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galité de fait avec les classes communes. Les peuples, plus portés à l'émulation des supériorités morales et politiques que soigneux de la liberté et de la propriété, risqueront un peu de l'une et de l'autre, pour avoir de grands hommes et faire de grandes choses. La propriété pourra être ménagée chez d'autres peuples, au préjudice de l'égalité de droits, peutêtre même au désavantage de la liberté, ou être soumise à de grands sacrifices.

Je ne sais si ce que je vais dire sera regardé comme un hommage à la nation française, ou comme une dépréciation de son caractère; mais la vérité, ou ce que je crois être la vérité, m'importe avant tout. Je pense donc que le Français est plus jaloux de l'égalité que de la liberté et de la propriété; de l'égalité de droits qui permet d'aspirer à tout ce que la société peut accorder de distinction au mérite, qu'à l'égalité de fait qui ne réserverait rien de particulier aux esprits et aux caractères nés supérieurs; qu'il s'occupe plus volontiers des chances d'élévation que des dangers de sujétion; qu'il est possible de lui faire illusion sur un peu de dépendance par beaucoup de distinction; que l'amour des distinctions est un des traits caractéristiques du Français, et tient à sa passion dominante, qui est l'amour des femmes, passion toujours heureuse, quand la gloire l'accompagne; que c'est surtout le caractère de la jeunesse; que ceux d'entre les jeunes Français qui appellent la démocratie se méprennent sur leurs motifs et sur leur ambition intime; qu'ils croient suffisant pour eux que personne ne soit au-dessus d'eux, tandis qu'ils veulent pouvoir s'élever au-dessus des autres; qu'ils demandent, non une carrière sans obstacles, où les vertus communes puissent arriver à un but commun, mais une carrière ouverte à l'émulation de tous les talents, pour atteindre à toutes les supériorités. Si l'esprit de liberté donne plus de force à une nation, et lui assure un bonheur plus solide, l'émulation de supériorité qu'inspire l'égalité de droits, lui donne plus d'éclat, et n'est pas pour elle une vaine parure: elle est féconde en grands caractères et en grands génies. Cette émulation développe les germes de grandeur dont la nature a doué quelques individus, et sert à montrer jusqu'où peuvent s'élever la capacité et la dignité humaines.

Le premier motif de la révolution n'a pas été d'affranchir les terres et les personnes de toute servitude et l'industrie de toute entrave; ce n'a été ni l'intérêt de la propriété, ni celui de la liberté. C'a été l'impatience des inégalités de droit existantes alors, ç'a été la passion de l'égalité. Il ne s'agissait point de l'égalité de fait, qui eût été la subversion de la société. Pour les hommes qui se sentaient appelés à de grandes choses, pour la jeunesse pressée du besoin de développer une grande surabondance de force, qui regardait comme un droit inaliénable et comme un devoir de mettre en pleine valeur les dons de la nature, il fallait l'égalité de droits qui ouvrait la carrière à l'ambition de toutes les supériorités morales et politiques, des premières magistratures, des plus hautes dignités civiles et militaires, de toutes les distinctions que l'état social peut offrir aux talents, aux vertus, aux services d'un ordre éminent. La passion de l'égalité n'a pas borné ses prétentions à pénétrer dans les rangs jusque-là réservés à la naissance, elle a voulu le pouvoir de s'en marquer au delà; elle ne s'est pas bornée à égaler les patriciens, elle a voulu que rien ne l'empêchât de les surpasser; elle n'a pas aboli la noblesse, elle a substitué à l'hérédité de ses priviléges, l'antique, l'éminente noblesse du mérite; elle a voulu que les descendants sans gloire d'illustres ancêtres vinssent après les hommes qui seront d'illustres ancêtres pour leurs descendants; et les illustrations héritées, loin en arrière des illustrations acquises.

