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M. Regnier neveu. Avant de faire ce prêt, il serait bon de consulter le comité d'administration; nous avons de fortes dépenses à payer. Pourrons-nous faire ce prêt et satisfaire à nos engagemens?»

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M. Desfieux. Je puis, mieux que personne, vous donner l'état de situation de votre caisse. La dépense de votre nouveau local payée, vous aurez en caisse plus de quatre mille livres, et dans un mois, il vous rentrera sept à huit mille livres. Vous ne devez rien; vous pouvez et vous devez donc prêter mille écus à un peuple qui a tout sacrifié pour la liberté, et pour se rallier à la mère-patrie, dont le despotisme des papes l'a séparé quelque temps. (On applaudit.)

M. Renaudin. « Et quand la somme n'y serait pas, est-il un bon citoyen parmi nous qui refusât de se cotiser pour la compléter? ›

M. Restout. « Je demande que la société fasse part de l'arrêté qu'elle vient de prendre par l'envoi d'une circulaire.

M. Desfieux. « Cet envoi est absolument inutile. Elles verront cet arrêté dans le journal de nos débats, auquel toutes ont certainement souscrit, et nous ne devons pas douter que notre exemple ne soit imité par toutes les sociétés de l'empire. › (La motion, applaudie, est mise aux voix et adoptée.)

A cette même séance, M. Gorguereau, parlant sur le duel, se plaignit de l'abandon récent de plusieurs membres de l'assemblée nationale. Il attribua cette désertion au dernier décret rendu sur les gens de couleur. Nous saisissons ce motif et cette date comme la première rumeur de la grande scission qui éclatera définitivement en juillet, et qui donnera origine aux Feuillans.

- A la séance du 19, Robespierre lut une instruction pour les élections. Voici cette pièce :

M. Robespierre. « Je n'ai reçu que ce matin, en rentrant de l'assemblée nationale, la lettre par laquelle le comité me chargeait de cette rédaction; je n'ai pu y donner d'autre temps que le court intervalle qui se trouve entre ce moment et notre séance;

il m'a donc été impossible de la porter au comité. Obligé de faire un petit voyage demain soir, il m'eût été impossible de vous la lire demain. Je vous prie d'excuser les fautes de rédaction qui pourront s'y trouver, en faveur de la précipitation avec laquelle elle a été faite.

Citoyens, ce serait perdre un temps précieux que de vous parler de l'importance des élections dont vous allez vous occuper. Vous savez que les électeurs que vous allez choisir, nommeront à leur tour les députés dont dépend ou votre bonheur ou votre misère. Vous vous rendrez donc exactement aux assemblées primaires, vous surtout qui, par vos faibles moyens, pourriez craindre l'oppression; songez que c'est à vous qu'il importe d'être éclairés sur ces choix, puisqu'il est question de discuter vos plus chers intérêts. Si vous êtes obligés par là à des sacrifices, la raison, la justice et l'intérêt public vous assurent des indemnités.

» Dans les choix que vous ferez, songez que la vertu et les talens sont nécessaires, mais qué, des deux, la vertu est la plus nécessaire encore. Là vertu sans talent peut être encore utile; les talens sans vertu ne peuvent être qu'un fléau. (On applaudit.) Et en effet la vertu suppose ou donne assez souvent les talens nécessaires aux représentans du peuple. Quand on aime la justice et la vérité, on aime les droits des citoyens, et on les défend avec chaleur. Tenez-vous en garde contre les apparences trompeuses: les amis et les ennemis de la liberté se présenteront à vous avec les mêmes dehors et le même langage. Si vous voulez vous assurer des sentimens de quelques citoyens, remontez au-delà de l'époque où vous êtes aujourd'hui. L'homme ne se détache pas tout à coup de tous les préjugés qui ont formé ses sentimens. Si, une fois dans la vie, un homme s'est montré vil ou impitoyable, rejetez-le; rejétez ces hommes qu'on a vus ramper honteusement aux pieds d'un ministre ou d'une femme. Leur manière est changée: leur cœur est resté le même. (On applaudit.)

> Ils flattent aujourd'hui leurs concitoyens, comme ils flattaient les tyrans subalternes. On ne devient pas subitement d'un

vil adulateur, d'un lâche courtisan, un héros de la liberté. (On

applaudit.)

› Mais si vous connaissez des hommes qui aient consacré leur vie à venger l'innocence; si vous connaissez quelqu'un d'un caractère ferme et prompt, dont les entrailles se soient toujours émues au récit des malheurs de quelques-uns de ses concitoyens," allez le chercher au fond de sa retraite, priez-le d'accepter la charge honorable et pénible de défendre la cause du peuple contre les ennemis déclarés de la liberté, contre ces ennernis bien plus perfides encore qui se couvrent du voile de l'ordre et de la paix. Ils appellent ordre tout système qui convient à leurs arrangemens; ils décorent du nom de paix la tranquillité des cadavres et le silence des tombeaux.

› Ce sont ces personnages, cruellement modérés, dont il faut vous défier le plus. Les ennemis déclarés de la révolution sont bien moins dangereux. Ce sont ceux-là qui assiégent les assemblées primaires, pour obtenir du peuple, qu'ils flattent, le droit de l'opprimer constitutionnellement. Évitez leurs piéges, et la patrie est sauvée. S'ils viennent à vous tromper, il ne nous reste plus qu'à réaliser la devise qui nous rallie sous les drapeaux de la liberté: Vivre libre ou mourir. ›

(On demandé l'impression sur-le-champ, et l'envoi aux sections assemblées.)

