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est corrupteur, que l'on devrait surveiller un Socrate dans le gouvernement. Jugez de la nécessité de surveiller nos corps administratifs. J'ai remarqué cinq pas dans le directoire de Paris. Le premier, sur la publicité, est inconstitutionnel; le second était lâche; le troisième était faux; le quatrième annonce doucement le despotisme; le cinquième l'affiche. (Le Patriote français, 10 mai.)

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La lettre de l'abbé Raynal à l'assemblée nationale, fut accueillie par un tolle général de la presse révolutionnaire. Desmoulins en est aux regrets de n'avoir pas publié en son temps une lettre de l'abbé Rives, dans laquelle était démasqué l'auteur de l'Histoire philosophique. Ce même abbé Rives lui écrit une nouvelle lettre à ce sujet. Nous y remarquons la phrase suivante. Thomas Raynal, par les fournitures qu'il a reçues de Diderot, s'est déclaré lui-même un citoyen insociable, en biffant le dogme de l'immortalité de l'âme, qui est le seul lien des sociétés policées. Parmi plusieurs notes dont Desmoulins a enrichi cette lettre, nous prenons une esquisse biographique de Raynal par Cloots. Raynal ne fut jamais philosophe, ni homme de génie. Ce n'est pas pourtant à cette friperie qu'il dut sa grande fortune; mais quand il ne pouvait vendre des nègres aux colons de Saint-Domingue, il faisait à Paris le commerce de la féminine denrée. (Nous savions bien que l'abbé Raynal avait fait longtemps le Mercure, mais non pas dans ce sens.) Quoique ces deux trafics de chair humaine, chacun très-lucratifs, pussent suffire à la cupidité d'un homme qui avait pris le manteau de la philosophie, il faisait un troisième métier, non moins honnête, celui d'espion de police. Un peu honteux de tant de bassesses, pour se rendre supportable à ses yeux, il se fit une superbe queue de paon, des plumes des Pechméja, des Diderot, Dubreuil, Naigeon et d'Holbach. Toutes les grandes tirades contre la superstition et le despotisme, qui ont fait la fortune de l'Histoire philosophique, et que l'on peut évaluer à quatre volumes, sont de Diderot. La fille de ce philosophe en possède le manuscrit, et doit l'insérer dans l'édition complète des œuvres de son père. Bien plus, Di

derot qui craignait que le père putatif ne lui contestât sa paternité, a pris la précaution de faire reconnaître à l'illustre Raynal par-devant notaire, la véritable filiation de cet ouvrage. › (Révolutions de France, etc., n° LXXX.)

Royou fait l'éloge de l'athée Raynal. Voici ses réflexions : ‹ M. l'abbé Raynal, écrivain trop hardi, mais bon citoyen et bon Français, n'a pu voir sans douleur l'affreuse situation de sa patrie. Il s'est reproché amèrement d'avoir fourni des armes à ses ennemis, et il a cru devoir expier l'imprudence de ses écrits par un hommage solennel rendu à la vérité. On dirait qu'il a fait un extrait dans les colonnes de l'Ami du roi. Le début foudroyant de sa lettre a répandu le trouble dans le camp des démagogues. Le lecteur aura dû remarquer cette exclamation naïve de Royou se reconnaissant lui-même. Mais ce qui seul suffirait à faire suspecter toutes les tirades religieuses du rédacteur de l'Ami du roi, ce qui est inexplicable de la part d'un vrai croyant, parlant d'un insigne matérialiste, ce sont les phrases suivantes : « Ces remontrances si touchantes, ces avis si lumineux, si pressans, du plus célèbre philosophe de la France, n'ont pu trouver que des cœurs endurcis. Cet illustre vieillard, dont les années ont augmenté l'expérience, tempéré l'imagination, sans affaiblir le génie; ce philosophe éloquent qui prouve par sa lettre même qu'il n'a rien perdu de la vigueur de sa raison et de son style, n'est, pour les factieux, qu'un radoteur, qu'un imbécille que l'âge a ramené vers l'enfance. › Si quelque chose peut excuser l'abbé Royou, c'est qu'il avait été professeur de rhétorique.

La loi sur le droit de pétition et d'affiche fut vivement controversée. Brissot la discute en une volumineuse lettre insérée par parties dans une suite de numéros du Patriote français. Nous nous contenterons de citer quelques passages de son analyse des séances. Lorsqu'on a lu le projet de décret sur le droit de pétition, lorsqu'on se rappelle que la déclaration des droits n'est pourtant pas une chimère, on ne conçoit pas qu'il existe des hommes assez dévergondés pour oser proposer à l'assemblée régénératrice de la France de fouler aux pieds les droits les

plus sacrés de l'homme. On assure que Mirabeau, avant sa mort, avait formé le projet d'enchaîner Paris par le département, et la France par Paris. Disposant à son gré du directoire et du comité de constitution, il aurait fait ici la loi, et présidé là à l'exécution. Cette idée acquiert une grande vraisemblance, quand on observe la conduite du directoire de département, la coalition qui s'est formée entre ces deux sociétés, les adresses insidieuses de l'un, et les projets abominables de l'autre. >

› Un décret sur le droit de pétition! ne faut-il pas être bien écolier, ou profondément tyran, pour en imaginer un! Un décret en dix-huit articles, pour une chose aussi simple, pour régler un droit que l'homme tient de la nature! Mais les valets du despotisme savent bien que multiplier les lois, c'est le secret de ressusciter le despotisme. Et voilà pourquoi ils empilent décret sur décret, volume sur volume.» (Le Patriote français, 10 mai).