Ce la nation a fait en 89 pour la liberté que et la propriété, n'a été qu'une conséquence et un accessoire de ce qu'elle a fait pour acquérir l'égalité de droits. Elle a moins regardé les avantages qui peuvent se soumettre au calcul, servi les délicatesses de l'amour-propre. que La révolution a moins été l'amélioration des fortunes et l'accroissement de la sûreté individuelle, que le triomphe de l'orgueil national. Aujourd'hui, comme dans le principe, elle est moins chère aux Français, comme utile, que comme honorable. Les dernières conditions, celles à qui l'intérêt de la propriété était le plus cher, celles-là même n'ont pas été insensibles au tricmphe de l'égalité. Les servitudes de la propriété rurale, les entraves de l'industrie dans les villes, ont été secouées par le peuple, moins comme onéreuses que comme

injurienses; et il n'est villageois si grossier qui ne se soit plus réjoui d'en voir finir l'humiliation, que d'en retirer les profits. L'importance que l'opinion a donnée dans la suite aux divers résultats de la révolution a été en raison inverse de leur utilité. On a mis plus de prix à l'abolition de la milice, dont les nobles étaient exempts, quoiqu'elle fût remplacée par la conscription qui n'épargnait personne, qu'à celle des droits onéreux de la féodalité; et à l'abolition de l'exclusif attribué aux nobles pour les grands emplois publics, qu'à l'exemption de la dime. L'enthousiasme avec lequel la nation a reçu plus tard l'institution de la Légion d'honneur a bien montré à quel point l'amour des distinctions est inhérent au caractère français et, pour le dire en passant, cette passion caractéristique, jointe au besoin d'affectionner les hommes qui servent ou honorent leur pays, font de notre nation le peuple le plus antipathique de la terre avec la démocratie. C'est la passion des Français pour l'égalité de droits et pour les distinctions qu'elle assure au mérite, qui, jointe aux affreux souvenirs de l'anarchie, a rendu les Français si accommodants sur leur liberté avec Napoléon. Cet homme extraordinaire avait bien saisi leur caractère. Pendant toute la durée de son règne, il n'a cessé d'élever les talents, les vertus et les services qui se sont signalés dans les derniers rangs de la société, aux premières dignités de l'État; courtisan de l'égalité, il a pu, sans obstacle, non détruire, mais affaiblir sensiblement la liberté (1).

| rut; les hommes et la terre en ont aussitôt éprouvé les effets; elle s'est identifiée avec le sol et l'habitant. Comme je l'ai dit ailleurs, elle est aujourd'hui en séve dans tout ce qui végète, dans le sang de tout ce qui respire.

Sa marche, depuis 89, n'a pas été exempte d'irrégularités; elle a eu ses colères, ses emportements, ses écarts. Attaquée dans ses principes, il fallait qu'elle se déclarât. Commencée, il fallut qu'elle s'achevât; contrariée, elle s'irrita; irritée, elle n'épargna rien. Elle compromit ses agents, ses défenseurs; elle poussa les uns aux excès par l'enthousiasme, les autres par la menace; elle tira de leurs violences volontaires ou forcées une nouvelle sûreté des engagements qu'ils avaient pris avec elle; elle fit du crime même, dont elle était l'occasion, un intérêt qui lia à sa défense; elle ajouta à l'intérêt propre de la révolution l'intérêt particulier des révolutionnaires: la propriété, la vie, l'honneur, tout fut lié à sa stabilité.

La révolution fut le produit indestructible de l'accroissement de la civilisation, qui résultait lui-même de l'accroissement simultané des richesses et des lumières. L'idée de cette origine n'est pas nouvelle; beaucoup l'ont aperçue, je le sais; mais je voudrais la mettre clairement à découvert aux yeux de tous.

CHAPITRE II.

Comment la révolution s'est opérée dans les idées et dans les mœurs. Elle est le produit de l'accroissement des richesses et de l'accroissement des lumières. Développement.

La révolution morale qui a précédé l'éclat de 89 s'est opérée lentement. Plusieurs géné rations, plusieurs siècles ont vu sa naissance et ses progrès. Aussi, lorsqu'elle se déclara, la Le gouvernement féodal avait donné aux population du royaume tout entière y concou-seigneurs le territoire, et avait imposé au peu

(1) C'est cette passion de l'égalité qui, après avoir enduré quinze ans d'outrages depuis la restauration des Bourbons jusqu'au mois de juillet 1830, s'est reproduite depuis quelques années avec l'exaltation d'un sentiment longtemps comprimé, et fait attaquer par des esprits irréfléchis non-seulement la royauté héréditaire, l'hérédité d'une magistrature sur laquelle se fonde l'hérédité du trône, mais même cette inévitable aristocratie des lumières et de l'expérience, que la jeunesse a le chagrin de rencontrer partout où l'on voit des hommes de cinquante ans et au delà. Cette effervescence ne sera pas de longue durée.