M. Roederer. « Je demande que M. Robespierre veuille bien relire l'article concernant les électeurs, parce que, quelque fondé que soit son principe, l'application pourrait en être dangereuse pour cette année; car il n'y a pas de fonds faits pour les élec

teurs. >

M. Robespierre. L'observation de M. Roederer porte sur un fait qui n'est pas exact. Il a supposé qu'il était décidé que les électeurs ne seraient pas payés cette année, et cela n'est pas dé. cidé. La motion en fut faite, il y a quelques jours, à l'assemblée nationale. M. Desmeuniers, rapporteur, n'a pas du tout été éloigné de cette idée, et l'avis des membres de l'assemblée m'a paru y être favorable. J'ai donc cru pouvoir annoncer cet avis

dans un moment où il s'agit de porter un plus grand nombre de citoyens dans les assemblées primaires, qui en général sont peu nombreuses. >

(Après la lecture de la phrase, on la change en celle-ci : La raison, la justice et l'intérêt public sollicitent pour vous.)

L'impression est arrêtée au nombre de 3,000, ainsi

voi aux sociétés affiliées et aux quarante-huit sections. »

que l'en

–Dans cette même séance, Sieyès fut violemment dénoncé par Salle, pour un écrit qu'il offrait depuis quelques jours à la signature de ses collègues. Cet écrit, résumé par le dénonciateur, roulait sur trois points : 1° liberté pour tous; 2° acceptation des deux chambres dans la législature, si l'assemblée nationale les décrétait; 5° soumission absolue aux lois.

Sieyès, présent à cette séance, se défendit en maître. Le lendemain la discussion fut reprise, parce que Sieyès était absent. Antoine proposa de traiter une motion qu'avait faite Laclos; Danton s'y opposa. «Je vous observe, dit-il, que chez un peuple qui devient vraiment grand, il ne doit plus être question de ces égards pour de prétendus grands hommes. La discussion fut continuée. Plusieurs députés, Buzot, Barrère, Pétion, Voidel, Boutidoux, Boissy-d'Anglas, s'excusèrent successivement d'avoir signé l'écrit de Sieyès; leur bonne foi, dirent-ils, avaient été surprise.

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M. Danton. J'ai demandé la parole pour vous donner connaissance des faits importans relatifs à cette déclaration. >

M. Gorguereau, «J'ai demandé, pour la même chose, la parole avant vous, je la réclame. »

M. Danton. Soit; mais je l'aurai aussi et je dirai tout malgré

vous.>

M. Billecoque. Messieurs, je dois à ma conscience, comme à la vérité de déclarer que c'est sans ma participation que mon nom se trouve au bas de cet écrit. ›

N.... Je répondrai à ce que vient d'observer le préopinant, que j'ai entendu dire à cinq ou six personnes, qu'hier, M. Bille

coque a approuvé tout ce que disait M. Sieyès, et qu'il l'a même soufflé en tout. »

M. Billecoque. « Je pourrais répondre au préopinant qui a eu recours au témoignage de ses voisins, par le témoignage des miens. J'ai approuvé hier la défense que M. l'abbé Sieyès a fait de son opinion; si c'est un crime, j'avoue que j'en suis coupable. (Oui, oui, à bas! à bas!)

Après cet incident, Gorguereau dit quelques mots et Danton lui succè le à la tribune.

M. Danton. Depuis long-temps ma vie appartient aux poignards des ennemis de la liberté, sous quelque masque qu'ils se présentent; je ne les redoute pas davantage que je n'ai craint les armes du Châtelet.

› Le prêtre Sieyès qui a défendu la dîme; le prêtre Sieyès qui ne voulait pas que les biens du clergé fussent déclarés nationaux; le prêtre Seyès qui a fait une loi pour modérer la liberté de la presse, n'est pas le seul auteur de la déclaration qu'on vous a fait connaître. Il y a un an qu'un homme, sur lequel je m'expliquerai aussi hardiment, M. de la Fayette, établit des conférences avec ceux qu'il regardait comme les plus exaltés du parti populaire. Je fus admis à ces conseils, et là M. de la Fayette déploya la même opinion qui est répandue dans cet écrit. Il me faisait observer que moi qui avais alors déployé toute mon ardeur pour la cause de la liberté, j'étais banni des places, par une espèce d'ostracisme des sections, tandis que M. Bailly avait été réélu. Il pensait encore qu'il lasserait bientôt les amis de la constitution. Je lui répondis que le peuple, d'un seul mouvement, balayerait ses ennemis quand il le voudrait.

› Dans une de ces conférences où l'on croyait attiédir les patriotes, on me disait : ne serait-il pas possille qu'avant la fin de la constitution, sans rappeler le système de M. Mounier, on représentat quelque chose d'équivalent. On a bien cherché cet équivalent, on l'a bien fait mùrir, on a décrié les sociétés amies de la constitution, et on a reproduit enfin cet équivalent sous les auspices d'une réputation factice, et à l'aide de quelques hommes

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