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soin, inventer, perfectionner, produire, tout cela devint le partage de la partie industrieuse du tiers état. Les seigneurs, adonnés, dans leur jeunesse, aux exercices du corps, étrangers à toute société autre que celle des châteaux, jetés, plus tard, dans les sujétions de la cour, dans ses dissipations ou dans les emportements de la guerre, n'eurent jamais que des raisons de mépriser la culture de leur esprit, et craignirent par-dessus tout de le charger de savoir. Le tiers état fut donc le premier et presque seul appelé à l'instruction.

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les jouissances dont elle avait fait naître le be- | la nation eut l'obligation de les connaître ; ce furent des hommes du tiers état qui acquirent les droits que donnaient les beaux-arts à l'admiration et à la reconnaissance générales. L'imprimerie,'inventée dans le quinzième siècle (1), faisait partie du patrimoine du tiers état; dans le seizième siècle, elle fit sortir de la poussière des vieilles archives les trésors de la littérature ancienne, et elle publia les nouvelles œuvres qui devaient composer la littérature moderne. Aucun âge, aucun pays ne vit une littérature aussi complète, aussi brillante, aussi aimable, ajoutons aussi imposante et aussi forte que le fut en France celle du dix-septième siècle; aucun âge, aucun peuple ne réunit les jouissances de l'esprit et de l'imagination au même degré, ne les vit répandues aussi généralement, mêlées au même point à toutes les communications sociales, mariées, comme chez nous, à toutes les conversations, à toutes les fêtes: aussi, ne vit-on jamais autant de reconnaissance et d'admiration soumettre un si grand nombre d'hommes à l'empire des talents.

Après avoir atteint à la hauteur du patriciat par l'accroissement des fortunes, il le surpassa bientôt par le développement des esprits.

Le développement des esprits et l'accroissement des capitaux, dans une partie du tiers état, lui procurèrent une grande importance. Il fut seul capable de pourvoir à tous les besoins de la société, de lui faire connaître et goûter de nobles plaisirs. Seul il put serrer le lien social par les communications de l'esprit, et par la force morale d'une opinion publique qui s'étendit à toutes les actions et à toutes les personnes.

Le culte, la justice, l'administration, l'instruction publique, la direction des affaires particulières et celle des intérêts domestiques, enfin les secours que demande la conservation individuelle dans les maladies, dans les infirmités, aux âges extrêmes de la vie; en un mot, tous les services publics et privés trouvèrent dans le commun état exclusivement hommes propres à les remplir.

Les développements de l'esprit, dans le dixseptième siècle, en amenèrent de nouveaux dans le siècle suivant. Au règne de la littérature succéda, ou plutôt s'associa, celui de la philosophie et des sciences. Dans le dix-huitième siècle, l'observation, le raisonnement, l'imagination, toutes les facultés de l'esprit se fortifièrent, se fécondèrent l'une par l'autre. Les sciences exactes, les sciences morales et polidestiques, l'art de parler et d'écrire, s'unirent, s'embrassèrent et s'étendirent par leur union. Les savants, les philosophes, les poëtes, les grands écrivains formèrent une classe à part dans la société. On vit tout à coup s'élever du commun état, et à côté de l'ancienne noblesse de France, une noblesse nouvelle, qu'on pourrait appeler la noblesse du genre humain. Ceux qui la composaient se montrèrent aussi avec la dignité d'un antique patriciat, entés sur d'anciennes et d'illustres souches, ayant pour aïeux la longue suite des hommes de génie qui s'étaient succédé pendant des siècles dans un des nombreux domaines de l'esprit. Chacun d'eux s'était approprié ce que tous ses prédécesseurs y avaient suc

Créer et répandre des plaisirs nouveaux ne fut pas moins le mérite du commun état que celui de satisfaire à tous les besoins. Entre les jouissances dont les loisirs de la richesse rendent avide, il faut placer en première ligne les plaisirs de l'esprit et de l'imagination. Il n'en est pas de plus variés, de plus doux, de plus nobles, qui se renouvellent plus souvent, qui laissent moins de regrets, qui portent des fruits plus utiles, plus agréables. Les beauxarts, la peinture, la sculpture, la musique, la poésie, tous les genres de littérature, et particulièrement le théâtre, charmèrent et captivèrent tous les esprits capables de quelque élévation et de quelque délicatesse: ce fut dans le tiers état que se trouvèrent les hommes à qui

