblée l'envoya au Temple, suspendit son autorité, et convoqua une convention nationale pour le 1er octobre sui

vant.

M. de la Fayette apprit à Sedan la catastrophe du 10 août. Des commissaires du nouveau pouvoir exécutif étaient venus en informer l'armée, et s'assurer de son acquiescement. M. de la Fayette refusa de les reconnaître. La municipalité de Sedan, le conseil général du département des Ardennes, déclarèrent qu'ils ne voyaient dans ces commissaires que des agents d'une faction criminelle; on les arrêta, on les incarcéra. M. de la Fayette rassemble l'armée, lui fait prêter un nouveau serment de fidélité à la constitution de l'an II. Son intention était manifestement de faire marcher ses troupes sur Paris, non dans les mêmes vues que les émigrés et les étrangers, non pour dégager de la constitution le roi qui l'avait jurée, mais au contraire pour l'y engager plus certainement en le délivrant d'une indigne prison, et en lui prouvant, par une telle marque de fidélité, ce qu'un monarque constitutionnel pouvait attendre des amis de la constitution. Le sort en avait autrement décidé. Les soldats crurent à la trahison de la cour: marcher au secours du roi, contre les autorités constituées de Paris, contre les hommes de la révolution, c'était, disaient-ils, tourner le dos aux étrangers cam pés sur la frontière, pour prendre la même direction qu'eux; c'était faire l'avant-garde des armées ennemies; c'était s'employer à la ruine de la liberté, de l'égalité de l'égalité si nouvelle dans l'armée, et si chère aux espérances de gloire et de fortune qu'elle avait conçues.

Telle était à ses yeux la conduite qui lui était | ministres et des généraux; oui, parce que les tracée. On annonça aux troupes un décret qui mettait la Fayette en accusation; elles méconnurent leur général. On leur annonça un autre décret qui mettait la Fayette en arrestation; elles déclarèrent qu'elles devaient obéissance aux décrets, et fidélité à la nation.

M. de la Fayette fut obligé de fuir avec M. de Latour-Maubourg, son digne et noble ami. Poursuivis par l'ingratitude populaire, par l'injustice de l'armée, par la haine redoutable des amis de la cour, la déloyauté de l'étranger leur ouvrit pour asile des cachots, leur donna pour protecteurs des geôliers, et, pour adoucir leur malheur commun, les sépara.

Toutes les armées, toutes les autorités constituées envoyèrent, comme l'armée de M. de la Fayette, leur adhésion aux décrets du 10 août. Elles en donnèrent de nouvelles après le 21 janvier.

faibles étaient disposés à se faire un prétexte du danger de cette trahison, pour servir mollement ou se laisser aller à la défection; oui, parce qu'il ne dépendait pas du roi, au milieu de 1792, quelle que pût être alors sa bonne volonté, de dissiper les soupçons de malveillance qui s'étaient élevés contre lui depuis près de trois ans. Il ne pouvait faire croire à sa bonne volonté, parce que précédemment il avait témoigné un sentiment contraire (1) ; il ne pouvait faire croire à sa sincérité, parce qu'il avait antérieurement donné une adhésion qu'il avait ensuite désavouée; il ne pouvait faire croire à une forte animosité ni contre ses frères, marchant au milieu des étrangers avec la noblesse française, ni contre ces étrangers appelés par ses frères, contre ces étrangers armés pour des intérêts dont il s'était constamment occupé, et dont il était fort naturel qu'il s'occupât, armés pour des griefs qu'il avait lui

