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la révolution en France désiraient donc deux | chambres, dont une composée de pairs; deux chambres, pour empêcher les décisions précipitées et déterminées par entraînement; une chambre de pairs constitués héréditaires, pour qu'ils s'attachassent à la descendance du monarque par l'intérêt de leur propre descendance, et qu'ils formassent ainsi une garantie de l'hérédité de la couronne. Mais, dans le cours de l'année 1790 et de 1791, l'exaltation populaire, la défiance nationale contre la cour, la noblesse et les prêtres, s'étaient accrues à un tel point, que non-seulement il fut impossible de mettre en avant dans l'assemblée nationale la proposition de deux chambres, même de deux chambres égales en durée et en prérogatives, mais même que quelques patriotes ayant exprimé, dans un écrit imprimé, le désir de voir la chambre législative se diviser, pour la formation des lois, en deux sections ou comités, pour discuter et délibérer séparément, sous la condition que la majorité se formerait par le recensement en commun des suffrages individuels, comme résultant d'un même scrutin, cet écrit excita une espèce de soulèvement populaire, et fit renoncer à toute division.

2° On demanda, pour concilier le respect dû au prince, à son inviolabilité, à l'hérédité de sa couronne, avec la sûreté des particuliers contre les ordres qui pourraient lui être surpris, la responsabilité des ministres.

3 Pour assurer l'impartialité de la justice civile, l'indépendance des tribunaux, on demanda l'inamovibilité des magistrats; pour assurer celle de la justice criminelle, le jugement par jurés.

Telles étaient les opinions des esprits éclairés et sages à l'époque de 1789; telle fut la substance du grand nombre des cahiers de bailliages: tout ce qui a été ajouté postérieurement a été le produit de la colère et de la peur. Dès que les états furent assemblés, on vit, après quelques efforts pour maintenir les priviléges, tous les priviléges renversés en une seule nuit. L'abolition des priviléges ayant éprouvé de la résistance dans les provinces, le peuple fit la guerre aux privilégiés. Les nobles alors fuirent et s'armèrent au dehors. Les prêtres agitèrent les esprits. Alors on aboTit la noblesse, on dépouilla le clergé. Ne voulant plus de noblesse, on ne voulut plus de

titres, plus de noms portant marques de féodalité, plus de décorations nobiliaires, plus de souvenir des nobles. Quand on eut pris les biens du clergé, on voulut le réformer, on changea de prêtres, on chassa les premiers, on humilia leurs successeurs. Les parlements, qui s'étaient montrés défenseurs du peuple contre la cour, mais défenseurs des priviléges contre le peuple, furent renversés. La royauté, protectrice de la noblesse, fut d'abord dépouillée, ensuite dégradée, ensuite détruite; et le roi lui-même... Enfin, les excès ayant produit des mécontentements, on en vint au dernier des excès, au plus effroyable, au massacre des mécontents!

Mais j'ai trop pressé la marche, et j'ai laissé en arrière tout ce qu'il importait de remarquer. Revenons sur nos pas.

CHAPITRE V.

Explosion du 14 juillet 1789, occasionnée par la persistance des privilégiés à former deux chambres séparées, par l'appui de la volonté royale donnée à cette persistance. Abandon des priviléges, le 4 août.

Les états généraux sont assemblés. La noblesse et le clergé, qui, par leurs clameurs, leurs écrits, avaient mis tant d'opposition à ce que le tiers état obtint une représentation égale, uniquement parce qu'ils avaient pressenti la réunion des ordres pour délibérer en commun, essayèrent néanmoins d'empêcher cette réunion, comme s'ils ne l'avaient pas prévue. La chambre des communes la provoqua dès sa première séance. L'opinion publique s'était d'avance prononcée pour le vœu que la chambre manifesta. Une partie du clergé et de la noblesse était fort disposée à y accéder; quelques membres de ces deux ordres se réunirent de leur propre mouvement, sans attendre la décision de leur chambre. La résistance des autres fatigua le public. La chambre du tiers allait se déclarer assemblée nationale lorsque le roi intervint. Le roi ayant fait fermer le lieu des séances, sous prétexte d'y faire des dispositions pour une séance royale, le tiers état s'assembla au jeu de paume, le 20 juin 1789. Plusieurs membres du

