Page images
PDF
EPUB

Duport, nommé président du tribunal criminel, refusa, parce que Robespierre avait été nommé accusateur public; Bigot, nommé vice-président, et Dandré substitut, refusèrent par la même raison. Pétion remplaça Duport, Buzot fut élu vice-président, Faure remplaça Dandré, Gossin fut nommé adjoint à l'accusateur public. Voici les réflexions de Brissot sur ces divers refus. On peut examiner le motif de M. Duport, puisqu'il le dit ouvertement. M. Robespierre est, suivant lui, un homme sans mesure. Raison de rester pour un président qui croit en avoir beaucoup, et qui sera à portée de tempérer la chaleur de l'accusateur. Il accusera sans raison, -vous le condamnerez.

[ocr errors]

-Il accusera en flattant le peuple, et en mettant ses juges dans l'embarras de décider contre le peuple ou contre la loi. — Celui qui croit à cet embarras n'est pas digne d'être juge. Il faut, quand on monte sur le siége, être décidé à condamner le peuple s'il a tort, à braver la mort s'il le faut. Le juge qui, ayant la justice pour lui, craint le peuple, le connaît peu, ou connaît trop sa propre faiblesse. M. Robespierre est bon patriote, ferme dans ses principes, sourd aux considérations; voilà ce que M. Duport devait voir et respecter, ce qui devait excuser à ses yeux l'excès de patriotisme de M. Robespierre.

› J'ai admiré la combinaison de ces choix. M. Duport, président, il est criminaliste.-M. Robespierre, accusateur,— c'est l'ennemi le plus implacable des aristocrates. - M. Dandré, substitut de M. Robespierre, -il calmera sa fougue. De petites vanités ont dérangé tous ces calculs. Et on se vante d'être libres! La liberté veut bien d'autres sacrifices. Je le vois, on ne cherche que l'égoïsme. (Patriote français, 13 juin.)

De graves événemens vont s'accomplir. Dans la nuit du 20 au 21 juin se dénouera, après deux ans de soupçons et de méfiance, le drame diplomatique conduit avec tant de persévérance, et recouvert de tant de mensonges par les ennemis de la révolution. Ces multitudes de prédictions, ces alarmes continuellement ex

[ocr errors]

citées, seront enfin pleinement justifiées. Et qu'on ne pense pas que les hommes, qui depuis si long-temps annonçaient au peuple la fuite du roi, se fussent rétractés un seul instant. Ce ne fut pas au sein d'une fausse sécurité chez les démocrates qui surveillaient la cour et interprétaient au jour le jour ses paroles et ses actes dans le sens d'une tentative prochaine, que Louis XVI opéra brusquement son départ. Chaque numéro de l'Orateur du peuple renferme quelque nouveau motif de se méfier. Citoyens! de l'énergie, de l'union, de l'intrépidité, de l'héroïsme! Paris est en travail de supplément de la révolution! Légions invincibles des patriotes! qu'attendez-vous pour vous rallier? Né sauriez-vous donc combiner un instant toutes les circonstances propres à vous convaincre de la réalité des complots qui vont éclore? D'où vient cette disparition du numéraire? N'est-ce pas la cour qui, pour soudoyer les armées étrangères, les princes fugitifs, et enfler ses trésors, vous ravit jusqu'à votre dernier écu, pour tirer parti de votre désespoir et de votre faiblesse? Que signifient sur nos frontières cinq ou six armées que le pouvoir exécutif, les ministres et, le comité diplomatique laissent impunément se former et se grossir? Comment, depuis une année, un décret n'a-t-il pas fait justice de Capet-Condé et de Capet d'Artois? Comment leurs biens n'ont-ils pas été confisqués au profit de la nation, et leurs têtes mises à prix? Comment souffre-t-on plus long-temps les mensonges de Montmorin, les trahisons de Duportail? Dans quelles mains sont les armes et les munitions? dans celles des traîtres. Qui commande nos places? des traîtres. Que sont les officiers des troupes de ligne? des traîtres. Mais le roi est venu dans l'assemblée nationale! ́Piége, horrible piége! c'est pour mieux préparer sa fuite. Mais sa lettre aux ambassadeurs!...... Gâteau de miel jeté au peuple pour l'endormir. Pourquoi la garde était-elle doublée hier aux Tuileries et au Palais-Royal? Pourquoi tous les bataillons étaient-ils consignés? La Fayette veut-il brusquer l'événément? Pourquoi cette foule d'aristocrates s'éloignant de Paris avec précipitation? Pourquoi le ci-devant marquis dé Château

neuf, de Milliancourt, un des principaux affidés de la reine, estil parti dans la journée d'hier? C'est sans doute pour préparer les logemens. Je vous le répète, citoyens, un grand coup se médite; il est sur le point d'éclater. (L'Orateur du peuple, fin de mai.)

Dans son numéro suivant, Fréron s'écrie: Parisiens, ouvrez les yeux! voyez les préparatifs de vos ennemis! Il ne vous reste plus en ôtage que la famille royale, qui est près de vous échapper. Ce ne sera plus à force ouverte, comme elle en a fait la tentative, mais à l'aide d'un travestissement qui vous sera inconnu; elle sera rendue aux frontières que vous la croirez encore dans son nid.