et qui s'étaient fait précéder de manifestes et de proclamations rédigés dans un sens absolument opposé à celui des actes de cette nature, puisqu'ils y affectaient un merveilleux dévouement pour le roi, en déclarant la guerre à la nation. Comment concevoir que cette nation confiât des forces nouvelles pour sa défense au prince dont les ennemis qu'elle avait à combattre se déclaraient les amis, au prince dont les intérêts étaient le prétexte de leur agression? S'il est sur la terre une nation capable de porter la confiance jusqu'à l'aveuglement, et la générosité jusqu'à l'abandon dans la défiance même, c'est la nation française. Mais ce n'est pas quand il s'agit d'un intérêt aussi étroitement lié à son honneur, que celui de son indépendance. La France a mis quelquefois sa grandeur à tout risquer, mais par honneur et par affection. Elle aurait pu être alors, comme depuis, prodigue de ses trésors et de son sang pour la satisfaction personnelle d'un prince dont l'ambition l'aurait mécontenté, et pour l'exécution de projets qu'elle aurait désavoués; mais l'idée de livrer à la trahison des victimes destinées au char de triomphe de l'étranger, a dû la trouver intrai

Si le 10 août n'avait pas fait cesser le pouvoir royal, l'étranger n'aurait-il pas eu la faci-même exposés dans sa déclaration du 20 juin, lité de venir à Paris, de s'ingérer dans la constitution, de faire la loi au corps législatif, ou de le dissoudre, de rétablir l'ancien régime, ou d'établir un régime équivalent ou pire? Ce même étranger n'aurait-il pas été maître de se faire payer par la nation les frais de son entreprise, peut-être de démembrer le territoire, d'y séjourner le temps qu'il aurait voulu, d'y lever des contributions, d'y vivre aux dépens du pays? Le roi pouvait-il, voulait-il opposer à l'invasion une résistance suffisante? Son impuissance ou sa mauvaise volonté n'étaient-elles pas constatées par l'état des places, par l'état des armées? A part toute volonté, n'était-il pas certain et avoué que le roi n'avait que 90,000 hommes à opposer à 200,000 Autrichiens ou Prussiens qui s'avançaient vers la frontière ? N'était-il pas évident qu'un recrutement était impossible, dans l'agitation et la défiance qui travaillaient tous les esprits? En un mot, l'ennemi qui, avec des forces supérieures, était à nos portes ; l'ennemi, d'accord avec les princes; l'ennemi, marchant au nom du roi, n'aurait-il pas bravé le roi lui-même, quand ce prince aurait eu la volonté de l'empêcher d'entrer en France en vainqueur, de la ravager, de la partager? Oui. On peut dire sans hésiter, oui, parce que les hommes les plus dévoués à la patrie craignaient la trahison des

(1) Déclaration du 20 juin, au départ pour Va

rennes.

table; et par cela seul qu'elle avait à craindre, | lui livrer la couronne? Était-ce un grand avanen donnant de nouvelles forces au roi, de les tage pour le roi d'en être dépouillé par l'étranlivrer à l'ennemi, elle devait être à son égard ger, sur les décombres de la France, plutôt que plus qu'avare de ses secours. par la France, qui, la sauvant des outrages de la conquête, pouvait à la suite la rendre au roi intacte et honorée? Et s'il avait pu vouloir mettre son trône, son sceptre et sa couronne à la merci de l'étranger, plutôt que de les restituer à la nation lorsqu'elle en avait besoin pour son salut, aurait-il été bien digne d'en rester dépositaire?

Il se peut qu'il y ait eu de l'injustice dans les appréhensions nationales, mais elles étaient au moins excusables; il aurait fallu bien du temps et bien des explications pour les dissiper: en attendant, c'est un fait qu'elles empêchaient de donner au roi des forces pour résister à l'ennemi qui s'avançait. Et quand la nation se serait résignée à accorder une armée, qu'il y a loin d'une levée difficilement consentie, plus difficilement rassemblée, à une armée qui se forme par le dévouement de ceux qui la votent et de ceux qui la composent! qu'il y a loin d'une soumission défiante à l'élan et à l'enthousiasme !