Les Révolutions de Paris émettent aussi sur ce sujet de longues observations, L'auteur de l'article épuise la série des objections qui ont été faites par les orateurs de l'assemblée. Il y ajoute celleci Ce décret renferme d'ailleurs une contradiction manifeste avec les décrets rendus précédemment on a permis constitutionnellement aux corps administratifs, municipaux et judiciaires, de présenter des mémoires au corps-législatif. Or, ces mémoires ne sont-ils pas de véritables pétitions. Le projet sur lequel lè còmité lui-même vient de faire une loi, n'avait-il pas été présenté par le directoire du département de Paris, sous le titre de pétition.› Il termine ainsi : Imitons, il en est temps, la fermeté de ces fiers insulaires, nos précurseurs et nos maîtres en liberté. Ne les a-t-on pas vus, sous Richard II, condamner le comte de Suffolk, chancelier du royaume, le duc d'Irlande, l'archevêque d'Yorck, et un grand nombre de juges pour avoir pris des mesures qui tendaient à renverser la liberté publique; et quelles étaient-elles? Les mêmes, citoyens! les mêmes qu'on emploie aujourd'hui contre nous. Les chevaliers Robert Belknap et Robert Trésilian avaient voulu faire passer des propositions attentatoires au droit qu'avaient les citoyens d'entamer tous les sujets de débats,

de les discuter librement et sans le consentement du banc du roi. Le projet était de les empêcher de délibérer sur aucune matière, hors celle qu'on limiterait. (Histoire du parlement d'Angleterre, t. 2.) Qu'arriva-t-il? Le peuple, frappé de pareilles dispositions et idolâtre de ses droits, reprit une contenance ferme, et poursuivit tous ceux qui avaient trempé dans le complot contre la liberté des opinions. Ils furent convaincus du crime de haute-trahison. Robert Trésilian et plusieurs avec lui furent pendus. Les autres, à la prière des évêques, furent condamnés au bannissement perpétuel. Citoyens! à l'application; les circonstances sont les mêmes et vous connaissez les coupables.» (Révolutions de Paris, no XCVI.).

Desmoulins attaque principalement Chapelier sur sa définition du droit de pétition essentiellement individuel et essentiellement indéléguable. Y a-t-il un sophisme plus puéril? Jusqu'à présent on avait conclu de ce qu'une chose appartenait à chacun, qu'elle appartenait à tous, et M. Chapelier conclut au contraire que le droit de pétition n'appartient pas à tous, parce qu'il appartient à chacun. De ce que le droit de défense personne le est un droit individuel, donc tous ne peuvent se réunir en corps d'armée pour en imposer davantage à l'ennemi. C'est pourtant ce que prétend Chapelier. Misérable ergoteur! oh! quand viendra la seconde législature! Infàme comité de constitution! coupe-gorge de la constitution! poursuis! j'espère que l'excès du mal apportera le remède, et qu'il se trouvera quelque orateur puissant en œuvres et en paroles, quelque génie de la trempe de Mirabeau, qui ouvrira la première session de la seconde assemblée nationale, par ces mots : Nous sommes aujourd'hui ce que nous étions hier; je demande qu'on casse tous les actes de César. › (Révolutions de France, etc., no LXXVII.)

Chacun, comme on le voit, produisait son attaque conformément à ses doctrines et à ses habitudes polémiques. Brissot s'appuyait surtout du droit naturel; Prudhomme se plaçait sur le terrain de l'érudition législative et sur celui de l'histo re; Desmoulins argumentait en aristotélicien. Voici Marat qui prend la

question du point de vue social: « Dire que le droit de pétition est individuel et qu'il ne peut se déléguer, c'est avancer à la fois cent absurdités, c'est déclarer que des sociétés d'ouvriers, d'artistes, de marchands, de savans, etc., ne peuvent avoir aucune branche commune d'industrie à faire valoir, aucun intérêt commun à défendre, aucun tort commun à faire réparer. C'est prétendre qu'un homme de loi, un homme instruit, un homme courageux, ne peut être chargé légalement de la poursuite de leurs griefs, de leurs intérêts ou de leurs avantages. C'est prétendre que les abus, les malversations, les vexations, les prévarications, les concussions, les brigandages, les conjurations, les trahisons, les conspirations, en un mot, toutes les machinations faites contre la chose publique par les agens du peuple, n'attaquent qu'un individu, qu'elles n'intéressent que des particuliers isolés, et qu'elles ne peuvent concerner les citoyens assemblés, les membres réunis de l'empire. De pareilles absurdités suffiraient pour prouver que l'assemblée qui a rendu le décret est en démence, si elles ne prouvaient qu'elle n'a déraisonné de la sorte que pour couvrir ses noirs attentats.

› Le décret sur le droit de pétition est le plus affreux attentat contre les droits de la nation; par cela seul, il est nul, de toute nullité. Peut-être les sections de la capitale sont-elles trop gangrénées pour protester contre ce coup d'autorité; mais les sociétés fraternelles ne sont pas assez lâches pour abandonner la chose publique. Le seul moyen de la sauver est de s'assembler sans délai, de se réunir toutes ensemble, et d'afficher en leur nom collectif une protestation vigoureuse qu'elles enverront à toutes les sociétés patriotiques du royaume, en les pressant de donner à la France le même exemple d'énergie et de civisme. (L'Ami

du peuple, no XDLVIII.)

Cette loi destinée à ôter tout moyen d'initiative aux sections et aux clubs, et à immobiliser la France dans la constitution, avait été conçue et hâtée sous l'influence des derniers actes révo lutionnaires du club des Cordeliers. C'était une loi d'exception dont les articles devaient être par cela même une contradiction

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