(1) En 1442.

cessivement ajouté de leur savoir et de leur propre fonds; s'y était établi comme par droit de primogéniture, en produisant pour titres les œuvres de son propre génie, qui avait agrandi et devait agrandir encore le domaine dont il avait pris possession (1). Ces hommes firent, si on peut le dire, une classe nouvelle de grands seigneurs, avec laquelle tous les autres, même des têtes couronnées, s'honorèrent d'entrer en relation (2). Ainsi, les savants illustres, les grands écrivains contribuèrent à l'élévation du tiers état, non-seulement par de continuelles effusions de lumières et de sentiments, mais encore par le rang qu'ils prirent dans la société, par le nouveau genre de distinction qu'ils imprimèrent aux hommes de cour qui entrèrent en communication avec eux, par l'appui qu'ils donnèrent contre la puissance arbitraire aux conditions inférieures de la société.

Les lettres créèrent l'autorité de l'opinion publique en recueillant, en conférant, en épurant les opinions particulières, en les éclairant de leurs propres clartés, en fortifiant, en autorisant, par la force du raisonnement et la beauté des tours et de l'expression, celles qui avaient pour elles l'assentiment le plus général.

L'opinion publique établie, elle marqua les personnes et les choses de son approbation, ou de son blâme et de son mépris. Par elles, les grands hommes furent célèbres, les hommes

(1) On pourrait faire la généalogie de presque tous les grands esprits qui ont acquis de la célébrité, comme on fait de celle de tous les personnages de grand nom. Il n'y a pas un homme illustre depuis deux siècles, dans les sciences ou dans les lettres, dont les ouvrages ne procèdent du talent ou du savoir d'un prédécesseur, et dont on ne puisse faire la filiation, soit d'après ses aveux, soit d'après les rapprochements de ses ouvrages avec ceux du même genre qui ont été publiés avant lui. Boileau descend d'Horace, Racine de Virgile, Molière de Plaute d'un côté, de Térence de l'autre; la Fontaine d'un côté de l'Arioste et de Boccace, de l'autre de Phèdre, qui descend d'Esope; Lagrange et la place descendent d'Euler, de Newton; Condillac descend de Locke, Locke de Bacon, Bacon d'Aristote.

(2) L'impératrice de Russie, le grand Frédéric, furent en correspondance suivie avec Voltaire, d'Alembert, Diderot, et autres.

méprisables honteusement fameux. Elle dit: Je veux que la gloire soit, et elle fut; qu'elle rayonne, et elle rayonna. Je veux que l'infamie reçoive une évidente et éternelle flétrissure, et l'opprobre exista. Les âmes et les esprits vulgaires continuèrent à se perdre dans le néant. Dès que la gloire eut jeté ses premiers rayons, les rois tombèrent dans la dépendance de l'opinion. Ils se trouvèrent entre les facilités que donne la gloire pour gouverner, et les obstacles qu'oppose le mépris public à l'exercice du pouvoir. La gloire du prince partout présente, toujours agissante sur les esprits, le dispense de dureté dans le commandement, et lui assure l'obéissance sans contrainte. Dans le mépris au contraire, il n'obtient par la violence, moyen toujours critique, qu'une obéissance toujours menaçante.

A la renaissance de la poésie en France, nos rois s'empressèrent de provoquer, de solliciter, d'acheter ses hommages. Ce que Théocrite avait dit (1), ce qu'Horace avait répété (2) sur le pouvoir des poëtes, Charles IX daigna le dire à Ronsard (3), et Louis XIV se plut à l'entendre redire par Boileau (4). Nos princes, croyant la louange des poëtes plus facile à obtenir que l'estime des peuples, se laissèrent aller à une déplorable méprise. Parce que, dans les temps anciens, les chants poétiques avaient eu seuls le pouvoir de perpétuer la mémoire des héros, les princes en conclurent que c'était une propriété des vers de traduire en héros, jusqu'à la dernière postérité, des personnages indignes de ses regards. Ils se persuadèrent que la louange pompeuse et cadencée suffisait pour assurer une gloire immortelle à celui qui en était l'objet. L'opinion publique les eut bientôt détrompés. Ils apprirent d'elle que les éloges qu'elle désavoue ne peuvent servir qu'à ajouter le déshonneur du poëte à l'indignité du héros. Les poëtes eux-mêmes reconnurent

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les limites de leur pouvoir et la suprême auto- domaine du pouvoir avec la prétention d'y

rité de l'opinion.

