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exaltée, à la vue d'un faible enfant, qu'elle se plait à regarder comme devant un jour rappeler celui dont il a reçu la vie et dont il porte le nom.

D'un autre côté, un attachement servile et non raisonné ne peut guère être supposé parmi des peuples où le glaive est souverain, où le plus vaillant doit toujours être le premier de tous. Qui ne doute d'ailleurs que dans ces assemblées annuelles où la nation décidait avec toute puissance, il n'ait pas été question quelquefois de renverser un roi lâche ou tyran, pour couronner un chef plus digne : Childéric n'en est-il pas un exemple?

Voici comment on peut concilier cette apparente contradiction: les peuples avaient bien à la vérité le droit d'élire les rois; mais c'était en général une doctrine, d'en borner l'exercice et de choisir exclusivement entre les héritiers du sang royal. Diverses autorités fondent ce sentiment. On lit dans nos anciens historiens qué ces premiers rois qui précédèrent Clovis, et dont les noms seuls sont connus, appartenaient très-certainement à la même famille, quoique le principe de l'hérédité directe n'eût point été appliqué à leur égard. C'est cet usage qui introduisit peut-être les partages des Etats, qui eurent lieu, si fréquemment sous la première race. Les fils du roi avaient, aux yeux de la nation, des droits égaux à une portion de souveraineté, puisqu'ils auraient pu être également choisis par elle pour commander à l'Etat tout entier.

Celui qui devait régner sur les Francs était placé sur un bouclier, le glaive à la main, en présence de toute l'armée, qui fesait diverses évolutions autour de lui (1). Tel était le couronnement; il caractérise une royauté d'où les femmes devaient naturellement être exclues. Ainsi, qu'on lie ce principe constitutif de notre monarchie à l'ensemble des lois saliques, ou il n'en est pas moins vrai qu'il devait naître du génie même de cette nation belliqueuse.

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(1) Grég. Tur., lib. vII, chap. 18.

Clovis donna, par l'éclat qu'il jeta sur ses armes, un caractère plus imposant à la royauté, et il habitua les peuples à la voir irrévocablement fixée dans sa famille, et transmise plus régulièrement. Mais ce fut surtout le Christianisme qui lui imprima le sceau particulier d'un contrat religieux entre les peuples et le sang des rois. Les évêques, pour reconnaître les bienfaits, au moyen desquels les monarques croyaient effacer leurs crimes, attachèrent le nom de Dieu à leur couronne, et firent découler leur autorité d'une source divine. Des miracles confirmèrent ces nouvelles doctrines, et les rois devinrent des êtres sacrés. Voilà la sainte ampoule, et le don des écrouelles ! voilà ces rois fainéans qui précédemment eussent été chassés d'un trône qu'ils étaient si peu dignes d'occuper!

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Des Lois saliques.

C'est une opinion assez généralement admise, que les lois des Francs furent écrites peu après leur établissement dans les Gaules. Mais il est probable que la confection complète du Code Franc ne date pas de la même époque, et qu'elle fut amenée par les accroissemens successifs et les besoins du nouvel État.

La situation dans laquelle se trouva le pays après la conquête, la rivalité et les rixes qui devaient nécessairement naître entre les deux corps principaux de la population nouvelle, obligèrent les rois à établir quelques règles pour fixer des rapports nouveaux. La politique avait, comme nous l'avons vu, laissé une sorte d'égalité entre les anciens habitans et ceux qui venaient d'occuper le sol. La loi civile consacre au contraire une différence humiliante. C'est ainsi, par exemple, qu'en introduisant la composition, institution toute germanique, et qui devait appartenir en effet à des sociétés de guerriers chez qui le sang était moins apprécié que l'or, la loi établit que celui qui tuerait un Franc paieraít 200 sols à ses parens, tandis que celui qui se serait défait d'un Romain, n'était tenu

à leur payer que 100 sols, et seulement 45 si le Romain était tributaire.

Ces dispositions durent contribuer à effacer le nom Gaulois ou Romain de la terre où dominaient les Francs. Elles y firent cesser pareillement, peu-à-peu, l'usage du droit romain que les rois avaient d'abord maintenu. La chose est facile à con cevoir, il y avait tant d'avantage à être tenu pour Franc et à être soumis à la loi des Francs! et chacun pouvait faire, et était même tenu de faire choix de la loi sous laquelle il prétendait vivre. On reconnaîtrait quelque profondeur dans des lois qui devaient opérer une fusion utile entre les deux peuples, si elles n'eussent pas accéléré les progrès de la barbarie.

L'épreuve par le combat singulier, le fer chaud, le jugement de Dieu enfin, est consacrée par le Code Franc, Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.