La nation s'est donc trouvée dans l'alternative de périr, ou de détrôner le roi; le détrônement a donc été un sacrifice nécessaire à son salut, soit qu'il fût ou non un acte de justice. Une seule chose aurait pu en dispenser, aurait pu même rendre la conservation du roi utile à celle de la France: ç'aurait été qu'il déclarât aux ennemis qu'à leur entrée sur le territoire, il descendrait volontairement de ce trône où ils avaient l'insolente prétention de l'affermir, et où ils l'avaient exposé à la honte de paraître leur complice; de ce trône dont leur protection le rendrait indigne, si elle était impuissante contre le peuple français ; et qu'elle rendrait indigne de lui, si elle pouvait en triompher. Ah! comme la nation se serait dévouée pour un prince qui, par cette héroïque menace, se serait identifié avec elle! Mais une telle gloire n'était pas réservée au faible et malheureux Louis; il se l'était interdite par son acquiescement aux sollicitations de ses frères.

Si, le roi restant sur son trône, la nation devait devenir la proie de l'étranger, peut-on mettre en principes qu'elle dût préférer l'invasion de son territoire au renversement du roi, le danger de son propre anéantissement au détrônement du monarque ? Une nation at-elle plus qu'un particulier le droit de faire le honteux abandon de son existence? Eh! la conquête qui pouvait anéantir la France n'étaitelle pas aussi l'engloutissement du trône? Livrer la France à l'étranger, n'était-ce pas aussi

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Nous avons parlé de la commune qui s'est formée dans la nuit du 10 août. Ce jour même, elle s'arrogea le pouvoir suprême. Elle dicta quelque temps des lois au corps législatif; elle rebuta celles qui n'étaient pas conformes à ses volontés. Lorsqu'à la fin du mois d'août, on apprend dans la capitale que Longwy est pris, que Verdun et Thionville sont menacés, la commune fait fermer les barrières, met toute la garde nationale sous les armes, fait fouiller le domicile de tous les habitants, en fait arracher tous les hommes désignés comme ennemis de la patrie. On arrête dans cette nuit six mille personnes, on les jette dans les prisons; une grande partie étaient des ecclésiastiques. Le 2 septembre, à midi, le canon d'alarme se fait entendre sur le Pont-Neuf: c'était le signal d'un massacre dans les prisons, dans ces prisons encombrées, trois jours avant, de malheureux arbitrairement arrêtés. Elles deviennent d'horribles boucheries. Tout Paris se remplit d'effroi : cependant, et c'est ici un fait bien remarquable, ces trois coups de canon, qui étaient le signal du massacre, étaient en même temps le signal de l'enrôlement des citoyens appelés au secours de la patrie. Des estrades étaient établies dans les carrefours, dans les places publiques, pour recevoir leur soumission et les inscrire; et, chose étonnante! des magistrats s'y étant établis lorsque le canon se fit entendre, les citoyens y affluèrent; une armée de quarante mille hommes fut ainsi formée en trois jours par l'enthousiasme de la liberté, pendant que la férocité la plus impitoyable massacrait impunément dans les prisons!

Le 21 septembre 1792, s'ouvrirent les séances de la convention nationale. Longwy et Verdun étaient pris, Lille bloquée, la tranchée ouverte devant Thionville, le roi de Prusse en Champagne, à la tête de son armée. Le pre

mier acte de la convention fut d'abolir la royauté, de proclamer la république. Six cent mille hommes qui étaient en marche sur tous les points de la république pour se rendre aux armées, apprennent que l'égalité vient d'être consacrée par une constitution qui n'admet plus ni cour, ni grands, ni nobles, et qui appelle aux plus hautes distinctions tous les gens de mérite; que chacun va se battre pour soi, particulièrement pour soi, en même temps que pour la patrie. Le cri de Vive la république! remplace celui de Vive la nation! et résonne encore plus fortement dans les âmes. La mar che des défenseurs, déjà rapide, s'accélère encore; ils sont comme précipités sur l'ennemi par l'impétuosité de leur mouvement. Ils sont victorieux à Valmy le 20 septembre, et l'établissement de la république et l'indépendance nationale sont assurés. Le 30 septembre, l'ennemi, battu, commence sa retraite. Le 23 octobre, il ne reste des armées étrangères en France que les cadavres étendus sur le champ de bataille.