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priété foncière s'éleva la propriété des capi- | mème de plébéiens enrichis. C'est ainsi que le taux mobiliers.

La valeur de ces capitaux surpassa bientôt celle des terres. S'accroissant chaque jour par l'industrie et le travail, comme l'industrie et je travail par les capitaux, bientôt ils refluè rent des villes dans les campagnes, des ateliers des arts et des entreprises du négoce dans les exploitations rurales, et donnèrent un immense développement à la production territoriale. La seigneurie n'est point ouvrière: les seigneurs ravageaient quelquefois les terres; ils ne les cultivaient point. Le travail, l'industrie, les capitaux étant le patrimoine du bourgeois, du vilain, les bourgeois, les vilains acquirent des terres, en prirent à bail, à cens. Ils se chargèrent ainsi de la fructification d'une grande partie du territoire. Défrichements, desséchements, arrosements, amendements, grande culture, ils firent tout ce qui peut donner un plein essor à la force productive de la terre. Ainsi, la propriété mobilière se répandit partout, s'associa à tout, fit fleurir les arts, le négoce, la propriété foncière. Bientôt elle marcha de pair avec celle-ci; les biens-fonds s'échangèrent avec les fonds d'industrie, comme leurs produits s'échangeaient au marché. Les capitaux devinrent l'unité à laquelle se mesurèrent tous les genres de biens. Ce qu'on appela la valeur des terres fut désigné par le capital, qui en était le prix en cas de vente. La rente ou l'intérêt des capitaux se balança dans tous les genres de placements.

Alors les bourgeois, premiers possesseurs des capitaux, comme les seigneurs avaient été les premiers possesseurs des terres, eurent en leur puissance la plus grande masse de la richesse nationale. Seuls propriétaires de tous les genres d'industrie, ils se placèrent aussi dans les rangs des propriétaires territoriaux. Alors les fortunes plébéiennes se classèrent comme celles des seigneurs, en petites fortunes, en fortunes médiocres, en grandes, en immenses fortunes. La richesse, l'opulence, le luxe, l'ostentation, les commodités de la vie, devinrent communes à la roture et à la noblesse; hôtels, châteaux, ameublements, voitures, chevaux, valets, vêtements, tout ce qui annonce la richesse devint une jouissance des simples particuliers comme des grands de l'État. Des seigneurs devinrent vassaux, sujets

travail, après avoir délivré de la servitude, donna même la domination et la seigneurie à la classe des prétendus serfs sur une foule d'anciens seigneurs.

La découverte de l'Amérique et la navigation, ajoutèrent un immense développement à la prospérité du tiers état dans le seizième siècle.

Pendant que les fortunes plébéiennes sc multipliaient, s'élevaient et commençaient à rivaliser avec les fortunes féodales, la puissance des seigneurs se détruisait, et leur fortune n'augmentait pas. Ils perdaient le droit de lever des troupes, le droit de juger leurs vassaux sans appel, le droit de n'être eux-mêmes jugés par personne. Attirés près du prince, ils devenaient courtisans et n'avaient plus de cour.

L'indolence nobiliaire succédant aux occupations féodales, le mépris du travail, des arts, de l'économie demeurant à la noblesse comme seules marques de grandeur, tandis que l'activité du commun état portait la fécondité dans toutes les entreprises rurales, manufacturières et commerciales, et que son économie accumulait de continuelles épargnes, il fallut que la grandeur seigneuriale s'abaissât à mesure que la roture s'élevait autour d'elle, et que leur condition s'approchât du niveau. Telle était, à la fin du seizième siècle, leur situation respective. C'était le résultat de l'accroissement des richesses.

Observons, maintenant, la marche des lumières depuis le onzième siècle.

Ce que la richesse donne de plus précieux aux hommes, c'est du temps, c'est du loisir. Si ce qu'on appelle la vie est le développement et l'exercice de nos facultés, l'homme que son aisance exempte des soins journaliers de sa subsistance et de son bien-être physique, a cent fois plus de temps à vivre que l'homme dénué de toute propriété.