clergé et de la noblesse s'y rendirent, et on, toute la roture rurale et urbaine ; c'est-à-dire prêta le serment de ne pas se séparer que la qu'alors se déclara contre le privilége exclusif constitution ne fut faite et établie. Le 23 juin, des emplois distingués dans le militaire, dans le roi réunit les trois chambres, et déclare la la haute magistrature et dans l'Église, toute la division en trois ordres inhérente à la consti- partie élevée du tiers état, la robe, la finance, tution de l'État (1). Il règle les cas où ils pour le commerce, les savants, les artistes, tout ce ront se réunir. Il excepte de la délibération que l'éducation avait rendu capable de fierté commune les affaires qui regardent les pro- et capable de vengeance. Dans cette classe, priétés féodales et seigneuriales, les droits utiles une jeunesse brillante se leva tout entière, et les prérogatives honorifiques attachées aux proclamant sa vocation à tous les travaux, terres et aux fiefs, ou appartenant aux person- à toutes les dignités, à tous les honneurs. nes des deux premiers ordres; il déclare ces Les femmes entrèrent aussi dans la révolte droits et prérogatives propriétés hors d'at- avec toute l'ardeur d'épouses, de mères, de teinte, ainsi que les dîmes, les cens, les rentes, sœurs, de maîtresses qui pressentent l'élévales droits et devoirs féodaux. Il défend, enfin, tion de tout ce qui leur est cher, et veulent la la publicité des séances. défaite de ceux qui les ont tenus si longtemps dans l'humiliation; c'est-à-dire, enfin, qu'alors se déclara en France, de Lille à Perpignan, de Brest à Strasbourg, l'unanimité des citoyens contre deux cent mille privilégiés ou adhérents.

Il devient ainsi constant aux yeux du tiers état que, pour satisfaire la cour, la noblesse, le clergé, il faut dépouiller cette familiarité qu'il avait contractée dans ses rapports avec la noblesse ; qu'il faut se placer, aux yeux de tous, au-dessous d'elle, se reconnaître inférieur; il apprend qu'il doit subir ses décisions, se soumettre à ses priviléges actuels, s'abandonner à toutes les prétentions qui pourront renaître de ses anciens souvenirs. Ainsi il est établi que deux ordres qui, réunis, ne forment pas la quatre-vingtième partie de la nation, auront le pouvoir d'opprimer ou de continuer l'oppression de la classe quatre-vingts fois plus nombreuse; que l'accès aux grandes places continuera d'être interdit aux roturiers; que le poids de toutes les charges de l'État sera leur partage, et que les honneurs seront celui de la noblesse ; que la naissance sans mérite suffit pour tout obtenir, et que le mérite sans naissance n'a droit à rien.

Ce fut alors que la révolution éclata, c'està-dire qu'alors se déclarèrent contre les priviléges en matières d'impôts, et par entrainement contre les charges féodales et ecclésiastiques, contre la dime, les cens, les rentes, etc., tous les fermiers, tous les propriétaires roturiers, tous les propriétaires ruraux et les petits propriétaires des villes; c'est-à-dire qu'alors se déclara contre l'exemption des charges personnelles et roturières, du logement des gens de guerre, du tirage à la milice, des corvées,

(1) Déclaration du 23 juin 1789, art. 8, et instructions promulguées à la suite, art. 12.

Comment cette déclaration n'aurait-elle pas été violente? C'était l'explosion de la volonté nationale éclairée par de longues discussions, blessée par des contrariétés offensantes, irritée par une opposition téméraire, et qui, après avoir été quelque temps contenue par les représentants, a enfin reçu d'eux le signal de l'indépendance! Comment n'aurait-elle pas été violente? C'était la volonté nationale qui avait à venger des droits-respectables contre l'orgueil sans déguisement; c'était la nation armée contre les privilégiés !

Les mécontentements les plus généraux n'avaient produit depuis longtemps en France que des révoltes successives, parce qu'ils n'étaient. pas exaltés partout au même point et au même moment. Mais quand une représentation nationale avertit tous les intérêts et tous les droits lésés, il fallut que la révolte fùt générale, et prît le nom d'insurrection. C'est ce qui arriva.

On croit, et l'on répète beaucoup aujourd'hui, qu'avec plus de vigueur l'autorité aurait pu tout sauver. C'est méconnaître la force populaire, que de lui comparer celle du pouvoir. Un gouvernement peut se mesurer avec avantage contre la révolte : comment le ferait-il contre l'insurrection, même contre une révolte qui, sans être générale, est de nature à le devenir?

