Page images
PDF
EPUB

M. Malouet. Lorsque j'ai combattu hier la forme impérative dans laquelle vous avez décrété que le roi serait entendu dans sa déclaration, je prévoyais bien que l'on irait jusqu'à proposer que le roi fût interrogé par ses propres officiers. (On murmure.) S'il est décrété que la personne du roi est inviolable et sacrée, personne n'a le droit de se présenter devant lui pour lui demander des déclarations; et même vos commissaires devront mettre la plus grande réserve dans la manière dont ils lui parleront (on rit, on murmure); car dès-lors il y aurait une autorité supérieure au roi. (Plusieurs voix: Lá loi.) Sans doute la loi est au-dessus du roi ; mais vous devez prendre garde à ne pas dénaturer l'inviolabilité du roi; car en déclarant sa personne sacrée et inviolable, vous l'avez rendu étranger à tout crime (on murmure) et à toute poursuite. Je déclare donc que je m'oppose à ce que des jugés viennent recevoir la déclaration du roi. Je demande que les commissaires de l'assemblée nationale soient chargés de dire au roi, purement et simplement, qu'ils viennent par les ordres de l'assemblée nationale recevoir les déclarations qu'il voudra bien leur donner. (Plusieurs voix de la gauche: Allons donc!) Toute autre parole proférée par eux serait un manque de respect, un attentat à la dignité royale.

M. Chabroud. Pour me servir des expressions de l'opinant, je m'oppose à ce que la déclaration du roi soit reçue par des commissaires. Le rapporteur vous a dit que l'assemblée remplit les fonctions du jury d'accusation; mais les renseignemens qu'il s'agit de prendre sont des actes nécessaires à la conviction: or, l'assemblée ne peut pas faire des actes de cette nature; cependant la déclaration du roi doit être une pièce essentielle à la procédure. Il est donc impossible que cette déclaration ne soit pas reçue par des juges. On vous a dit qu'il était des convenances à observer: cela est vrai quand vous correspondez avec le roi comme roi; mais les mesures ne sont pas les mêmes lorsque vous correspondez avec lui comme individu. M. Malouet a dit que vous avez déclaré le roi inviolable; mais on ne va pas à lui comme accusé on lui demande seulement des renseignemens sur un

T. X.

25

fait qui est à sa connaissance. J'ajoute d'ailleurs que tous les actes de cette nature entraînent une grande responsabilité, et que cette responsabilité doit être plus sévère que jamais. L'assemblée sortirait de son poste, si elle appelait sur la tête de quelqu'un de ses membres une telle responsabilité.

M. Saint-Martin. Je demande que les juges soient accompagnés de deux ou de plusieurs commissaires de l'assemblée, soit à cause de la dignité des personnes, soit pour inspirer plus de confiance au peuple. (Il s'élève des murmures.)

M. Dandré. Il est impossible d'admettre une commission de juges et de membres de l'assemblée nationale. Je ne m'arrête point à cette idée; car il n'est pas besoin de la combattre, puisqu'elle ne saurait être défendue. Je passe à la question. Il ne s'agit pas de faire une information juridique; ainsi tous les raisonnemens relatifs au pouvoir judiciaire ne sont pas applicables à la question. (Il s'élève des murmures.) Je vous supplie de ne pas exiger que je vous donne le développement des conséquences d'une procédure qui serait prise ainsi. Il n'y a pas de plainte, il n'y a donc pas de procédure; ces déclarations ne sont donc ni des interrogatoires ni des dépositions; car il faudrait qu'il y eût assignation. Si ce ne sont ni des interrogatoires ni des dépositions, il n'y a donc là rien qui soit du ressort des juges. Il a été commis un délit; si nous l'avions caractérisé, nous aurions moins d'embarras. Il est de nature à être poursuivi par la nation. Il faut donc, pour cette poursuite, que les représentans de la nation recueillent tous les renseignemens nécessaires. Le roi peut en donner; il faut donc lui envoyer des commissaires. Quand vous aurez ordonné à des juges de poursuivre les auteurs de ce délit, alors viendront les raisonnemens du préopinant; les juges, s'ils en ont besoin, prendront aussi pour eux une déclaration du - roi. C'est ainsi que vous suivrez les principes, et que vous empêcherez qu'en envoyant des juges vers le roi, on ne dise que vous commencez un procès contre lui. Quand vous aurez réuni tous vos renseignemens, il vous sera fait un rapport, et si l'affaire est renvoyée à des juges, l'assemblée n'aura qu'à la poursuivre.

Je demande qu'on mette aux voix l'article proposé par le comité. M. Barrère. Ce n'est pas avec des subtilités de forme qu'on doit juger la question qui est agitée. Je vais ramener le préopinant au décret qui a été rendu hier. Vous avez ordonné que les personnes qui sont à la suite du roi soient mises en état d'arrestation et interrogées; mais vous avez voulu mettre une nuance en faveur de la dignité royale, en décrétant que le roi et la reine seront entendus dans leurs déclarations. Vous avez suivi, d'après le vœu du rapporteur, les formes usitées jadis au parlement de Paris. Ainsi, en supprimant le mot, c'est la même chose que vous avez décrétée. Vous avez voulu qu'on entendit sur un grand délit les personnes qui en ont été les agens ou les témoins; mais pour cela il n'est pas nécessaire d'une plainte ou d'une procédure commencée pour investir l'autorité judiciaire. Chaque jour on voit, lorsq'un meurtre ou un enlèvement a été commis, les juges entendre les personnes qui en ont été les victimes, comme celles qui sont accusées par le cri public d'en être les auteurs; car le pouvoir judiciaire commence aussitôt qu'un délit a été commis.