Une telle inauguration de la république devait disposer toutes les âmes à la générosité, et assurer l'existence de Louis XVI. Le roi semblait n'avoir plus rien à redouter pour sa personne, du moment que la royauté n'était plus à craindre; ses amis pensaient qu'aucun intérêt ne sollicitait sa perte, depuis qu'il ne lui restait aucun moyen de vengeance. Bien des gens ont pensé, non sans quelque fondement, que la proclamation de la république, cette proclamation subite à laquelle personne ne s'attendait, pas même ceux qui l'ont proposée, a été suggérée par M. de Montmorin, le 10 août, à un homme du parti populaire, comme un moyen de sauver le roi; et en effet, c'était au moins une chance favorable au milieu de tant d'autres qui étaient contraires; et il est certain qu'une partie de la convention, fort atta chée aux idées monarchiques, s'était néanmoins décidée pour la république, dans l'espérance d'écarter le danger qui menaçait le roi. Vaines illusions!

Jusqu'ici nous avons vu les événements de la révolution conduits par deux passions, l'amour de l'égalité et l'irritation dans les contrariétés qu'elle avait éprouvées. Ici se découvrent deux autres principes qui vont concourir, jusqu'à l'époque du 18 brumaire an VIII, à tout

le mouvement des affaires publiques : ce sont la jalousie et la peur.

Deux partis se disputent le pouvoir à l'ouverture de la convention : le parti de la Gironde, et le parti de la Montagne (1).

L'esprit, le talent, le savoir, un patriotisme énergique, joints à une certaine douceur de mœurs, distinguaient le premier; mais point d'expérience, et une présomption qui aveuglait souvent: le second était composé de patriotes farouches, ignorants, âpres, jaloux, audacieux, entreprenants, sans ménagement. Les girondins avaient l'ambition de gouverner, et parce qu'ils s'en jugeaient capables, et parce qu'ils jugeaient que leurs adversaires ne l'étaient pas. Les montagnards, se sentant incapables de gouverner, ne voulaient pas de gouvernement. Ils ne voyaient de position pour eux que dans l'anarchie.

Les girondins, maîtres de la tribune, y exerçaient l'influence d'une forte logique, l'ascendant d'une haute éloquence, mais se plaisaient trop à en user pour quelque intérêt offensé grièvement par le parti contraire : les montagnards, ne pouvant répondre aux beaux discours, firent la guerre aux orateurs, et les vouèrent à la proscription. Ils désignèrent les hommes de la Gironde à la haine populaire, sous le titre de faction des hommes d'État; la Gironde les appela faction des hommes de sang, ou hommes de proie.

Ils étaient, en effet, hommes de proie, les principaux chefs de la Montagne; ils sortaient de cette commune qui aggrava, par des actes de férocité inouïs, les malheurs que vit la journée du 10 août, de cette commune à jamais execrable par les massacres de septembre, et qui, poursuivie par la clameur publique, avait besoin de trouver un refuge dans la puissance conventionnelle. Elle se l'était assuré ce refuge, en faisant nommer à la convention ses membres les plus énergiques, ou plutôt les plus violents. Disons mieux, elle s'était assurée de la convention elle-même. Quand ces monstres proposaient leurs atrocités à la tri

(1) Le premier, composé de députés de Bordeaux, fut par cette raison appelé parti de la Gironde; le second, composé des députés les plus violents de toutes les parties du royaume, fut appelé la Montagne, parce qu'ils se plaçaient d'ordinaire sur les bancs les plus élevés de la salle. Les modérés se tenaient au fond.

bune, la commune faisait rugir, autour du lieu des séances, ses aveugles affidés: il fallait que l'assemblée y souscrivît. Et quand des clameurs vengeresses s'élevaient dans la convention contre la commune, ses complices étaient à la tribune pour la défendre, et faire l'appel de tous ses auxiliaires et de ses partisans. Ce règne commun de la municipalité et de la Montagne commença avec la convention, et dura deux ans.