Lorsque l'autorité royale a fait un pas en

arrière en présence de la volonté nationale, elle doit renoncer à se défendre par la force sur le plan incliné où elle se trouve placée: gagner du temps, user d'art et d'adresse, est la seule ressource qui lui reste. Elle doit soutirer la foudre par les conducteurs, et non affronter les nuages. Elle ne doit pas prendre les reproches de l'orgueil blessé pour les conseils du courage, ni son irritation pour de la force. L'ennemi qui a tout à la fois l'avantage du nombre et celui du terrain, n'est contenu que faiblement par ses habitudes de respect, par l'imparfaite connaissance des desseins qu'on a formés contre lui. Il n'a besoin que d'un signe de malveillance pour s'en faire un prétexte de déchaînement, et dès qu'il est déchaîné, rien ne lui résiste : il entraîne tout, parce qu'il est presque tout, parce que, hors lui, il n'existe presque rien,

On ne doutait point en 1789 que l'universalité de la révolte ne la justifiât. On la nomma insurrection, pour la distinguer des révoltes partielles qui n'ont point l'aveu du grand nombre. On regardait l'insurrection comme le plus saint des devoirs, pour un peuple opprimé; on ne doutait pas que la souveraineté ne résidât dans le peuple ; qu'elle ne fût inaliénable; le soulèvement général ne fût l'exercice de cette souveraineté; en un mot, qu'il ne fût légitime du moment qu'il était général.

que

Aujourd'hui (1) on ne doute pas que toute cette doctrine ne soit subversive de la monarchie, même de toute société; qu'en France ces mots, la souverainete du peuple, ne soient sacriléges, et l'idée qu'ils expriment, punissable du dernier supplice.

Cependant on peut dire, sans blasphème et sans sacrilége, et sans professer une doctrine. subversive de la monarchie, et sans approuver le moins du monde la mise en jugement d'un monarque constitué, que la souveraineté appartient à la nation, et qu'elle est inaliénable, pourvu que l'on ajoute et que l'on sous-entende: 1° que l'exercice peut en être délégué par la nation, avec certaines réserves et sous certaines conditions, à une famille privilégiée, à charge de réversion dans le cas d'extinction de cette famille; 2o que tant que durera cette famille, la délégation sera irrévocable, et

(1) L'auteur écrivait en 1815.

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le monarque inviolable. Cette doctrine est plus conservatrice de la monarchic que toute autre, et n'est pas moins respectueuse pour le monarque. Avec le sous-entendu qui vient d'être exprimé, on n'offense, on ne conteste, on n'attaque pas plus l'autorité royale, en disant que la souveraineté appartient à la nation, qu'on ne conteste la possession et l'usage d'un domaine à l'usufruitier, en disant que le fonds appartient à une autre personne. On a dit, écrit, imprimé mille fois que les rois de France n'étaient qu'usufruitiers de la couronne; ce qui voulait dire qu'elle appartenait à la famille tant que la famille durait, et que la famille venant à s'éteindre, la couronne reviendrait à la nation.

Au reste, l'expérience a montré combien ⚫ toute discussion sur le droit de souveraineté est oiseuse.

La souveraineté se compose de droit et de fait, en d'autres mots de droit et de pouvoir, ou de droit et de force.

Quand le monarque a le moyen d'empêcher la nation qui luì a délégué le suprême pouvoir, de reprendre ce pouvoir, il ne servirait à rien à la nation d'en avoir le droit; quand le monarque est sans force et sans foi, ce qui est la même chose, et que la nation veut reprendre l'exercice de la souveraineté, à quoi pourrait servir le droit du monarque pour l'empêcher?

Le plus fort, quand le prince a une armée, quand il a des agents et des fonctionna res qui veillent pour lui, quand il veille lui-même sur ses fonctionnaires et ses agents, et surtout quand le peuple est heureux et qu'il dort, le plus fort est le prince; le prince alors exerce de droit et de fait le pouvoir souverain.

Quand le peuple est malheureux et mécontent, ou seulement inquiet et mécontent sans être malheureux; quand les fonctionnaires sont corrompus, ou dissipés et négligents; quand l'agitation et le mécontentement ont gagné les fonctionnaires et l'armée, le plus fort c'est le peuple; le peuple reprend alors l'exercice de la souveraineté, et redevient souverain de droit et de fait, s'il veut l'être.