Je dirai d'ailleurs à M. Dandré : Ou la déclaration du roi et de la reine est une base de la procédure qui aura licu, ou clle lui est étrangère. Si elle est une base quelconque de la procédure, c'est aux tribunaux à la poser; autrement l'e est inutile. (Il s'élève des murmures.)

M. Dandré. Les deux bases de votre dilemme sont fausses.

M. Burrère. Cet argument est d'autant plus pressant, que vous venez d'entendre toutes les considérations d'influence et de responsabilité que l'assemblée nationale ne peut et ne doit pas prendre sur elle. Je n'y reviendrai pas.

Enfin vous devez dans ce moment investir les tribunaux de toute la force de la loi. Un grand délit national a été commis; il a menacé la sûreté de l'Etat : vos juges doivent avoir du courage et de la confiance. Si vous mêlez les juges avec des comités de l'assemblée, vous atténuez leur pouvoir, vous affaiblissez

leur caractère. La dignité royale ne peut rien devant les organes de la loi.

Je conclus à ce que les juges seuls reçoivent par écrit la déclaration du roi et de la reine.

M. Muguet. Vous avez regardé la déclaration comme un compte que le roi rendrait pour la nation à l'assemblée nationale, qui seule a le droit de la recevoir. C'est d'après cette déclaration que vous déterminerez les rapports de la nation avec le roi; alors vous renverrez aux tribunaux s'il y a lieu. Je pense aussi qu'on doit charger des commissaires de demander une déclaration au roi, mais que les juges peuvent recevoir celle de la reine. (On applaudit.)

M. Tronchet. La difficulté n'est née que de la confusion de l'ancienne hypothèse, où l'on demandait des déclarations au roi et à la reine, avec la position où nous nous trouvons. On demandait ces déclarations dans un procès criminel formé contre un individu : c'était une véritable déposition. L'hypothèse actuelle est différente : vous n'avez pas arrêté qu'il y avait lieu à accusation, vous n'avez pas qualifié le délit, vous n'avez pas indiqué le tribunal; vous cherchez seulement le moyen de vous procurer des renseignemens pour déterminer le parti que vous devez prendre. Ce n'est réellement, comme l'a dit le préopinant, qu'un compte demandé au roi; et, sans m'appesantir sur les inconvéniens indiqués par M. Dandré, je crois qu'il y aurait du danger à donner un caractère judiciaire à vos démarches. Je pense qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur tous les amendemens proposés.

La discussion est fermée à l'unanimité.

L'assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur les amendemens.

L'article du comité, mis aux voix, est adopté en ces termes. Art. V. L'assemblée nationale nommera trois commissaires pris dans son sein pour recevoir les déclarations du roi et de la reine; elles seront reçues séparément de la bouche du roi et de la reine, mises par écrit et signées de l'un et de l'autre. Le tout

sera rapporté à l'assemblée nationale, pour être pris par elle les dispositions qu'elle croira convenables.

(La séance toujours tenante, les membres de l'assemblée se retirent successivement dans les bureaux pour procéder à l'élec tion de trois commissaires. Ils doivent être nommés à la majorité absolue. Il est deux heures.)

A trois heures moins un quart.

M. le président. Avant de prononcer le résultat du scrutin, l'assemblée ne désapprouvera pas que je fasse entrer les gardes nationales de Varennes, qui ont montré tant de courage dans l'arrestation du roi.

Ces gardes nationales sont introduites. M. Georges, député, maire de Varennes, les présente. On remarque parmi eux MM. Leblanc et Pellerin, qui ont arrêté les courriers en menaçant de tirer dans la voiture, et M. Georges fils, commandant de la gårde nationale de Varennes.

M. le président lit la formule, et ces gardes nationales prêtent le serment au milieu des applaudissemens de l'assemblée.

M. le président. Par un décret rendu mardi matin, vous avez arrêté que la séance serait toujours tenante, et qu'elle ne pourrait être levée que par un autre décret. Avant de lire le résultat du scrutin, je vais mettre aux voix la question de savoir si la séance sera levée.

L'assemblée décide que la séance sera levée.

Le résultat du scrutin pour la nomination des commissaires donne, sur 599 votans, 433 voix à M. Tronchet, 354 à M. Dandré, et 351 à M. Duport.]

SÉANCE DU 27 JUIN.

[M. Lanjuinais fait lecture d'une adresse du directoire de Rennes, et M. Goupil d'une adresse du corps administratif d'Alençon; l'une et l'autre contiennent le détail des mesures prises par ces directoires pour assurer les décrets de l'assemblée nationale, et le récit des preuves de patriotisme et de confiance dans l'as

« PreviousContinue »