La justice nationale avait de dignes organes dans les députés de la Gironde; la vengeance publique s'exerçait déjà par des discours éloquents, qui invoquaient la rigueur des lois. La peur, qui s'attache au crime, fit conspirer la perte de la Gironde; et cette peur, fille et mère de la cruauté, cette peur, qui ne s'exprimait que par la menace, aidée de cette basse jalousie qu'il est si ordinaire de trouver unie à la lâcheté, força les faibles de concourir à ses desseins.

A la fin de 1792, le malaise du peuple, causé par la rareté des subsistances, ajoutait à son déchaînement contre le roi. Cette rareté était attribuée aux manoeuvres de la cour; c'était, disait-on, une nouvelle manière de faire périr le peuple, ajoutée aux massacres du 10 août, dont la Montagne demandait toujours vengeance, et qui ne pouvaient, selon elle, être expiés que par la mort du roi.

La Gironde, qui, le 10 août, avait voulu résister à la fureur populaire et sauver ensemble le roi et la royauté, s'était déclarée, dans la convention même, contre tout attentat sur la personne du roi.

Les girondins furent considérés comme complices du roi, parce qu'ils avaient été ses défenseurs livrer le roi à la fureur populaire, c'était donc y livrer les députés de la Gironde; c'était les conduire à l'échafaud que l'y faire monter. Il fut donc décidé par la Montagne et la commune que le roi serait jugé, c'està-dire condamné. De ce moment, la correspondance des clubs, celle de la commune, les journaux du parti ne cessèrent de provoquer les adresses et des pétitions d'autres communes, d'autres clubs, de toutes les administrations de la France, pour le jugement et la condamnation du roi. Les adresses affluèrent. Alors on y avait grande foi à ces adresses, qui, comme on l'a tant vu à la suite, s'atti

raient les unes les autres, enchérissaient sur celles qui les avaient précédées, comme pour se faire pardonner d'être venues plus tard, et souvent démentaient, par peur ou par une soumission intéressée, de précédentes adresses rédigées dans un sens opposé, et donnaient toujours la dernière pour la seule franche, libre et vraie; ces adresses étaient prises alors pour l'expression de la volonté générale. Et comment ne s'y serait-on pas mépris à la troisième année de la révolution? on s'y trompait encore à la vingtième, à la vingt-cinquième (1)!

Le 3 décembre 1792, un décret ordonna que le roi serait jugé par la convention. La discussion, déjà ouverte depuis quelque temps, continua jusqu'au 7 janvier suivant. Pendant cet intervalle, les montagnards manœuvrèrent, de concert avec la commune, contre la Gironde. Les orateurs de la Montagne, les Marat, les Robespierre, étaient en première ligne. Ils étaient sans cesse à la tribune, chargeant le roi d'imputations et d'épithètes odieuses. Ils qualifiaient de traîtres, d'ennemis du peuple les députés qui voulaient le sauver par l'appel au peuple, ou par un sursis à l'exécution du jugement; et la Gironde était à la tête de ce parti. Les tribunes publiques étaient pleines de furieux qui remplissaient la salle d'applaudissements à chaque outrage fait par la Montagne aux orateurs du parti modéré, et parmi ces orateurs, la Gironde était au premier rang. Quand les discussions s'échauffaient, les tribunes prenaient parti, se mettaient en révolte pour les montagnards. Pendant que les plus violentes agressions jetaient le désordre dans l'assemblée, une troupe de forcenés investissait la salle de ses séances, était informée, par les gens apostés dans les tribunes, de ce qui se passait dans l'in

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