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formelle aux principes généraux. Or, il arriva qu'espérant déguiser quelque chose à l'aide des mots, les légistes du comité de constitution érigèrent l'exception en principe. Aussi lorsqu'ils déclarèrent sententieusement que le droit de pétition appartient à tout individu et ne peut se déléguer, on leur répéta de partout, sur tous les tons et sous toutes les formes: puisque le peuple a pu déléguer le droit de lui imposer des lois, pourquoi ne pourrait-il de même déléguer le droit de faire, en son nom, le choix et la demande des moyens les plus propres à la prospérité com

mune.

La loi sur l'organisation du corps-législatif n'excita pas une grande verve de discussion. La motion de Robespierre lui attira d'universels applaudissemens. Brissot, examinant les discours des divers membres qui l'avaient combattu, dit ceci de Merlin:

M. Merlin a défendu la rééligibilité 1° parce que les membres actuels sont bien versés dans les finances, risum teneatis; 2o parce qu'ils sont plus intéressés à se tenir fermes contre le pouvoir exécutif, credat judæus. La question de la rééligibilité pour les membres de la législature suivante, décidée, comme le dit Brissot, par le mezzo termine de Barrère, valut encore à Robespierre des couronnes civiques. Écoutons Royou: Il faut rendre cette justice à M. Robespierre, il semble avoir expié tous ses écarts démagogiques par la manière ferme et noble dont il s'est montré dans cette discussion. Aucun intérêt secret, aucun esprit de parti, aucune considération particulière n'a pu ébranler ni affaiblir son zèle pour une cause qui lui paraissait intimement liée au bien public. Jamais il n'a parlé avec plus de force et d'éloquence, et ce que je regarde comme un véritable triomphe pour lui, c'est que sa constance et son courage dans une pareille occasion donnent lieu de croire qu'il est plus attaché à ses principes qu'à ses intérêts; que s'il est démagogue, c'est de bonne foi, et qu'il ne lui manque qu'une meilleure tête et un esprit plus juste pour être un excellent citoyen et même un bon législateur.» (L'Ami du roi, 21 mai.)

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-Les séances sur les colonies furent suivies avec beaucoup d'intérêt par les journalistes de toute opinion. Brissot, depuis long-temps sur cette brèche, nous a conservé des détails relatifs aux menées extraparlementaires. En voici les plus graves :` ‹ Il est des hommes qui se disent patriotes, parce que l'envie d'humilier la cour, qui les avait autrefois humiliés, les a jetés dans le parti patriote; il est des hommes qui font circuler les bruits lés plus atroces contre les défenseurs des hommes de couleur, bruits qu'ils n'osent ni articuler en face, ni signer. Il y a dans cette conduite une lâcheté qui doit les faire dévouer à jamais à l'ignominie.

C'est dans les deux journées d'hier et d'avant-hier (12 et 13 mai) qu'on a vu se déployer la tactique de ces partisans de la servitude des hommes de couleur. Ils avaient disposé dans tous les coins de la salle et dans les tribunes des hommes chargés d'applaudir, ou d'interrompre, ou de murmurer, ou dé criailler, au signal que les chefs de meute donneraient. Aussitôt qu'un des amis des principes se levait, la bande hurlait. Ces habiles tacticiens en intrigues ne se sont pas bornés là: ils ont fait pleuvoir de plates brochures ; ils ont envoyé des émissaires dans les groupes pour tromper les citoyens. Aussitôt que ces harangueurs trouvaient quelque homme éclairé qui les démasquait, ils filaient ailleurs. Aux honnêtes gens, mais ignorans, ils disent: Nous ne voulons que le bonheur des hommes de couleur. Aux aristocrates, ils disent: Aidez-nous, et le temps viendra où nous vous aiderons. Les défenseurs des colons n'ont cessé de varier dans leurs moyens. M. Barnave a répété dix fois qu'il n'y avait que cinq à six mille hommes de couleur dans les îles, et M. Moreau a été obligé de convenir qu'il y en avait plus de vingt-quatre mille à Saint-Domingue. Il est évident que M. Barnave en a imposé, ou est un ignorant; et voilà l'homme que des journalistes nous donnent pour un homme d'état! Quand des mots vides de sens seront des idées, quand du clinquant sera de l'or, M. Barnave pourra s'appeler un homme d'état. Lorsque M. l'abbé Sieyès le serrait de

près, M. Barnave a dit qu'il répondrait nettement, et il a balbutié pendant un quart d'heure. » (P. F. 14 mai.)

Le surlendemain, Brissot, rendant compte du décret, dit : « Ce décret a produit la satisfaction la plus vive dans l'assemblée et au dehors; car le peuple y prenait un grand intérêt. Tous les mulâtres ont été embrassés avec la cordialité la plus fraternelle. Il ne remplit pas certainement l'attente des patriotes rigides, il viole même le principe; mais il est un acheminement vers le retour aux principes; mais il prouve que l'assemblée y tient encore, et que le côté gauche va se rallier, se serrer fortement, pour finir la constitution d'une manière digne de lui. › (P. F. 16 mai.)

