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de section de matière. Je vais, en ce moment, soumettre à la discussion les art. VI et VII ainsi conçus :

Art. VI. Aucun état, profession ou fonction publique n'exclut de l'éligibilité à la législature, les citoyens qui réunissent les conditions prescrites par la constitution.

Art. VII. Les membres de la précédente législature pourront être réélus.

Je vais maintenant sur ces articles vous exposer les motifs du comité.

M. Robespierre. Je demande la parole pour une motion d'ordre indiquée par la nature même de la délibération, afin que nous puissions voter comme de simples citoyens, et non pas comme des hommes qui pourraient être réélus. Je demande donc que l'assemblée décrète d'abord que les membres de l'assemblée actuelle ne pourront être élus à la première législature. (On applaudit à plusieurs reprises dans tous les parties de la salle, et on demande à grands cris à aller aux voix.)

M. Garat l'aîné. La proposition de M. Robespierre n'est pas posée comme elle doit l'étre; car il présente comme une question indécise ce qui est déjà décrété. Le 14 septembre, un membre a fait la proposition de ne renouveler le corps-législatif que des deux tiers; mais les avis furent à peu près honorablement unanimes, et vous avez décrété que la législature serait renouvelée en entier. Nous étions alors au-dessus de toutes vues ambitieuses.... (Il s'élève des murmures.)

La très-grande majorité de l'assemblée se lève à deux reprises différentes, et demande à grands cris à aller aux voix sur la proposition de M. Robespierre.

M. Pétion. Il ne s'agit pas ici de juger la question, de savoir si les membres d'une législature pourront être réélus à la législature suivante, mais si les membres de l'assemblée actuelle seront éligibles à la première législature. C'est en ce sens que je demande que la motion de M. Robespierre soit mise aux voix. (Les cris recommencent: Aux voix, aux voix.]

Thouret expose les détails de l'opinion du comité; il pense que la motion tend à exclure les citoyens qui ont bien mérité de la patrie, en défendant les droits du peuple. Il vote pour laisser à la nation l'intégrité de la faculté d'élire qui lui appartient.

Prugnon pense que la rééligibilité assurerait la corruption de l'assemblée par les ministres.

[M. Merlin. J'ai hésité long-temps avant de me déterminer à vous communiquer mes idées. J'ai craint la perversité de quelquesuns de ces hommes qui ne peuvent supposer une droiture, une pureté qu'ils n'ont jamais eues. Je redoutais qu'ils ne m'imputassent des intentions secrètes et coupables. Mais ce n'est pas de l'opinion qu'on prendra de ses actions qu'un représentant du peuple doit s'occuper son devoir est de tout ramener à l'intérêt général, et de sacrifier son amour-propre et même son honneur au salut public. (Plusieurs voix : Au fait.) La nation exige deux choses de ses représentans: qu'ils respectent ses droits, et qu'ils les fassent respecter par le pouvoir exécutif. Respecterions-nous ses droits en mettant de nouvelles bornes à sa confiance? Je dis de nouvelles bornes; car vous avez déjà imposé des conditions à l'éligibilité. Il s'est élevé des réclamations à cet égard; exiger toute autre condition, ce serait porter atteinte à la souveraineté nationale. Je demande ensuite si nous ferions respecter les droits de la nation, en excluant du corps-législatif tous ceux qui auraient été membres de la législature précédente. Le pouvoir exécutif cherche toujours à étendre ses prérogatives. Si l'on veut conserver la liberté, il faut qu'on le surveille: or, supposez qu'il arrive une législature entièrement neuve, quels seront ses moyens de surveillance? Où sera sa force, où seront ses ressources pour contenir le pouvoir exécutif? Je ne puis m'empêcher de sentir que dans cette hypothèse la nation aurait à courir la chance funeste d'une grande versatilité dans les lois : ce sera par une surveillance éclairée par l'expérience, que la nation conservera le trésor où seront renfermées les contributions publiques, les sueurs du pauvre. Un membre dont l'opinion ne sera pas suspecte à cette assemblée, M. l'abbé Maury, disait que les ministres

échapperont toujours facilement à des hommes peu expérimentés. Voyez si ces hommes peu expérimentés dont M. l'abbé Maury parlait en 1789, ne ressemblent pas à une législature absolument nouvelle. Quelques lumières, quelque patriotisme qu'on lui suppose, cette législature pourra avoir une marche faible ou incertaine; et la cour, ennemie perpétuelle du peuple, saisira le moment pour essayer quelque grand bouleversement.

