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confirmé, et le clergé satisfait laissa ses biens à ceux qui en étaient en possession.

Ainsi naquit l'impôt de la dîme, qui fut dans la suite étendu à tant d'autres terres dont le titre de possession n'était pas marqué du même caractère d'illégimité.

Voilà Charlemagne. La nature parut épuisée après avoir créé un pareil homme dans un âge pareil. On ne voit plus après lui que faiblesse et stupidité. L'empire et la France sont successivement arrachés à son inhabile postérité, et enfin, une nouvelle révolution lui enlève la couronne même, comme elle avait été enlevée au sang de Clovis.

S XVI.

Des Capitulaires.

Ce sont les lois faites par les assemblées nationales convoquées sous Charlemagne et ses successeurs.

Ils étaient portés au nom de l'Empereur, mais la nécessité de l'assentiment national, pour leur donner force de loi, y est formellement exprimée. Ce principe y est énoncé : lex consensu populi fit et constitutione regis. On voit ensuite que Charlemagne s'était réservé le droit de faire des capitulaires exécutés provisoirement, mais qui ne devenaient lois définitives que lorsqu'ils avaient été consentis par le Champ-deMai.

Nous avons vu qu'au commencement chaque portion distincte de la population avait conservé ses lois particulières. Ainsi, les lois romaine, salique, bourguignone, furent également maintenues et respectées; mais l'Etat changeant successivement de face, la législation dut aussi éprouver une pareille métamorphose. Il s'établit, avec le temps, une sorte de confusion entre les lois diverses comme entre les différentes races qui peuplaient le sol. Des usages adaptés au nouvel Etat remplacèrent même souvent les lois. Ainsi ce fut l'esprit de l'ancienne législation, plutôt que cette législation elle-même, qui régit encore le peuple.

Les capitulaires furent politiques, administratifs, ecclésiastiques ou civils ; ils furent faits pour completter ce qui subsistait encore de l'ancien ensemble législatif : ils le remplacèrent en quelque sorte.

Or, remarquons que l'objet direct de ces lois nouvelles étant ordinairement la répression des abus qui s'étaient introduits sous la première race; qu'un système plus désastreux encore s'introduisant sous la seconde, par l'imbécillité du monarque et l'audace des grands; qu'en outre, les usages des fiefs s'établissant partout à mesure que les fiefs s'étendaient, les capitulaires durent successivement être annihilés. Il n'en fut plus question sous la troisième race; il n'y eut plus de droit que les caprices du plus puissant: on ne savait plus ni lire ni écrire. Lois de Théodose, de Clovis ou de Charlemagne, tout était également tombé dans l'abyme!.... Alors, dans les intervalles où l'épée ne fut pas toute la législation s'introduisirent les coutumes

S XVII.

Charles-le-Chauve.

Les institutions de Charlemagne n'avaient pas produit une révolution assez complète, et la barbarie avait fait trop de progrès pour que le nouvel ordre fût durable si le génie cessait de diriger le sceptre. Le peuple, tiré un instant de son avilissement, devait y retomber s'il n'était plus soutenu par le monarque. «< Alors (1), si le prince était ambitieux et entre» prenant, il devait en écrasant les grands se rendre despote; » et si ce prince était lâche et faible, les grands devaient en -> le dominant rétablir sur le peuple le joug de leurs anciennes prérogatives.

Le fils du grand Charles, Louis, surnommé le Débonnaire, fut une espèce de moine couronné : il arma également contre lui les deux ordres redoutables que les deux souverains pré

(1) Thouret, p. 96.

cédents avaient su si bien ménager et contenir. Faible et ombrageux, il craignit et cessa bientôt de convoquer ces assemblées où son père venait glorieusement déposer une portion de son autorité. Il laissa les grands devenir les oppresseurs du peuple et du clergé lui-même; il souffrit que la royauté fût dégradée dans sa personne. Tout dépérit en peu de temps

entre ses mains.

Pendant les guerres qui désolèrent la France à la mort de Louis, s'introduisit un changement qui n'était qu'un acheminement à une révolution totale. Les hommes libres purent choisir pour seigneur, entre le roi et les grands seigneurs; ce principe fut consacré par le traité qui se fit entre les trois frères, après la fameuse bataille de Fontenay. Voici quelle en fut la conséquence nécessaire: comme le sceptre ne pouvait plus protéger, les sujets passèrent successivement à une vassalité plus utile. Les possesseurs de fiefs virent ainsi chaque jour augmenter leur puissance, et le roi tomber la

sienne.

Les choses étant ainsi, il ne restait plus à faire que ce que Charles-le-Chauve fit.

