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une si complète dégradation de lui-même ; et d'ailleurs la raison et la justice s'y opposent également, car jamais on ne doit désespérer de l'amendement d'un coupable; sa correction même est un des objets de la peine; elle n'existerait plus si l'homme était condamné à un éternel supplice.

Enfin, Messieurs, vous avez paru désirer d'établir la révision des jugemens; mais cette institution ne devient-elle pas ridicule. et même insultante pour les citoyens, lorsqu'elle consiste à donner le moyen de prouver l'innocence d'un homme qui n'est plus ?... (Murmures.) Je vois que je ne fais que retarder d'un quart d'heure la peine de mort.... Que dans le cas où l'erreur du jugement n'est rectifiée qu'après la mort du condamné, on rétablisse sa mémoire, j'y vois peu d'avantages; néanmoins cela me paraît possible: mais que la société ne préfère pas mille fois de conserver la vie et de rendre la liberté à un homme injustement condamné, voilà ce qu'il est difficile de concevoir. Lorsqu'un faussaire aura succombé par l'effet d'une erreur, il trer dans la société par l'effet de la révision de son jugement, et un citoyen faussement accusé, injustement condamné pour cause d'assassinat, sera provisoirement mis à mort!... Quelle disparate, quelle incohérence, quelle contradiction dans les principes! Toutes ces lois ne peuvent à la fois se rencontrer dans le même code, dans une constitution qu'un peuple éclairé s'est donnée à lui-même à la fin du dix-huitième siècle.

pourra ren

Daignez, Messieurs, considérer cet objet avec l'attention qu'il commande, et le traiter avec toute la dignité du corps constituant, et non avec cet esprit tranchant et léger qu'on a quelquefois tenté d'introduire parmi vous, et qui tend à éloigner de vos décrets le respect et la confiance qu'ils doivent exiger! Gardezvous de ceux qui voudraient reléguer dédaigneusement cette question dans le domaine de la pure philosophie, et lui refuser l'analogie directe qu'elle a avec le succès de vos travaux !

Pour ceux qui observent avec attention, il en est bien autrement. Parmi les opinions diverses qui agitent un peuple entier, à travers les combinaisons politiques et sociales qui le modifient,

il est toujours quelques sentimens généraux qui ressortent et prédominent sur tous les autres. Parcourez les divers pays, vous en reconnaîtrez les habitans à ces sentimens qui composent le véritable caractère national: chez l'un, c'est la franchise; chez l'autre, la fierté, la douceur; chez d'autres aussi, la cruauté ou l'artifice ces qualités ou ces vices, C'est en général le gouvernement qui les donne, et un habile législateur n'a jamais manqué l'occasion de former l'esprit national d'un peuple, ou de corriger celui auquel la nature l'a disposé : c'est par là qu'il assure d'avance une obéissance parfaite aux lois, qu'il prépare les esprits à remplir les devoirs que la société leur impose; c'est par là qu'en rattachant des opinions éparses à des principes constans, il se donne une influence vaste et profonde, à l'aide de laquelle il peut continuellement ramener les actions des hommes à des vues d'intérêt général et du bonheur public.

S'il nous eût été permis de séparer nos travaux des circonstances qui les environnent et semblent les commander, c'eût été une entreprise utile à la fois et sublime d'établir autour de notre constitution politique toutes les institutions morales qui peuvent l'appuyer et l'affermir; d'offrir ainsi un but commun à toutes les affections des hommes, et de les unir à ce but par le lien sacré du patriotisme et de la vertu; enfin, de remettre la défense de notre édifice social sous la garde de ces trois puissances, invincibles lorsqu'elles sont unies, les mœurs, la force et l'intérêt.

Le temps et les circonstances ont manqué à ce vaste projet; il faut à cet égard reculer nos espérances; il faut même en reporter le principal effet vers la génération qui s'avance, et qui, plus heureuse que nous, profitant et de nos sacrifices et de nos fautes, jouira de la liberté sans mélange et sans regret: mais au moins faisons tout ce qu'il nous est permis de faire; si nous sommes forcés de refuser, d'adopter quelques vérités, au moins ne consacrons point d'erreurs; ne consacrons que des principes vrais si nous ne pouvons pas admettre tous ceux qui pourraient être utiles.

N'appréhendons pas non plus de heurter un reste de préjugé

populaire contre la suppression de la peine de mort. Le peuple est juste en masse; il l'est nécessairement, car il est placé au milieu de l'intérêt général. Soyez sûrs, Messieurs, que la loi qui abolira la peine de mort sera aussi respectée et plus respectable qu'un grand nombre de celles que vous avez rendues; d'ailleurs, ce n'est pas toujours par une obéissance ponctuelle et servile aux ordres de l'opinion que les législateurs portent les lois les plus utiles à leur pays; souvent ces lois n'ont de rapport qu'à des besoins momentanés, et ne remédient qu'à des effets; les résultats heureux et vastes qui décident du bonheur des peuples, tiennent en général à la méditation et au calcul.

J'ai toujours dirigé autant qu'il m'a été possible mes travaux particuliers vers ce but, de placer dans le code de nos lois des institutions fortes et profondes, dont l'effet est long-temps inaperçu parmi les idées générales, et semble s'effacer par le sentiment exclusif de la liberté, mais dont les avantages augmentent tous les jours, et seront plus sentis à mesure que cette chaleur patriotique qui maintenant nous anime, fera place, en se refroidissant, à des jugemens plus sévères de la raison, et à une expression plus pure de l'intérêt public.