Quand on dit que la souveraineté appartient au prince, on sous-entend que la minorité bien armée peut être plus forte que la majorité désarmée ou mal armée; la minorité vigilante, que la majorité endormie ou dissipée; la mi

norité bien conduite, que la majorité sans direction; la minorité fidèle au vœu constant de la majorité, que la majorité dans l'indolence des souhaits accomplis. Comment entendre, en effet, ce que serait la souveraineté d'un prince dont le gouvernement et la force non-seulement ne sauraient conduire ni contenir la majorité, mais même passeraient du côté de la majorité contre le prince? La minorité plus la inajorité, n'est-ce pas le tout?

Mais revenons au fait. J'ai dit que la force du gouvernement n'était plus en proportion avec celle qu'il fallait combattre, et que tout essai ne pouvait servir qu'à compromettre la royauté. En effet, l'exil du parlement de Paris en 1788, l'enlèvement de plusieurs de ses membres, l'exil du duc d'Orléans, l'emprisonnement des gentilshommes de Bretagne, la distribution d'une multitude de lettres de cachet dans les provinces, la brusque dissolution de la première assemblée des notables, l'établissement d'une cour plénière qui devait réunir, entre des mains sans force et sans vertu, tous les pouvoirs dont le roi dépouillait l'énergie parlementaire, tous ces prétendus actes de vigueur n'avaient servi qu'à provoquer la demande des états généraux, et à la provoquer si vivement et si généralement, que la cour n'avait pu en refuser la convocation.

De mêine, le rassemblement d'une armée à Versailles après la convocation des états généraux, la déclaration du 3 juin que cette armée devait appuyer au besoin, le renvoi de la partie du ministère qui avait la confiance du peuple, furent des actes de vigueur intempestifs qui déterminèrent les événements du 14 juillet jour mémorable où éclata la révolution.

Ce jour vit l'armée de Versailles en défection; le peuple attaquant, renversant la Bastille; la populace furieuse marquant, immolant des victimes. Princes, seigneurs, courtisans, magistrats, tout s'enfuit ou se cache. Les troupes de ligne gagnées à la cause populaire sont éloignées de Versailles; les ministres récemment renvoyés sont rappelés; les ministres appelés à leur place sont renvoyés. La noblesse, le clergé, accourent dans le sein du tiers état, n'y portant plus d'autre crainte que celle de ne pas être assez confondus avec ses membres. Enfin le roi, le roi lui-même se croit obligé de se rendre à Paris, dirai-je, pour com

paraître devant le peuple souverain à l'hôtel de ville, et pour faire un nouveau contrat avec lui, sous la garantie de vingt ou trente députés du parti populaire qui lui servent d'escorte, ou pour essayer de modérer, par une intercession jusqu'alors inouïe, les excès où s'emportait une multitude effrénée? Tandis que le peuple de Paris prouvait sa puissance en l'exercant et par sa manière de l'exercer, le peuple des campagnes refusait le payement des dimes et des droits féodaux; les paysans poursuivaient les seigneurs et brûlaient les châteaux. La nation n'approuvait sans doute ni ces violences, ni celles qui s'étaient commises à Paris dans la chaleur de la victoire; mais elle ne les arrêtait pas. Attentive à ses avantages, occupée à s'établir sur le terrain qu'elle avait gagné, elle ne jeta sur ces événements que des regards distraits. Mais trois millions de gardes nationaux se levaient; quarante-quatre mille municipalités se formaient par des élections populaires : et ces forces, qui lui assuraient le champ de bataille, lui promettaient aussi la fin des désordres et des excès.

A quels signes reconnaîtra-t-on une volonté générale en France, si on la méconnaît aux grandes circonstances de cette époque, si on la méconnaît à ce qui se passa durant deux mois à Paris et dans les provinces, dans les villes et dans les campagnes, d'une extrémité du royaume à l'autre? A quel signe reconnaitra-t-on une volonté profondément nationale, intimement française, si on la méconnaît dans cette immense révolte qui n'a pour cause évidente que la fierté blessée; la fierté, brillante distinction du caractère français, blessée par la proclamation solennellement renouvelée des distinctions d'ordres, plus que l'intérêt ne l'était par les priviléges utiles? Le calcul avait souffert patiemment ce que ces priviléges avaient d'onéreux, depuis que l'exercice en était devenu modeste, depuis que la jouissance en était presque désavouée comme prérogative, depuis que l'existence en était dissimulée dans le commerce de la société. La fierté nationale semblait désintéressée par la politesse des grands, par la familiarité de la roture avec la petite noblesse; peut-être même cette fierté avait-elle éloigné le renversement des priviléges, pour ne pas compromettre cette parité

