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désir de servir sa patrie; le second, qui est naturellement uni à celui-là, c'est l'amour de la véritable gloire, celle qui consiste, non dans l'éclat des dignités, ni dans le faste d'une grande fortune, mais dans le bonheur de mériter le respect ou l'admiration de ses semblables par des talens et par des vertus.

Deux années de travaux suffisent à cette noble ambition. Une retraite de deux ans sera nécessaire à l'homme le plus éclairé, pour méditer sur les principes de la législation avec plus de profondeur qu'on ne peut le faire au milieu du tourbillon des affaires, et surtout pour reprendre ce goût d'égalité que l'on perd aisément dans les grandes places. Laissez se répandre les principes du droit public et s'établir la nouvelle constitution, et vous verrez naître une foule d'hommes qui développeront un caractère et des talens. Croyez, croyez qu'il existe dès à présent dans chaque contrée de l'empire des pères de famille qui viendront volontiers remplir le ministère de législateur, pour assurer à leurs enfans des moeurs, une patrie, le bonheur et la liberté des citoyens; qui se dévoueront volontiers pendant deux ans au bonheur de servir leurs concitoyens et de secourir les opprimés; et si vous avez tant de peine à croire à la vertu, croyez du moins à l'amour-propre; croyez que chez une nation qui n'est pas tout-à-fait stupide et abrutie, un grand nombre peut-être sera naturellement jaloux d'obtenir le plus glorieux témoignage de la confiance publique. Voulez-vous me parler de ces hommes que le génie de l'intrigue pousse dans une carrière que le seul génie de l'humanité devrait ouvrir? Voulez-vous dire qu'ils fuiront la législature si l'appât de la réélection ne les y attire? Tant mieux! ils ne troubleront pas le bonheur public par leurs intrigues, et la vertu modeste recevra le prix qu'ils lui auraient enlevé....

de

Quand vous avez pensé que la législature qui, après vous, vait être la plus surchargée d'affaires, pouvait se passer de votre secours, et être entièrement composée de nouveaux individus, vous croiriez que les législatures suivantes auront besoin de transmettre à celles qui viendront après elles, des guides, des

Nestors politiques, dans les temps où toutes les parties du gouvernement seront plus simplifiées et plus solidement affermies. On a voulu fixer votre attention sur de certains détails de finance, d'administration, comme si les législateurs, par le cours naturel des choses, ne devaient pas voir dans leur sein des hommes instruits dans l'administration, dans la finance, et présenter une diversité infinie de connaissances, de talens en tout genre. Comment croire à cette effroyable pénurie d'hommes éclairés, puisqu'après chaque législature on pourra choisir les membres de celle qui l'avaient précédée. Les partisans les plus zélés de la réélection peuvent se rassurer, s'ils se croyaient absolument nécessaires au salut public; dans deux ans ils pourront être les ornemens et les oracles de la législature.... Pour moi, indépendamment de toutes les raisons que j'ai déduites, et de celles que je pourrais ajouter, un fait particulier me rassure: c'est que les mêmes personnes qui nous ont dit: tout est perdu si on ne réélit pas, disaient aussi, le jour du décret qui nous interdit l'entrée du ministère : tout est perdu; la liberté du peuple est violée, la constitution est détruite; je me rassure, dis-je, parce que je crois que la France peut subsister, quoique quelques-uns d'entre nous ne soient ni législateurs ni ministres. Je ne crois pas que l'ordre social soit désorganisé, comme on l'a dit, précisément parce que l'incorruptibilité des représentans du peuple sera gårantie par des lois sages. Ce n'est pas que je ne puisse concevoir aussi de certaines alarmes d'un autre genre. J'oserais même dire que tel discours véhément dont l'impression fut ordonnée hier, est lui-même un danger. A Dieu ne plaise que ce qui n'est point relatif à l'intérêt public soit ici l'objet d'une de mes pensées; aussi suis-je bien loin de juger sévèrement cette longue mercuriale prononcée contre l'assemblée nationale, le lendemain du jour où elle a rendu un décret qui l'honore, et tous ces anathèmes lancés du haut de la tribune contre toute doctrine qui n'est pas celle du professeur. Mais si en même temps qu'on prévoit, qu'on annonce des troubles prochains; en même temps que l'on en voit les causes dans cette lutte continuelle des factions

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diverses, et dans d'autres circonstances que l'on connait trèsbien, on s'étudiait à les attribuer d'avance à l'assemblée nationale, au décret qu'elle vient de rendre, on cherchait d'avance à se mettre à part, ne me serait-il pas permis de m'affliger d'une telle conduite, et d'être trop convaincu de ce que l'on aurait voulu prouver, que la liberté serait en effet menacée? Mais je ne veux pas moi-même suivre l'exemple que je désapprouve, en fixant l'attention de l'assemblée sur un épisode plus long que l'objet de la discussion. J'en ai dit assez pour prouver que si les dangers de la patrie étaient mis une fois à l'ordre du jour, j'aurais aussi beaucoup de choses à dire; au reste, le remède contre ces dangers, de quelque part qu'ils viennent, c'est votre prévoyance, c'est votre sagesse, votre fermeté. Dans tous les cas, nous saurons consommer, s'il le faut, le sacrifice que nous avons plus d'une fois offert à la patrie. Nous passerons; les cabales des ennemis passeront; les bonnes lois, le peuple, la liberté, resteront....

Je dois ajouter une dernière observation : c'est que le décret que vous avez rendu lundi, et les principes que j'ai développés, militent contre toute réélection immédiate d'une législaturè à l'autre. Ce qui me porte à faire cette observation, c'est que je sais que l'on proposera de réélire au moins pour une législature, parce que, pourvu que les opinions soient partagées, on se laisse facilement entraîner à ces termes moyens qui participent presque toujours des inconvéniens des deux termes opposés. Je demande que les membres des assemblées législatives ne puissent être réélus qu'après l'intervalle d'une législature.