Souffrez, Messieurs, qu'en finissant j'ajoute aux raisons qui semblent déterminer la question des motifs puisés dans les circonstances présentes. Lorsque notre révolution a commencé, elle nous a trouvés tels qu'un long despotisme et la corruption qu'il entraîne nous avaient formés; cette révolution a vu pendant son cours se développer toutes les passions, tous les intérêts; elle a mis en dehors nos qualités et nos vices, elle a rendu les uns et les autres plus sensibles, et l'on a vu malheureusement à côté du spectacle sublime du patriotisme et de la générosité, le monstre hideux de l'intérêt et de la haine : on a pu regretter quelquefois que l'esprit national n'ait pas été adouci d'avance par des institutions plus humaines. Le caractère des individus, divisés par tant d'opinions, fatigués par une lutte si longue et si nouvelle, a dû naturellement s'altérer et s'aigrir; si les hommes ont acquis la force nécessaire pour être libres, ils ont aussi pu

contracter une dureté qui rend le commerce de la vie difficile et fâcheux: il est des individus qui, tirant leur caractère des événemens, sont devenus féroces lorsqu'ils devaient être courageux et fermes; ils seront faibles et vils lorsqu'on leur demandera de l'obéissance et de la douceur.

Depuis qu'au lieu de rectifier par nos lois l'esprit national nous l'avons malheureusement transporté dans notre constitution, et que la mobilité est devenue un des principaux caractèresde notre gouvernement, depuis qu'un changement continuel dans les hommes a rendu presque nécessaire un changement dans les choses, faisons au moins que les scènes révolutionnaires soient le moins tragiques, et leurs conséquences le moins funestes qu'il sera possible: pour cela tâchons d'adoucir le caractère national, et de le fixer, non à cette pitié molle des esclaves, mais à cette humanité vraie des peuples libres.... (M. l'abbé Maury veut interrompre l'orateur; il cite la Bible, il cite Caïn.....)

Certainement, la société qui existait alors n'avait fait aucune loi ; mais il est bien extraordinaire que l'exemple que l'on choisit soit entièrement contre mes adversaires; dans la Bible il est dit, <que Caïn ne soit pas tué, mais qu'il conserve un signe de réprobation; › et c'est ce qu'on vous propose, un signe de réprobation aux yeux des hommes. (Applaudissemens.) Mais je passe à d'autres observations.

Vous le savez, Messieurs, on vous reproche vivement le changement qui s'est fait dans le caractère des Français : des qualités douces et brillantes l'embellissaient; elles ont disparu, et l'on attend avec inquiétude si elles seront remplacées par des vertus ou par des vices. On vous accuse d'avoir endurci les âmes au lieu de les affermir, comme on vous reproche d'avoir substitué aux abus de la prodigalité, les abus plus funestes peut-être d'une mesquine parcimonie. Faites cesser ces clameurs; ôtez-leur du moins tout fondement raisonnable; que vos vues jusqu'au moment de votre séparation se dirigent vers les moyens d'inspirer au peuple la générosité, la fermeté, et une humanité profonde,

vertus dont l'alliance est si possible, si naturelle même, et qui forment le plus beau caractère que l'homme puisse recevoir de la nature et de la société! Pour y parvenir, rendez l'homme respectable à l'homme; augmentez, renforcez de toute la puissance des lois l'idée que lui-même doit avoir de sa propre dignité, vous aurez tout fait en lui inspirant le principe de toutes les vertus, je veux dire le respect pour lui-même, et cette fierté véritable qui se fonde, non sur des distinctions vaines, mais sur la jouissance pleine de tous les droits qui appartiennent à l'homme. Quiconque se respecte est nécessairement juste et droit; les autres ont de lui une garantie constante qui le suit dans toutes ses actions. L'homme qui respecte les autres agit bien en public; celui qui se respecte lui-même agit toujours bien même en secret.

A ce moment, Messieurs, où les Français dirigent toutes leurs pensées vers leur nouvelle constitution, où ils viennent puiser avidement dans vos lois, non-seulement des règles d'obéissance, mais encore les principes de justice et de morale, si long-temps méconnus, qui doivent guider leur conduite, qu'ils ne rencontrent pas une loi dont l'effet seul est une leçon de barbarie et de lâcheté. Ne profitez pas de ce besoin de voir et d'être ému qui agit chez tous les hommes pour les assembler et leur apprendre qu'il est des cas où l'on peut commettre un homicide; songez que la société, qui ne peut être passionnée, qui ne peut éprouver ces mouvemens dont la violence semble excuser le meurtre, loin de le légitimer par son autorité, le rend plus odieux cent fois par son appareil et son sang-froid; car je conçois la colère, la vengeance et ses suites dans un premier mouvement; la nature même nous l'indique; mais s'il est quelqu'un qui ait pu, sans éprouver une violente sensation d'horreur et de pitié, voir infliger la mort à un autre homme, je désire de ne le jamais rencontrer; non-seulement il est étranger aux affections douces qui font le bonheur de la vie, mais il a arrêté sa pensée sur un meurtre; la nature cesse de me protéger contre lui; il ne lui faut plus qu'un intérêt pour me massacrer!

Faites cesser, Messieurs, l'entreprise parricide de tourmenter

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