Boileau chanta Louis XIV dans sa gloire, et la voix publique répéta des chants qu'elle avait provoqués. La vieillesse du monarque ternit l'éclat de sa jeunesse et la gloire de sa maturité; alors la nation se tut, Boileau cessa d'écrire, et le monarque put apprendre par le silence du peuple, et par celui du poëte, qu'il avait perdu tout ensemble le respect et l'affection des Français.

Dans les heureux commencements du règne de Louis XV, la poésie et l'éloquence lui offrirent leurs tributs; mais la philosophie naissante pesa avec sévérité les droits du prince à la louange. Bientôt la critique fut mêlée à l'éloge. Plus tard, on se fit un honneur de la présenter nue; plus tard encore, la louange devint honteuse, et la censure devint l'habitude généråle. La chaire, le barreau, le théâtre, les parlements s'y livrèrent à peu près sans retenue. Partout où il y avait une souffrance, elle jetait les hauts cris la presse portait les plaintes d'une extrémité de la France à l'autre, et rapportait aussitôt la promesse de la vengeance. Elle recueillait et registrait ces plaintes et ces promesses; elle rappelait aussi les griefs des temps les plus reculés, et par elle la voix des siècles passés semblait recommander leur injure au temps présent, déjà trop disposé à venger la sienne.

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Le gouvernement de Louis XV, à force d'impôts, avait fait réfléchir sur la propriété, sur les priviléges, sur la reproduction des richesses, sur les causes qui la contrariaient. A force d'emprunts et de banqueroutes, le pouvoir avait fait réfléchir sur la foi publique et sur les garanties que la foi publique demandait contre l'arbitraire. Alors l'esprit philosophique embrassa la cause nationale; elle devint l'occupation des écrivains; l'économie sociale, l'économie publique, en un mot, le publicisme, si l'on peut se servir de ce mot, tourna en passion générale. Le tiers état avait commencé par se racheter de l'oppression; bientôt il était parvenu à se faire considérer par ses services; enfin, par ses écrits il se fit craindre et respecter.

La royauté et le gouvernement s'étonnèrent en vain de voir la morale, la justice, l'humanité, aidées de l'éloquence, s'ingérer dans le

tout régler. Il fallut se résoudre à les entendre.

La religion avait prêché dans tous les temps, mais en général et vaguement, contre la dureté des grands et des riches, et elle leur recommandait la charité. La morale publique fit mieux, elle attaqua de front, et en bataille rangée, les ennemis du pauvre, le fisc, les privilégiés; les saisit corps à corps, châtia leur insolence et leur avarice. L'éloquence aidait la morale et lui donnait un irrésistible ascendant. La morale, aidée de l'éloquence, ne se borna pas à protéger la pauvreté; elle la releva de son abaissement, elle fit valoir ses vertus, elle ennoblit ses souffrances en en montrant le principe dans l'existence des priviléges; elle intéressa à ses maux en en montrant l'étendue. Les vérités qui étaient confuses, elle les démêla; obscures, elle les éclaircit; celles qui étaient claires, elle les rendit évidentes, pathétiques, effrayantes. Chacun alors put défendre les intérêts du peuple; il devint facile autant qu'honorable aux talents du second ordre de se vouer à cette protection. Dans toute l'étendue de la France, chacun put se défendre soi-même. L'éloquence avait mis dans toutes les mains les armes que lui avait fournies la justice; elle les avait trempées et aiguisées pour en armer le malheur. Dans l'essor oratoire que prenait l'esprit national vers le milieu du dix-huitième siècle, dans l'émulation patriotique dont il était échauffé, toutes les abstractions de la politique et de la morale s'animèrent : d'un côté, la liberté, la propriété, l'égalité; de l'autre, l'arbitraire, l'oppression, le despotisme, la tyrannie. Tout fut personnifié, tout prit un corps, une attitude; tout fut armé, se mit en présence, en action. Une nouvelle mythologie, de nouvelles divinités s'élevèrent, les unes malfaisantes, les autres tutélaires Le parti populaire reconnut un nouveau culte, une nouvelle religion, qui eut à la suite, comme les autres, son égarement, son fanatisme et ses fureurs.