Passons à cet article fameux devenu une des règles fondamentales de notre monarchie, et qui plus d'une fois, l'a empêchée de passer sous le sceptre d'un étranger,

« De terra vero salicá in mulierem nulla portio hereditatis » transit, sed hoc virilis sexus acquirit : hoc est, filiï in ipsá he→ » reditate succedunt, (1). Aucune portion de la terre salique > ne passera aux femelles, mais elle appartiendra aux mâles; c'est-à-dire que les enfans mâles succèderont à leur père. » C'est Montesquieu qui traduit.

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Après des développemens sur les applications de cet article en matière civile, ce grand homme ajoute: « Après ce que nous venons de dire, on ne croirait pas que la succession » personnelle des mâles à la couronne de France, put venir » de la loi salique; il est pourtant indubitable qu'elle en vient, Je le prouve par les divers codes des peuples barbares; la loi salique et la loi des Bourguignons ne donnèrent point » aux filles le droit de succéder à la terre, avec leurs frères ; >> elles ne succédèrent pas non plus à la couronne. La loi des

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(1) Loi sal., tit. 62, § 6,

Visigoths, au contraire, admit les filles à succéder aux terres, » avec leurs frères; les femmes furent capables de succéder » à la couronne. Chez ces peuples, la disposition de la loi ci* vile força la loi politique (1). »

S VI.

De la Servitude.

Il y avait, pour le malheur des hommes de ces temps, un usage qui régnait également, et chez les vaincus et chez les vainqueurs ; le servage de la glèbe. Chez les uns et chez les autres, des hommes étaient attachés au fonds de terre, comme les choses qui servaient à sa culture. Cet établissement était né dans la Gaule, de ce que les Romains, voulant ne pas quitter le séjour fastueux des villes, avaient cru mieux s'assurer ainsi les revenus de leurs terres; et dans la Germanie, de ce que les Barbares, dédaignant d'allier le maniement des instrumens aratoires à celui des armes, et consacrant exclusivement les captifs au labourage, avaient, en quelque sorte, identifié l'existence de leurs esclaves avec la portion de fonds départie à leurs soins.

Nul doute que les Francs, en s'établissant dans la Gaule, n'aient ajouté encore un grand nombre de serfs à ceux qui y étaient déjà; mais il n'aurait pas fallu en conclure, comme quelques écrivains, que le peuple conquis fût tout entier réduit à l'état de servage. Des faits nombreux démentent cette assertion, et toutes les lois du temps font voir que c'est une erreur manifeste.

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Ce qui y a donné lieu, c'est l'observation que, vers le commencement de la troisième race, les laboureurs, artisans, presque tous les habitans des villes, étaient serfs; mais Montesquieu explique de la sorte comment il se fit que le nombre des hommes libres, considérable encore sous la première race, décrut, dans la suite, au point qu'il n'y

(2) Esprit des lois, liv. xvi, chap. 22.

avait plus en France, vers le dixième siècle, que noblesse et servitude. « Ce que la conquête ne fit pas, dit-il, le » droit des gens qui subsista après la conquête, le fit: La » résistance, la révolte, la prise des villes, emportaient aussi » avec elles la servitude des habitans; et comme, outre les >> guerres que les nations conquérantes firent entre elles, il » y eut cela de particulier, chez les Francs, que les divers partages de la monarchie firent naître sans cesse des guerres civiles entre les frères ou neveux, dans lesquelles » ce droit des gens fut toujours pratiqué, les servitudes de» vinrent plus générales en France que dans les autres » pays (1). »

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On conçoit que ce furent ces progrès du servage qui anéantirent successivement les vestiges des anciennes institutions municipales des Romains, respectées dans les -premiers temps. Ils contribuèrent également à couvrir la France entière des ténèbres de l'ignorance et de la barbarie. Il est facile de comprendre, en effet, que le plus ordinairement, dans cette carrière de combats, de pillages et de calamités, ce furent des mains romaines qu'on chargea surtout des fers de la servitude. Or, les Romains seuls conservaient quelques restes des lumières qui avaient jeté un si grand éclat dans ce malheureux pays avant l'invasion des Barbares.

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Les principaux d'entre les Germains, nous disent les Anciens, avaient chacun une petite troupe, qui s'associait à sa fortune, soit dans la guerre, soit dans la paix. « C'est, dit Tacite, la dignité, la puissance, d'être toujours entouré d'une foule de jeunes gens qu'on a choisis; c'est un orne»ment dans la paix ; c'est un rempart dans la guerre. On se » rend célèbre dans la nation et chez les peuples voisins, si

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(1) Esprit des Lois, liv. xxx, chap. 11.

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