A l'occasion de cette loi, Gensonné, récemment élu membre du tribunal de cassation par le département de la Gironde, adressa une lettre à presque tous les journaux. Comme c'est la première apparition de ce futur conventionnel dans la presse périodique, nous citons cette lettre. J'apprends, Monsieur, qu'on a conçu des doutes sur l'opinion des citoyens de Bordeaux, quant à l'initiative que demandent les colonies, et au droit de citoyen actif que réclament les citoyens de couleur libres. Je vous atteste que, sur l'autre question, l'opinion des Bordelais est fortement prononcée : ils regardent comme une dérogation improposable à la déclaration des droits, de priver les citoyens de couleur libres des droits imprescriptibles que leur assure leur qualité de citoyen; l'initiative que réclament les colons leur paraît également contraire aux droits et à l'intérêt de la métropole. Cette opinion, à Bordeaux, ne peut être douteuse, et à l'exception d'un très-petit nombre de négocians, séduits par les caresses des colons, ou abusés sur les vrais intérêts du commerce, il n'est personne qui ne convienne de la nécessité où l'on est de reconnaître les droits des citoyens de couleur libres, et de ne pas donner aux colons un privilége funeste qui anéantirait bientôt toutes les relations commerciales que la métropole entretient avec eux, ou du moins qui livrerait à leurs caprices ou à leurs intérêts le sort de notre commerce. GENSONNÉ. ›

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-La discussion sur le code pénal, la question même de la

peine de mort, eurent peu de retentissement. Marat garde un profond silence. Fréron, qui depuis long-temps ne rendait plus compte des séances de l'assemblée, dit ce peu de mots : « Toute trahison contre l'État, ainsi que toute démarche hostile contre la France, tel est en substance le décret rendu hier (1o juin) par la constituante. Allons, paraissez, Lambesc, Condé, d'Artois; venez au plus vite; le bourreau vous attend. › (L'Orateur du peuple, t. 6, no XXXIII.) Brissot trouve la discussion souverainement intempestive. « Mais qu'importe, ajoute-t-il, à quelques orateurs pressés de briller? On veut faire des déclamations sur la peine de mort, sujet rebattu, où tout ce qu'il y a à dire a été dit et éloquemment dit. › (P. F. 51 mai.)

Presse. Deux articles de fond méritent d'être conservés parmi le petit nombre de ceux qui furent publiés par les journaux, en mai 1791. L'un est l'opinion de Condorcet sur les conventions nationales, prononcée au Cercle social; nous la transcrirons intégralement, ainsi que nous l'avons annoncé dans le précédent mois. L'autre est un article de Prudhomme, sur l'abolition de la royauté.

Discours de Condorcet. Les amis de la vérité sont ceux qui la cherchent, et non ceux qui se vantent de l'avoir trouvée. Réunis par les mêmes sentimens, vous n'avez pas eu la prétention tyrannique d'imposer aux esprits une formule de croyance. Sûrs de la pureté de vos intentions, vous n'avez pas eu l'orgueil de croire à l'infaillibilité de vos opinions. En invitant tous les hommes à -concourir au noble but de vos travaux, l'union générale du genre humain, sous la loi de la bienveillance mutuelle, sous l'empire de la liberté, vous ne leur avez point ordonné de n'y marcher que sous vos étendards. Ce même but que vous imposait la loi de vous occuper de ces vérités générales dans l'application successive, préparée par le temps, amenée par les événemens, doit assurer le bonheur de l'espèce humaine; par là, vous avez pu écarter de vous l'injustice et la petitesse qui caractérisent l'esprit de parti ou de secte ; et vous donnez au monde l'exemple nou

veau d'une société nombreuse, où l'enthousiasme n'a point d'orgueil, où le zèle n'a point d'intolérance.

› En jouissant du bonheur de vivre dans la France libre, vous vous êtes cru permis.de chercher les moyens de faire partager ce bonheur à tous les hommes, de le soustraire à la puissance du hasard, de le mettre à l'abri des passions, et de prévoir jusqu'où dans l'avenir il pourrait être permis d'étendre, de perfectionner la science de la liberté. Ce doit être encore un de vos principes, de ne regarder comme vraiment libres que les constitutions qui renferment en elles-mêmes un moyen de perfectionnement, qui peuvent, à chaque époque, se mettre au niveau des lumières, et n'ont pas besoin, pour se maintenir, d'opposer à la raison les préjugés de l'antiquité. Parmi ces moyens, le plus simple est la convocation ou périodique ou déterminée par le vou du peuple, d'une assemblée de représentans des citoyens élus par eux, pour examiner et réformer la constitution.

› Mais si cette assemblée est périodique, comment cette période doit-elle être fixée? Si elle peut être demandée par le vœu du peuple, comment doit-il exercer ce droit? Laquelle de ces formes doit-on préférer, ou faut-il les admettre toutes deux ? Doivent-elles alors exercer absolument la même autorité? Telles sont les questions que j'entreprends de traiter ici.

› Au moment où les hommes ont senti le besoin de vivre sous des règles communes et en ont eu la volonté, ils ont vu que ces règles ne pouvaient être l'expression d'une volonté unanime. Il fallait donc que tous consentissent à céder au vou de la pluralité, et la convention d'adopter ce vou comme s'il était conforme à la volonté, aux lumières de chacun, a dû être la première des lois sociales, a pu seule donner à toutes les autres le sceau de l'humanité. La nécessité de donner aux lois une stabilité qu'exige le maintien de la paix, et sans laquelle les individus. ne pourraient se livrer à des combinaisons de travaux et de projets qui ont besoin d'être garantis par la loi, cette nécessité a pu les déterminer à étendre leur consentement au vou de la majorité, jusqu'à lui donner une durée égale à celle de leur vie. Chaque homme

T. X.

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