Ni les fiefs, ni les grands offices n'avaient jamais été jusque-là aliénés à perpétuité, quoique la violence ou la faiblesse eût quelquefois perpétué la possession de quelques-uns. Ils le furent alors. Charles déclara d'abord que les fiefs seraient donnés aux enfans du possesseur; bientôt il fut obligé d'appliquer ce réglement aux offices de comte. Ceux-ci, de délégués du roi, devinrent en peu de temps, par là, assimilés aux maîtres des fiefs, et leurs charges se trouvèrent converties en véritables seigneuries. Il n'y eut plus dès-lors qu'un monardécoré du vain titre de suzerain, et des vassaux en possesque sion de tous les droits de la puissance souveraine. L'autorité du roi ayant cessé d'être immédiate, elle ne fut plus qu'une ombre qu'un souffle pouvait faire disparaître. On se joua de ses capitulaires et de ses envoyés : la révolution fut consommée, le gouvernement féodal s'établit.

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S XVIII.

Hugues-Capet. (10° siècle.)

La postérité de Pepin porta encore le sceptre pendant un siècle après Charles-le-Chauve : il y eut des Louis et des Carloman sur le trône, comme il y avait eu auparavant des Clovis et des Childéric. Toutefois, un changement de dynastie était une conséquence non moins nécessaire de l'ordre politique nouvellement établi. « L'hérédité des fiefs, dit l'auteur » de l'Esprit des lois (2), et l'établissement général des arrièrefiefs éteignirent le gouvernement politique et formèrent le » gouvernement féodal. Au lieu de cette multitude innom» brable de vassaux que les rois avaient eus, ils n'en eurent plus que quelques-uns, dont les autres dépendirent. Les >> rois n'eurent presque plus d'autorité directe : un pouvoir qui devait passer par tant d'autres pouvoirs, et par de si > grands pouvoirs, s'arrêta ou se perdit avant d'arriver à son » terme. De si grands vassaux n'obéirent plus, et ils se servi» rent même de leurs arrière-vassaux pour ne plus obéir. Les >> rois privés de leurs domaines réduits aux villes de Reims » et de Laon, restèrent à leur merci. L'arbre étendit trop loin » ses branches, et la tête se sécha. Le royaume se trouva sans >> domaine, comme est aujourd'hui l'empire. On donna la » couronne à un des plus puissans vassaux. »

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C'est un point historique encore obscur, de savoir si ce fut simplement, par le succès de ses armes, ou avec l'assentiment d'une assemblée nationale que le duc de France monta sur le trône, à la place du descendant de Charlemagne, oncle du dernier roi. Mais il est à croire que, reconnu d'abord comme roi par les arrière-vassaux de son fief, son titre fut ensuite consacré par le consentement tacite des autres grands possesseurs, qui, ne songeant qu'à établir leur souveraineté parfaite dans leurs fiefs respectifs, voyaient avec

(1) Liv. XXXI, chap. 31.

une sorte d'indifférence, une royauté assez peu forte pour ne pouvoir pas même exiger d'eux une ombre de vasselage.

Arrêtons nos regards sur cette révolution. La couronne avait été jusqu'ici à la fois héréditaire et élective; héréditaire, en ce que le roi était choisi dans la même race; élective parce que le choix se faisait entre les enfans du monarque qui venait d'expirer. L'occupation du trône par le maître d'un des fiefs qui composaient la France, à l'exclusion de l'héritier légitime, amena de nouveaux principes relativement à la royauté.

Il est clair que tous les égaux de Hugues, c'est-à-dire les possesseurs de grands fiefs, avaient des droits égaux aux siens, et que, par suite la couronne pouvait devenir élective entre les grands vassaux; qu'enfin la France pouvait voir s'établir une constitution semblable à celle dont les lambeaux régis sent encore l'Empire.

Il est probable que l'habileté et le courage des premiers monarques, surtout les institutions éminemment nationales, au moyen desquelles quelques-uns d'eux se hâtèrent de soulager le peuple, empêchèrent cet établissement. La reconnaissance publique, en effet, perpétua aussitôt en leur faveur l'ancienne règle qui fixait la couronne dans la race royale, et forts eux-mêmes de cet appui, ils purent faire triompher de l'anarchie féodale, d'abord leurs droits, puis successivement ceux de leurs sujets.

Mais comment s'établit le principe de l'hérédité directe et dans l'ordre de la primogéniture, qui fut depuis appliqué sans exception? Le voici. Il était de la nature des fiefs amovibles ou à vie, de ne pouvoir être sujets au partage. Devenus perpétuels, ils durent conserver cette qualité, d'abord parce qu'elle avait existé, ensuite parce que le service attaché à la possession, en faisait une conséquence presque nécessaire. De la perpétuité des fiefs suivit donc le droit d'aî nesse. Or, la royauté, à cette époque, ne fut autre chose que la possession d'un fief; l'analogie introduisit le principe

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