Tel était l'état des esprits vers la fin du dixhuitième siècle, plusieurs années avant 89. L'enthousiasme national gagna jusque dans les premiers rangs de la cour: des grands s'honorèrent de le partager; d'autres jugèrent prudent de le feindre. L'égalité, la familiarité s'établirent dans les relations habituelles de so

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pour se réunir,, une cloche pour se convoquer, un beffroi pour renfermer leur cloche et leurs armes; ils élevèrent des murailles autour de la cité, y bâtirent des forts, et se résolurent à soutenir désormais leurs droits par les armes (1). Tel est le premier acte de la révolution qui a rétabli dans la plénitude de ses droits la partie la plus considérable de la nation.

la

Ce ne sont pas des esclaves asservis par conquête, ni des serfs échappés des chaînes de la féodalité, qui ont commencé cette révolution: ce sont, je le répète, des hommes libres et propriétaires; ce sont les bourgeois des villes et bourgs, fatigués des vexations des nobles et des seigneurs, mais non chargés de leurs chaînes. Boulainvilliers et Montesquieu se sont également trompés lorsqu'ils ont avancé,

ciété, entre la ville et une grande partie de la cour, entre les grands, les gens du monde, les magistrats, les publicistes. L'égalité passa des opinions dans les mœurs, dans les habitudes générales. Des grands faisaient leur cour à Paris plus assidûment qu'à Versailles. Ils venaient semer parmi les magistrats et les écrivains politiques, parmi les gens du monde et les femmes même, des griefs contre les ministres, contre les princes, contre la reine, et recueillaient des scandales, des épigrammes, des satires, des remontrances, qu'ils allaient ensuite distribuer à Versailles. On peut dire qu'alors la révolution était faite dans les esprits et dans les mœurs. L'égalité était si bien établie dans les mœurs, et les jouissances et les jouissances d'amour-propre sont si vives pour les Français, que peut-être on eût encore souffert long-l'un que les Francs avaient réduit en servitude temps le poids des charges publiques, si leur aggravation n'eût fait ressortir les priviléges qui en exemptaient; et l'on se fut, peut-être, dissimulé l'exclusion d'une multitude d'emplois publics prononcée contre la roture, si l'indigence du trésor n'eût obligé la cour à convoquer des états généraux, où les inégalités allaient être marquées de nouveau avec une grande solennité. Il semblait avant cela que les classes élevées du tiers état craignissent, en demandant l'égalité, de faire remarquer qu'elle n'existait pas pour elles.

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tous les habitants des Gaules, l'autre que le gouvernement féodal y avait ployé Francs et Gaulois, vainqueurs et vaincus. Jamais, non jamais la nation française n'a été entièrement partagée en deux classes, les maîtres et les esclaves: toujours et partout où elle a existé, une classe d'hommes parfaitement libres en a constitué la partie la plus nombreuse et la plus considérable. Cette classe a existé, nonseulement dans l'aggrégation des nations diverses qui la composent aujourd'hui, mais aussi dans chacune des nations aggrégées. Ni les Gaulois, soit avant, soit après l'invasion des Romains, soit après celle des Francs; ni les Francs, soit en Germanie, soit après leur invasion dans les Gaules; ni les Romains en Sa deçà, ni au delà des Alpes; ni les Français depuis la réunion des Gaulois, des Francs et des Romains en une seule nation, n'ont cessé un moment d'être des nations fortes d'hommes libres et propriétaires. La révolution n'est partie ni d'aussi loin, ni d'aussi bas, que quelques écrivains se sont plu à le dire. Elle a été une vengeance de la liberté offensée, une précaution de la liberté menacée, une extension de la liberté à un plus grand nombre de personnes, un progrès de la liberté vers une liberté plus parfaite et mieux garantie : ce n'a point été le passage de la servitude à la liberté.

Nous venons de voir comment la révolution s'est opérée dans l'ordre moral. Voyons rapidement comment elle a eu lieu dans le système politique.

La révolution a commencé dans le onzième siècle, au premier coup de tocsin qui fut sonné dans les villes et bourgs par les hommes libres, lorsqu'ils se soulevèrent contre les vexations des seigneurs; ils s'armèrent alors, se confédérérent tumultuairement, se jurèrent une assistance mutuelle contre la tyrannie, déclarèrent leurs franchises, leurs droits et leurs obligations sous le titre et la forme de coutumes, s'élirent des magistrats garants de leurs conventions, se donnèrent une maison commune

Longtemps flagrante après cette première manifestation, la révolution s'est étendue à

(1) Bréquigny, Préface des ordonnances du Louvre.

une multitude de communes dans le treizième | peuple : à Londres, par des chartes en faveur

siècle, sous les règnes de Louis le Gros et de ses successeurs immédiats, qui reconnurent les confédérations, sanctionnèrent les coutumes, affranchirent les serfs des villes devenus moins patients depuis l'insurrection des bourgeois, et enfin, affranchirent, du moins dans les domaines du roi, les serfs des campagnes (1).

