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liberté? Voyez-vous assez clairement la coalition des ministres dų roi, dont je ne croirai jamais que quelques-uns, sinon tous, n'aient pas su la fuite? Voyez-vous assez clairement la coalition de vos chefs civils et militaires; elle est telle que je ne puis pas ne pas croire qu'ils n'aient favorisé cette évasion dont ils avouent avoir été si bien aver tis? Voyez-vous cette coalition avec vos comités, avec l'assemblée nationale? Et comme si cette coalition n'était pas assez forte, ję sais que tout à l'heure on va vous proposer à vous-mêmes une réunion avec tous nos ennemis les plus connus : dans un moment, tout 89, le maire, le général, les ministres, dit-on, vont arriver ici! Comment pourrions-nous échapper? Antoine commande les légions qui vont venger César! et c'est Octave qui commande les légions de la république. On nous parle de réunion, de nécessité de se serrer autour des mêmes hommes. Mais quand Antoine fut venu camper à côté de Lepidus, et parla aussi de se réunir, il n'y eut bientôt plus que le camp d'Antoine, et il ne resta plus à Brutus et à Cassius qu'à se donner la mort.

>

› Ce que je viens de dire, je jure que c'est dans tous les points l'exacte vérité. Vous pensez bien qu'on ne l'eût pas entendue dans l'assemblée nationale. Ici même, parmi vous, je sens que ces vérités ne sauveront point la nation, sans un miracle de la Providence, qui daigne veiller mieux que vos chefs sur les gages de la liberté. Mais j'ai voulu du moins déposer dans votre procèsverbal un monument de tout ce qui va vous arriver. Du moins, je vous aurai tout prédit; je vous aurai tracé la marche de vos ennemis, et on n'aura rien à me reprocher. Je sais que par une dénonciation, pour moi dangereuse à faire, mais non dangereuse pour la chose publique; je sais qu'en accusant, dis-je, ainsi la presqu'universalité de mes confrères, les membres de l'assemblée, d'être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les autres par terreur, d'autres par ressentiment, par un orgueil blessé, d'autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu'ils sont corrompus, je soulève contre moi tous les amourspropres, j'aiguise mille poignards, et je me dévoue à toutes les haines; je sais le sort qu'on me garde; mais si dans les commen

cemens de la révolution, et lorsque j'étais à peine aperçu dans l'assemblée nationale, si lorsque je n'étais vu que de ma conscience, j'ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, à la liberté, à la patrie; aujourd'hui, que les suffrages de mes concitoyens, qu'une bienveillance universelle, que trop d'indulgence, de reconnaissance, d'attachement, m'ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait, une mort qui m'empêchera d'être témoin des maux que je vois inévitables. Je viens de faire le procès à l'assemblée nationale, je lui défie de faire le mien. > Voilà autant que je m'en souviens, la substance du discours de mon cher Robespierre. Que ne puis-je rendre cet abandon, cet accent du patriotisme et d'indignation avec lesquels il l'a prononcé! Il fut écouté avec cette attention religieuse dont on recueille les dernières paroles d'un mourant. C'était en effet comme son testament de mort qu'il venait déposer dans les archives de la société. Je n'entendis pas ce discours avec autant de sang-froid que je le rapporte en ce moment, où l'arrestation du ci-devant roi a changé la face des affaires. J'en fus affecté jusqu'aux larmes en plus d'un endroit; et lorsque cet excellent citoyen au milieu de son discours parla de la certitude de payer de sa tête les vérités qu'il venait de dire, m'étant écrié: Nous mourrons tous avant toi, l'impression que son éloquence naturelle et la force de ses discours faisaient sur l'assemblée était telle, que plus de 800 personnes se levèrent toutes à la fois, et entraînées comme moi par un mouvement involontaire, firent un serment de se rallier autour de Robespierre, et offrirent un tableau admirable par le feu de leurs paroles, l'action de leurs mains, de leurs chapeaux, de tout leur visage, et par l'inattendu de cette inspiration soudaine. (Révol. de France, etc., n° LXXXII.)

Extrait des registres des Amis de la constitution, du 21 juin 1791.

• Après que la société eut juré individuellement de défendre la vie de M. Robespierre, exposée par les vérités hardies qu'il venait d'énoncer à la tribune, on annonça l'arrivée des ministres et des membres de l'assemblée nationale du club de 89, qui ve

naient se réunir à la société des Amis de la constitution. Alors M. Danton, prenant la parole, dit: M. le président, si les traîtres se présentent dans cette assemblée, je prends l'engagement formel de porter ma tête sur un échafaud, ou de prouver que la leur doit tomber aux pieds de la nation qu'ils ont trahie.

› Les députés de l'assemblée nationale étant entrés, M. Danton, ayant aperçu au milieu d'eux M. la Fayette, monta à la tribune et dit :

› Messieurs, nous avons aujourd'hui les plus grands intérêts à traiter; et, en effet, ne nous le dissimulons pas, du résultat de cette séance, de l'esprit public que vous aurez montré, dépendra peut-être le salut de l'empire.

› Au moment où le premier fonctionnaire public vient de disparaître, ici se réunissent ces hommes chargés de régénérer la France, dont les uns sont puissans par leur génie, et les autres par leur grand pouvoir.