(Les applaudissemens qui avaient fréquemment interrompu ce discours recommencent.)]

- Après que la proposition de Barrère eut été décrétée, l'assemblée s'occupa de l'article du comité, portant que le corps-législatif se réunirait dans le lieu où s'était tenu le précédent, Maury offrit vingt-une lettres de vingt-un départemens, réclamant contre la résidence du corps-législatif à Paris, et il dit que si l'assemblée ne pourvoyait pas à cette demande, les départe

mens y pourvoiraient. Cette apostrophe excita de grands troubles dans l'assemblée, et Maury, sommé par Goupilleau et Defermont de déposer ces lettres, dit qu'il n'avait point entendu parler de départemens en corps, mais de membres très-considérables de ces départemens. (Rires et murmures.) Il continua et exposa les dangers des législateurs dans Paris. L'assemblée adopta néanmoins l'article du comité.

A la séance du 21, Buzot proposa, pour les questions importantes, de diviser le corps-législatif en deux sections égales, délibérant sur la même matière, et rapportant à l'assemblée générale le résultat de leurs délibérations. Les uns prétendirent que ce projet était un acheminement aux deux chambres, plan rejeté à Versailles. Pétion justifia l'idée de Buzot de toute similitude avec de tels plans. L'assemblée ajourna la discussion.

Nous terminerons tout ce qui fut dit d'intéressant sur l'organisation du corps-législatif, en analysant en quelques mots les deux dernières séances de mai, qui y furent consacrées.

A celle du 27, Desmeuniers fit un rapport sur la convocation d'une nouvelle législature, et sur la nécessité d'examiner dans son ensemble, avant de se séparer, une constitution qu'on n'avait pu travailler qu'en détail. Crillon jeune voulait qu'on fixât le jour précis de la séparation: sa proposition ne fut pas appuyée. On adopta presque sans discussion le premier titre du projet de Desmeuniers, portant convocation des citoyens actifs, du 12 au 25 juin suivant, pour nommer de nouveaux électeurs, qui se réuniraient le 5 juillet suivant, à l'effet d'élire les députés au corps-législatif. Voici dans quelle proportion les départemens devaient concourir à la composition de la nouvelle assemblée.

Ain, 6 députés. Aisne, 12. Allier, 7. Hautes-Alpes, 5. BassesAlpes, 6. Ardèche, 7. Ardennes, 8. Arriége, 6. Aube, 9. Aude, 8. Aveyron, 9. Bouches-du-Rhône, 10. Calvados, 13. Cantal, 8. Charente, 9. Charente-Inférieure, 11. Cher, 6. Corrèze, 7. Corse, 6. Côte-d'Or, 10. Côtes-du-Nord, 8. Creuse, 7. Dordogne, 10. Doubs, 6. Drôme, 7. Eure, 11. Eure-et-Loir, 9. Finistère, 8, Gard, 8. Haute-Garonne, 12. Gers, 9. Gironde, 12.

Hérault, 9. Ille-et-Vilaine, 10. Indre, 6. Indre-et-Loire, 8. Isère, 9. Jura, 8. Landes, 6. Loir-et-Cher, 7. Haute-Loire, 7. Loire-Inférieure, 8. Loiret, 9. Lot, 10. Lot-et-Garonne, 9. Lozère, 5. Maine-et-Loire, 11. Manche, 13. Marne, 10. HauteMarne, 7. Mayenne, 8. Meurthe, 8. Meuse, 8. Morbihan, 8. Moselle, 8. Nièvre, 7. Nord, 12. Oise, 12. Orne, 10. Paris, 24. Pas-de-Calais, 11. Puy-de-Dôme, 12. Hautes-Pyrénées, 6. Basses-Pyrénées, 6. Pyrénées-Orientales, 5. Haut-Rhin, 7. Bas-Rhin, 9. Rhône-et-Loire, 15. Haute-Saône, 7. Saône-etLoire, 11. Sarthe, 10. Seine-et-Oise, 14. Seine-Inférieure, 16. Seine-et-Marne, 11. Deux-Sèvres, 7. Somme, 13. Tarn, 9. Var, 8. Vendée, 9. Vienne, 8. Haute-Vienne, 7. Vosges, 8. Yonne, 9. A l'époque de cette liste, on n'avait pas encore fixé le nombre des députés de Paris.

A la séance du 28, après la lecture du titre II du projet de Desmeuniers, Robespierre s'écria que le moment était venu de réformer le marc d'argent. Il demanda que tout Français domicilié fût déclaré citoyen actif et éligible. Il s'éleva de violens murmures. Lavigne appuya la proposition de Robespierre. Sa voix fut étouffée par les clameurs qui s'élevèrent de toutes les parties de la salle. L'assemblée décida à une immense majorité que Lavigne ne serait pas entendu, et passa à l'ordre du jour.

CODE PÉNAL.

Lepelletier St-Fargeau, chargé, par les comités de constitution et de législation criminelle, du rapport sur le code pénal, lut son travail à l'assemblée nationale dans les séances des 22 et 23 mai. Un demi-volume ne suffirait pas à l'impression intégrale du rapport et des discussions. Dans la nécessité de faire un choix, nous avons dû nous fixer à la question importante et aux discours qui la discutèrent le mieux contradictoirement.

L'œuvre de Saint-Fargeau est une simple analyse de la pénalité nouvelle. Aucun principe d'ailleurs qui ne soit depuis longtemps vulgaire chez les criminalistes, ne réclame une mention

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