Toutefois, cette période fut marquée moins par l'aveu que la royauté donna à la révolution, que par le zèle que mit la révolution à la | délivrance de la royauté. Dès que la couronne eut favorisé l'essor des hommes libres, les hommes libres l'aidèrent à se dégager de la féodalité. La royauté et le commun état s'allièrent, et par cette alliance la seigneurie suzeraine des Capétiens commença à prendre le caractère de royauté monarchique. Le tiers état offrit à Philippe le Long des milices communales. Saint Louis fit asseoir avec lui sur son tribunal, avec les pairs et les barons, un grand nombre de légistes du commun état; la cour | d'assises du seigneur suzerain prit une forme régulière et stable; elle fut composée de magistrats instruits et permanents. Plus tard, le parlement devint sédentaire (2).

La révolution fit plus durant le règne de saint Louis et de Philippe IV, elle ouvrit aux députés du commun état l'entrée des assemblées nationales.

Telle fut la seconde période de la révolution, qui comprend le treizième siècle et le commencement du quatorzième.

Dans la période suivante, le commun état ayant essuyé de nouvelles injures de la part des seigneurs, elle éprouva l'ingratitude de la royauté alors la révolution s'emporta, de grands excès la signalèrent. Le quatorzième siècle vit presque en même temps, en Flandre et en Angleterre, le peuple se soulever comme en France; dans les trois pays, la liberté renaissante était aux prises avec la féodalité à | son déclin, qui se défendait d'une fin prochaine; les Jacques en France, les Tuiliers en Angleterre, les Poissonniers en Flandre, firent une guerre à outrance aux seigneurs et aux châteaux. Les violences ne s'apaisèrent que par des institutions garantes des droits du

(1) Sous Louis X.

(2) En 1305, sous Philippe le Bel.

des communes; en Flandre, par des concessions aux villes; en France, par la reconnaissance du droit de ne payer que des impôts consentis (1).

Le quinzième siècle nous offre une quatrième période où la dignité du commun état se montre avec sa force. La royauté et la nation se réconcilient, paraissent même s'affectionner. Dans le commun état semble résider la France tout entière : toutes les autorités civiles, judiciaires, administratives et municipales sont exercées par lui; il est seul la force publique. Après le règne du roi Jean, ses députés seuls composent quelque temps les assemblées nationales. Sous Louis XI, sous Charles VIII, sous Louis XII, on y revoit le clergé et la noblesse, toutefois mêlés et confondus avec les hommes du commun état. Les nobles, les ecclésiastiques, les plébéiens, tous, sous le titre de bourgeois, élisent en commun des députés communs. Tous ces députés, ecclésiastiques, nobles, plébéiens, prennent place confusément aux états, y apportent un mandat pareil, y opinent par tête indistinctement, forment une seule chambre en tout homogène, une véritable chambre des communes : tandis que, d'un autre côté, une chambre uniquement composée des plus grands seigneurs du royaume, de pairs et de hauts barons, tous nommés par le roi, forme une chambre haute qui prononce sur les propositions que les députés des communes soumettent à sa décision. Tels furent les états de 1467 sous Louis XI, ceux de 1484 sous Charles VIII, ceux de 1506 sous Louis XII.

Cette période, qui finit avec Louis XII, est la dernière de la révolution; alors elle était consommée; un roi généreux s'était chargé de son triomphe. Le commencement du seizième siècle vit le bonheur du monarque, le bonheur du peuple, opérés l'un par l'autre, se manifester des deux côtés par dès expressions tou

(1) Les Bourguignons et les Armagnacs paraissent avoir tout conduit, tout animé de leur esprit, tout passionné pour leurs intérêts; ils ont été les agents, intéressés sans doute, mais souvent passifs, des intérêts d'autrui. S'il n'avait pas existé d'intérêts populaires, les ducs de Bourgogne auraient été bien peu ❘ de chose.

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