› Ah! s'il était possible que l'intérêt personnel eût perdu son influence, s'il était possible que toutes divisions fussent cessées, la France serait sauvée; mais une funeste expérience vient de nous montrer l'étendue de nos maux. Je dois parler, et je parlerai comme si je burinais l'histoire pour les siècles à venir. Et d'abord, j'interpelle M. la Fayette de me dire pourquoi, lui, signataire du système des deux chambres du prêtre Sieyès, vientil se réunir aux amis de la constitution, lui, dis-je, signataire de ce système destructeur de la constitution et de la liberté, répandu dans les départemens précisément dans les mêmes circonstances où le roi fuit, dit-il, pour changer la face de l'empire?

› M. Danton a ensuite dit à M. la Fayette que dans les conférences qu'il avait eues avec lui, dans le temps que les amis de la constitution se flattaient d'éteindre toute semence de discorde et de division, M. la Fayette avait paru désirer un changement dans la constitution, à peu près semblable à celui proposé par M. Sieyès, et qu'à cet égard il lui avait formellement dit que le projet de M. Mounier était trop exécré pour penser à le reproduire, mais qu'il serait possible de faire accepter à l'assemblée

quelque chose d'équivalent. M. Danton a défié M. la Fayette de lui nier ce fait, et a ajouté:

› Par quelle étrange singularité se fait-il que le roi donne pour raisons de sa fuite les mêmes motifs qui vous avaient déterminé à favoriser l'établissement de sociétés d'hommes qui, étant intéressés comme propriétaires, disiez-vous, au rétablissement de l'ordre public, balanceraient bientôt, et feraient ensuite disparaître ces associations de prétendus amis de la constitution, composées presqu'entièrement d'hommes sans aveu, et soudoyées pour perpétuer l'anarchie? Que M. la Fayette m'explique comment il a pu inviter, dans un ordre militaire, sans se déclarer l'ennemi de la liberté de la presse, la garde nationale en uniforme, de service ou non, à arrêter la circulation des écrits publiés par les défenseurs des droits du peuple; tandis que protection était accordée aux lâches écrivains détracteurs de la constitution.

› Qu'on me dise pourquoi M. la Fayette a mené en triomphe les habitans du faubourg Saint-Antoine qui voulaient détruire le dernier repaire de la tyrannie (le donjon de Vincennes) !

> Qu'on me dise pourquoi M. la Fayette a, le même soir de cette expédition de Vincennes, accordé protection aux assassins armés de poignards pour favoriser la fuite du roi!

› M'apprendra-t-on comment il se fait que M. la Fayette ait pu laisser subsister les apparences du crime qu'il a commis envers la souveraineté de la nation, en ne désavouant pas, avec la plus grande publicité, le trop fameux serment individuel que lui a prêté la garde nationale de Paris? Comment se fait-il que la même compagnie des grenadiers de l'Oratoire, dont il a si arbitrairement chassé 14 grenadiers, pour.s'être opposés, le 18 avril, au départ du roi, ait été la même compagnie de garde le 21 juin?

› Comment se fait-il que M. la Fayette, qui, depuis le 18 avril, a fait connaître qu'il était en garde contre les tentatives du départ du roi, ait voulu, dans ce mémorable, jour 18 avril, employer le fer et le feu pour protéger le départ du roi pour Saint-Cloud, licu qui n'était évidemment, comme l'événement l'a prouvé de

puis, que le rendez-vous des fugitifs et de leurs perfides agens? » Ne nous faisons pas illusion, Messieurs ; la fuite du roi n'est que le résultat d'un vaste complot. Des intelligences avec les premiers fonctionnaires publics en ont pu seules assurer l'exécution. Et vous, M, la Fayette, vous, qui me répondiez encore dernièrement de la personne du roi sur votre tête, paraître dans cette assemblée, est-ce avoir payé votre dette?

› Il faut, Messieurs, pour sauver la France, il faut au peuple de grandes satisfactions; il est las d'être continuellement bravé par ses ennemis connus et déclarés : il est temps que ceux qui ont signé des protestations contre la constitution, cessent d'ètre représentans du peuple. L'assemblée nationale a décrété ce principe, en excluant de toute fonction les coupables de ce délit. Une protestation contre les décrets est une abdication de la qualité de représentant. Ce n'est pas altérer le principe de l'irrévocabilité, que chasser de l'assemblée nationale, et livrer à la justice ceux qui appellent la guerre civile en France par les actes audacieux de la plus infâme rébellion. Mais si la voix des défenseurs du peuple est étouffée; si, toujours faibles, nos ménagemens pour les ennemis de la patrie la mettent perpétuellement en danger, j'en appelle au jugement de la postérité, c'est à elle à juger entre vous et moi,

› M. la Fayette, invité à répondre, a dit :

› L'un de MM. les préopinans me demande pourquoi je viens me réunir à cette société. Je viens me réunir à cette société, parce que c'est à elle que tous les bons citoyens doivent recourir dans ces temps de crises et d'alarmes. Il faut plus que jamais combattre pour la liberté, et le premier j'ai dit que lorsqu'un peuple voulait être libre, il le devenait; et je n'ai jamais été si sûr de la liberté qu'après avoir joui du spectacle que vient de nous offrir la capitale dans cette journée.

Deux minutes après avoir parlé ainsi, M. la Fayette est sorti de l'assemblée.

> M. le député de Brest a dit alors: Messieurs, je demande que M. la Fayette, qui a éludé les questions de M. Danton, soit

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