arrière en présence de la volonté nationale,, le monarque inviolable. Cette doctrine est plus

elle doit renoncer à se défendre par la force sur le plan incliné où elle se trouve placée: gagner du temps, user d'art et d'adresse, est la seule ressource qui lui reste. Elle doit soutirer la foudre par les conducteurs, et non affronter les nuages. Elle ne doit pas prendre les reproches de l'orgueil blessé pour les conseils du courage, ni son irritation pour de la force. L'ennemi qui a tout à la fois l'avantage du nombre et celui du terrain, n'est contenu que faiblement par ses habitudes de respect, par l'imparfaite connaissance des desseins qu'on a formés contre lui. Il n'a besoin que d'un signe de malveillance pour s'en faire un prétexte de déchaînement, et dès qu'il est déchainé, rien ne lui résiste : il entraîne tout, parce qu'il est presque tout, parce que, hors lui, il n'existe presque rien.

On ne doutait point en 1789 que l'universalité de la révolte ne la justifiât. On la nomma insurrection, pour la distinguer des révoltes partielles qui n'ont point l'aveu du grand nombre. On regardait l'insurrection comme le plus saint des devoirs, pour un peuple opprimé; on ne doutait pas que la souveraineté ne résidât dans le peuple; qu'elle ne fùt inaliénable; que le soulèvement général ne fût l'exercice de cette souveraineté; en un mot, qu'il ne fût légitime du moment qu'il était général.

Aujourd'hui (1) on ne doute pas que toute cette doctrine ne soit subversive de la monarchie, même de toute société; qu'en France ces mots, la souverainete du peuple, ne soient sacriléges, et l'idée qu'ils expriment, punissable du dernier supplice.

Cependant on peut dire, sans blasphème et sans sacrilége, et sans professer une doctrine subversive de la monarchie, et sans approuver le moins du monde la mise en jugement d'un monarque constitué, que la souveraineté appartient à la nation, et qu'elle est inaliénable, pourvu que l'on ajoute et que l'on sous-entende ; 1o que l'exercice peut en être délégué par la nation, avec certaines réserves et sous certaines conditions, à une famille privilégiée, à charge de réversion dans le cas d'extinction de cette famille; 2° que tant que durera cette famille, la délégation sera irrévocable, et

(1) L'auteur écrivait en 1815.

conservatrice de la monarchic que toute autre, et n'est pas moins respectueuse pour le monarque. Avec le sous-entendu qui vient d'être exprimé, on n'offense, on ne conteste, on n'attaque pas plus l'autorité royale, en disant que la souveraineté appartient à la nation, qu'on ne conteste la possession et l'usage d'un domaine à l'usufruitier, en disant que le fonds appartient à une autre personne. On a dit, écrit, imprimé mille fois que les rois de France n'étaient qu'usufruitiers de la couronne; ce qui voulait dire qu'elle appartenait à la famille tant que la famille durait, et que la famille venant à s'éteindre, la couronne reviendrait à la nation.

Aù reste, l'expérience a montré combien toute discussion sur le droit de souveraineté est oiseuse.

La souveraineté se compose de droit et de fait, en d'autres mots de droit et de pouvoir, ou de droit et de force.

Quand le monarque a le moyen d'empêcher la nation qui lui a délégué le suprême pouvoir, de reprendre ce pouvoir, il ne servirait à rien à la nation d'en avoir le droit; quand le monarque est sans force et sans foi, ce qui est la même chose, et que la nation veut reprendre l'exercice de la souveraineté, à quoi pourrait servir le droit du monarque pour l'empêcher?

Le plus fort, quand le prince a une armée, quand il a des agents et des fonctionna res qui veillent pour lui, quand il veille lui-même sur ses fonctionnaires et ses agents, et surtout quand le peuple est heureux et qu'il dort, le plus fort est le prince; le prince alors exerce de droit et de fait le pouvoir souverain.

Quand le peuple est malheureux et mécontent, ou seulement inquiet et mécontent sans être malheureux; quand les fonctionnaires sont corrompus, ou dissipés et négligents; quand l'agitation et le mécontentement ont gagné les fonctionnaires et l'armée, le plus fort c'est le peuple; le peuple reprend alors l'exercice de la souveraineté, et redevient souverain de droit et de fait, s'il veut l'être.

Quand on dit que la souveraineté appartient au prince, on sous-entend que la minorité bien armée peut être plus forte que la majorité désarmée ou mal armée; la minorité vigilante, que la majorité endormie ou dissipée; la mi

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