Le développement des qualités intellectuelles fut très-inégal entre les classes privilégiées et celles du commun état. Les opérations que le commerce et les arts exigent sont déjà un exercice pour l'esprit; les voyages qu'ils supposent font passer sous les yeux une foule d'objets d'utile comparaison. Enfin, la richesse étant le produit de l'industrie, la conserver, l'accroitre, en faire un sage emploi, pourvoir à toutes

soin, inventer, perfectionner, produire, tout cela devint le partage de la partie industrieuse du tiers état. Les seigneurs, adonnés, dans leur jeunesse, aux exercices du corps, étrangers à toute société autre que celle des châteaux, jetés, plus tard, dans les sujétions de la cour, dans ses dissipations ou dans les emportements de la guerre, n'eurent jamais que des raisons de mépriser la culture de leur esprit, et craignirent par-dessus tout de le charger de savoir. Le tiers état fut donc le premier et presque seul appelé à l'instruction.

les jouissances dont elle avait fait naître le be- | la nation eut l'obligation de les connaître; ce furent des hommes du tiers état qui acquirent les droits que donnaient les beaux-arts à l'admiration et à la reconnaissance générales. L'imprimerie,'inventée dans le quinzième siècle (1), faisait partie du patrimoine du tiers état ; dans le seizième siècle, elle fit sortir de la poussière des vieilles archives les trésors de la littérature ancienne, et elle publia les nouvelles œuvres qui devaient composer la littérature moderne. Aucun âge, aucun pays ne vit une littérature aussi complète, aussi brillante, aussi aimable, ajoutons aussi imposante et aussi forte que le fut en France celle du dix-septième siècle; aucun âge, aucun peuple ne réunit les jouissances de l'esprit et de l'imagination au même degré, ne les vit répandues aussi généralement, mêlées au même point à toutes les communications sociales, mariées, comme chez nous, à toutes les conversations, à toutes les fêtes: aussi, ne vit-on jamais autant de reconnaissance et d'admiration soumettre un si grand nombre d'hommes à l'empire des talents.

Après avoir atteint à la hauteur du patriciat par l'accroissement des fortunes, il le surpassa bientôt par le développement des esprits.

Le développement des esprits et l'accroissement des capitaux, dans une partie du tiers état, lui procurèrent une grande importance. Il fut seul capable de pourvoir à tous les besoins de la société, de lui faire connaître et goûter de nobles plaisirs. Seul il put serrer le lien social par les communications de l'esprit, et par la force morale d'une opinion publique qui s'étendit à toutes les actions et à toutes les personnes.

Le culte, la justice, l'administration, l'instruction publique, la direction des affaires particulières et celle des intérêts domestiques, enfin les secours que demande la conservation individuelle dans les maladies, dans les infirmités, aux âges extrêmes de la vie; en un mot, tous les services publics et privés trouvèrent dans le commun état exclusivement des hommes propres à les remplir.

Les développements de l'esprit, dans le dixseptième siècle, en amenèrent de nouveaux dans le siècle suivant. Au règne de la littérature succéda, ou plutôt s'associa, celui de la philosophie et des sciences. Dans le dix-huitième siècle, l'observation, le raisonnement, l'imagination, toutes les facultés de l'esprit se fortifièrent, se fécondèrent l'une par l'autre. Les sciences exactes, les sciences morales et politiques, l'art de parler et d'écrire, s'unirent, s'embrassèrent et s'étendirent par leur union. Créer et répandre des plaisirs nouveaux ne Les savants, les philosophes, les poëtes, les fut pas moins le mérite du commun état que grands écrivains formèrent une classe à part celui de satisfaire à tous les besoins. Entre les dans la société. On vit tout à coup s'élever jouissances dont les loisirs de la richesse ren- du commun état, et à côté de l'ancienne nodent avide, il faut placer en première ligne les blesse de France, une noblesse nouvelle, plaisirs de l'esprit et de l'imagination. Il n'en qu'on pourrait appeler la noblesse du genre est pas de plus variés, de plus doux, de humain. Ceux qui la composaient se monplus nobles, qui se renouvellent plus souvent, trèrent aussi avec la dignité d'un antique paqui laissent moins de regrets, qui portent des triciat, entés sur d'anciennes et d'illustres fruits plus utiles, plus agréables. Les beaux- souches, ayant pour aïeux la longue suite des arts, la peinture, la sculpture, la musique, la hommes de génie qui s'étaient succédé penpoésie, tous les genres de littérature, et parti- dant des siècles dans un des nombreux domaiculièrement le théâtre, charmèrent et captivè- nes de l'esprit. Chacun d'eux s'était approprié rent tous les esprits capables de quelque élé-ce que tous ses prédécesseurs y avaient sucvation et de quelque délicatesse: ce fut dans