Vous avez encore à craindre les mauvais choix, et il y en aura. Ils amèneront nécessairement dans le corps-législatif de ces hommes qui se font une gloire de leur attachement à un ordre de choses proscrit par la justice et la liberté. Ne craignezvous pas que quelques hommes qui n'auront pas l'espérance d'ètre réélus ne respectent moins un caractère que la confiance de la nation ne pourrait leur conserver? Pourquoi vous priver de la puissance morale de l'espoir de la réélection?... Ce serait à tort sans doute que j'appuierais mon opinion de la crainte de voir une législature nouvelle chercher à changer la constitution; mais que m'importe qu'elle ne la change pas, si elle la laisse périr !... A voir le droit de faire des lois réglementaires, c'est avoir lě droit d'entraver, de tuer la constitution... I faudrait que la législature prochaine délibérât long-temps pour qu'il se formât dans son sein un Camus.... (On applaudit.) Il faut un temps considerable pour s'instruire d'une foule de détails que les membres des législatures devront savoir. En finance surtout, les détails sont indispensables: or, le nombre des hommes instruits en finance est bien petit dans les départemens.... On craindra sans doute l'influence d'un homme qui joindrait à une grande éloquence l'avantage d'avoir déjà concouru aux opérations d'une législature. Mais cet homme pourrait être sûr, j'en appelle aux mânes de Mirabeau, que s'il voulait tromper, abuser l'assemblée, il s'attirerait un reproche d'immoralité, dont la supériorité de ses talens ne suffirait pas à la longue pour effacer l'impression..... J'appuie donc l'opinion du comité.

M.Robespierre. Avant d'être convaincu de l'utilité de la motion que j'ai faite, de grands exemples m'avaient frappé. Tous les

législateurs dont les hommes ont conservé le souvenir, se sont fait un devoir de rentrer dans la foule des citoyens, et de se dérober même à la reconnaissance. Ils pensaient que le respect des lois nouvelles tenait au respect qu'inspirait la personne des législateurs. Ceux qui fixent les destinées des nations doivent s'isoler de leur propre ouvrage. Je n'ai pas besoin de me perdre dans des raisonnemens subtils pour trouver la solution de la question qui vous est soumise.

Cette solution existe dans les premiers principes de ma droiture et de ma conscience. Nous allons délibérer sur une des principales bases de la liberté et du bonheur public, sur l'organisation du corps-législatif, sur les règles constitutionnelles des élections; faisons que ces grandes questions nous soient étrangères; dépouillons-nous de toutes les passions qui pourraient obscurcir la raison ; je crois ce principe généralement bon; mais je vais un moment l'appliquer personnellement à moi. Je suppose que je ne fusse pas insensible à l'honneur d'être membre du corps-législatif, et je déclare avec franchise que rien ne me semble plus digne de l'ambition d'un homme libre. Je suppose que les chances qui pourraient me porter à cet honneur fussent liées aux grandes questions que nous allons résoudre: serais-je dans l'état d'impartialité et de désintéressement absolu qu'elles exigent? Puisqu'il n'existe dans tous les hommes qu'une même morale, une même conscience, j'ai cru que mon opinion serait celle de l'assemblée. (On applaudit.)

C'est la nature même des choses qui à élevé une barrière entre les auteurs de la constitution et l'autorité législative, qui doit exister par eux et après eux. En fait de politique, rien n'est juste que ce qui est honnête, rien n'est utile que ce qui est juste, et rien ne s'applique mieux à la cause que je discute que les avantages attachés au parti que je propose. Quelle autorité imposante va donner à votre constitution le sacrifice que vous ferez vous-mêmes des plus grands honneurs auxquels un citoyen puisse prétendre! Que les ressources de la calomnie seront faibles, lorsqu'elle ne pourra pas reprocher à un seul d'entre vous d'avoir

voulu mettre à profit, pour prolonger votre mission, le crédit que vous donnerait près de vos commettans la manière dont vous l'avez remplie ; d'avoir voulu étendre votre empire sur des assemblées nouvelles, lorsqu'elle verra que vous avez sacrifié tout intérêt personnel au respect religieux pour les grandes délibérations qui vous restent à prendre!

Si l'on m'opposait quelque scrupule relatif à l'intérêt public, il ne me serait pas difficile de répondre. Désespère-t-on de nous voir remplacés par des hommes également dignes de la confiance publique? (Il s'élève des murmures.) En partageant le sentiment, honorable pour cette assemblée, qui fait la base de cette idée, je crois exprimer le vôtre, en disant que nos travaux et nos succès ne nous donnent pas le droit de croire qu'une nation de 25 millions d'hommes libres soit réduite à l'impossibilité de trouver 720 défenseurs dignes de recevoir et de conserver le dépôt sacré de ses droits. Mais si, dans un temps où l'esprit public n'existait pas encore, où la France était loin de prévoir ses destinées, la nation a pu faire des choix dignes de cette révolution, pourquoi n'en ferait-elle pas de meilleurs, lorsque l'opinion publique est éclairée et fortifiée par une expérience de deux années, si fécondes en grands événemens et en grandes leçons? (On applaudit.) Les partisans de la réélection disent encore qu'un certain nombre, et même que certains membres de cette assemblée sont nécessaires pour éclairer, pour guider la législature suivante par les lumières de l'expérience, et par la connaissance plus parfaite des lois qui sont leur ouvrage.

Je pense d'abord que ceux qui, hors de cette assemblée, ont lu, ont suivi nos opérations, qui ont adopté et défendu nos décrets, qui ont été chargés par la confiance publique de les faire exécuter, connaissent aussi les lois et la constitution. (On applaudit.) Je crois qu'il n'est pas plus difficile de les connaître qu'il ne l'a été de les faire. (Les applaudissemens recommencent.) Je pourrais même ajouter que ce n'est pas au milieu de ce tourbillon immense d'affaires et d'événemens, qu'il a été plus facile de reconnaître l'ensemble et de lier dans sa mémoire les détails

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