[ocr errors]

Nous lisons dans les Annales patriotiques : « PARIS, le 3 juin. Madame Balby, logée au Luxembourg, à Paris, est partie dans la nuit d'avant-hier très-mystérieusement pour aller on. ne sait où. M. Modène, gouverneur du Luxembourg, a dû la suivre avec plusieurs autres personnes de la maison de Monsieur. Le temps nous apprendra si ces départs signifient quelque chose ou rien. Le même journal, numéro du 7 juin, dit: Le comité des recherches, réuni au comité diplomatique et militaire, s'est assemblé le 4 au soir, à l'occasion d'une lettre interceptée qui vient de lui être envoyée: cette lettre est, dit-on, du sieur d'Enghien, petit-fils de Condé. Il y invite un jeune homme, le ci-devant comte d'Espinchal, à se rendre à Worms avant la fin de mai, s'il veut prendre part à la grande révolution qui doit sauver l'État. Après cette nouvelle vient l'extrait suivant de la Gazette universelle: Toutes les lettres de Milan et de Turin confirment que M. d'Artois a eu à Mantoue deux conférences avec l'empereur. On prétend que M. Calonne a assisté à l'un de ces entretiens, et qu'il y a lu le manifeste qu'il a composé pour les princes, et qui doit être répandu au moment de leur entrée en France.

Le Moniteur lui-même, toujours en garde contre les opinions hasardées et les alarmes exagérées, avait inséré, dans son numéro du 31 mai, une lettre de Francfort dont voici les principaux passages: « J'ai dans ce moment entre les mains les copies

fidèles de deux contre-lettres envoyées en même-temps que la déclaration dont on a voulu qu'elles annulassent l'effet, et qu'elles ont en effet discrédité entièrement. (Cette déclaration est la lettre écrite par M. Montmorin, au nom du roi, pour les cours étrangères.) On annonce que l'on s'est soumis, pour très-peu de temps, aux lois de la nécessité; il fallait recourir à cet expédient, d'abord pour assurer sa vie, ensuite pour apaiser la défiance, et se servir de l'instant où elle se ralentirait, afin de reprendre les mesures de précaution récemment déconcertées. Voici l'explication de ces derniers mots : je l'ai puisée à la même source il y a peu de jours. Le voyage de Saint-Cloud, qui n'a pu s'effectuer (au 18 avril dernier), ne devait pas se terminer à deux lieues de Paris; la nuit suivante aurait conduit à Compiègne, et de là à Bruxelles. Alors un manifeste eût appris à l'Europe qu'on venait d'échapper à une longue et pénible captivité. Le correspondant du Moniteur termine ainsi : Ces détails doivent obtenir votre confiance: ils partent des Tuileries et sont apportés, par une correspondance confidentielle, dans une cour d'Allemagne peu éloignée d'ici; deux fois j'ai vu les lettres originales: régulièrement j'en obtiens des copies. ›

[ocr errors]

Le 1er juin, le président de l'assemblée nationale reçut une lettre de Montmorin, réfutant le Moniteur, et renouvelant les protestations. Voici cette lettre:

⚫ Ce serait une tâche difficile à remplir, et même absurde à tenter, que celle de répondre aux calomnies répandues habituellement dans une partie des nombreux journaux dont nous sommes inondés. Le parti le plus sage, et surtout le plus facile, est sans doute d'abandonner ces calomnies au mépris qui les attend, lorsque le calme, dont elles ont pour principal objet d'éloigner le retour, permettra de les apprécier à leur juste valeur. Mais cependant lorsque ces calomnies sont de natnre à alarmer la nation entière, lorsqu'elles tendent à élever les défiances les plus injustes et les plus outrageantes sur les intentions de la famille royale, lorsqu'elles se trouvent consignées dans un journal qui, jusqu'à présent, n'était pas encore confondu avec ceux qui pa

raissent n'avoir d'autre but que celui d'agiter le peuple, de l'égarer et de le porter à des excès; lors, dis-je, que tant de circonstances se trouvent réunies, il est de mon devoir, comme fonctionnaire public et comme ministre du roi, de démentir, avec la plus grande publicité, ce que la malveillance invente et répand, et ce que la défiance n'est que trop portée, dans les circonstances actuelles, à accueillir. Je crois donc devoir mettre sous les yeux de l'assemblée nationale un article inséré dans le numéro CLI du Moniteur, sous le titre d'Allemagne. L'auteur suppose que deux contre-lettres ont été, en même temps que les instructions du roi, envoyées dans les cours étrangères. Il prétend que son correspondant de Francfort a les copies fidèles de ces contre-lettres, et ne craignant pas de prêter à sa majesté le projet d'évasion le plus absurde, il affirme que les détails partent des Tuileries, qu'ils sont portés dans une cour d'Allemagne par des lettres confidentielles, et que le même correspondant de Francfort a vu deux fois les lettres originales.

[ocr errors]

>La précaution que prend l'auteur de garder l'anonyme, et de cacher le nom de son correspondant, porte assez le caractère de la calomnie; mais cette réflexion, toute simple qu'elle est, ne suffit peut-être pas dans ce moment. J'atteste donc sur ma responsabilité, sur ma tête, sur mon honneur, que le projet insensé qu'on ne rongit pas de prêter au roi dans cet article, n'a jamais existé. Ah! si l'on pouvait connaître dans tous les détails les soins et la vigilance de sa majesté, on verrait combien ils sont d'une nature différente.

› Quant aux contre-lettres qui paraîtraient me regarder personnellement, si j'étais nommé par le Moniteur, et il dépend de son auteur de me nommer, j'en traduirais sur-le-champ l'imprimeur devant les tribunaux ; l'auteur de l'article serait forcé de se faire connaître, et je croirais donner une preuve de mon respect pour la liberté de la presse, en sollicitant contre lui les peines, de la calomnie. Il est temps de regarder comme des ennemis publics ceux qui, ne cessant de tromper le peuple pour l'agiter,

« PreviousContinue »