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cessivement ajouté de leur savoir et de leur droit propre fonds; s'y était établi comme par de primogéniture, en produisant pour titres les œuvres de son propre génie, qui avait agrandi et devait agrandir encore le domaine dont il avait pris possession (1). Ces hommes firent, si on peut le dire, une classe nouvelle de grands seigneurs, avec laquelle tous les autres, même des têtes couronnées, s'honorèrent d'entrer en relation (2). Ainsi, les savants illustres, les grands écrivains contribuèrent à l'élévation du tiers état, non-seulement par de continuelles effusions de lumières et de sentiments, mais encore par le rang qu'ils prirent dans la société, par le nouveau genre de distinction qu'ils imprimèrent aux hommes de cour qui entrèrent en communication avec eux, par l'appui qu'ils donnèrent contre la puissance arbitraire aux conditions inférieures de la société.

Les lettres créèrent l'autorité de l'opinion publique en recueillant, en conférant, en épurant les opinions particulières, en les éclairant de leurs propres clartés, en fortifiant, en autorisant, par la force du raisonnement et la beauté des tours et de l'expression, celles qui avaient pour elles l'assentiment le plus gé

néral.

L'opinion publique établie, elle marqua les personnes et les choses de son approbation, ou de son blâme et de son mépris. Par elles, les grands hommes furent célèbres, les hommes

(1) On pourrait faire la généalogie de presque tous les grands esprits qui ont acquis de la célébrité, comme on fait de celle de tous les personnages de grand nom. Il n'y a pas un homme illustre depuis deux siècles, dans les sciences ou dans les lettres, dont les ouvrages ne procèdent du talent ou du savoir d'un prédécesseur, et dont on ne puisse faire la filiation, soit d'après ses aveux, soit d'après les rapprochements de ses ouvrages avec ceux du même genre qui ont été publiés avant lui. Boileau descend d'Horace, Racine de Virgile, Molière de Plaute d'un côté, de Térence de l'autre ; la Fontaine d'un côté de l'Arioste et de Boccace, de l'autre de Phèdre, qui descend d'Esope; Lagrange et la place descendent d'Euler, de Newton; Condillac descend de Locke, Locke de Bacon, Bacon d'Aristote.

(2) L'impératrice de Russie, le grand Frédéric, furent en correspondance suivie avec Voltaire, d'Alembert, Diderot, et autres.

méprisables honteusement fameux. Elle dit: Je veux que la gloire soit, et elle fut; qu'elle rayonne, et elle rayonna. Je veux que l'infamie reçoive une évidente et éternelle flétrissure, et l'opprobre exista. Les âmes et les esprits vulgaires continuèrent à se perdre dans le néant. Dès que la gloire eut jeté ses premiers rayons, les rois tombèrent dans la dépendance de l'opinion. Ils se trouvèrent entre les facilités que donne la gloire pour gouverner, et les obstacles qu'oppose le mépris public à l'exercice du pouvoir. La gloire du prince partout présente, toujours agissante sur les esprits, le dispense de dureté dans le commandement, et lui assure l'obéissance sans contrainte. Dans le mépris au contraire, il n'obtient par la violence, moyen toujours critique, qu'une obéissance toujours menaçante.

A la renaissance de la poésie en France, nos rois s'empressèrent de provoquer, de solliciter, d'acheter ses hommages. Ce que Théocrite avait dit (1), ce qu'Horace avait répété (2) sur le pouvoir des poëtes, Charles IX daigna le dire à Ronsard (3), et Louis XIV se plut à l'entendre redire par Boileau (4). Nos princes, croyant la louange des poëtes plus facile à obtenir que l'estime des peuples, se laissèrent aller à une déplorable méprise. Parce que, dans les temps anciens, les chants poétiques avaient eu seuls le pouvoir de perpétuer la mémoire des héros, les princes en conclurent que c'était une propriété des vers de traduire en héros, jusqu'à la dernière postérité, des personnages indignes de ses regards. Ils se persuadèrent que la louange pompeuse et cadencée suffisait pour assurer une gloire immortelle à celui qui en était l'objet. L'opinion publique les eut bientôt détrompés. Ils apprirent d'elle que les éloges qu'elle désavoue ne peuvent servir qu'à ajouter le déshonneur du poëte à l'indignité du héros. Les poëtes eux-mêmes reconnurent

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