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soit formellement reconnu appartenir à tous les citoyens sans distinction. La pétition, la demande, la requête, la plainte, voilà bien quatre mots; mais M. le Chapelier, ni personne, ne nous a prouvé la distinction qui existe entre eux; et encore moins que l'un doit être appliqué aux seuls citoyens actifs, et les autres aux citoyens non actifs. Est-ce ainsi que l'on élude les réclamations des membres de cette assemblée? Je dis que le comité de constitution n'a pas le droit de faire échouer en quelque sorte les délibérations de l'assemblée, en disant d'abord que l'article qu'on propose renferme notre vœu ; et ensuite que, cependant, on est d'un avis contraire. (On demande à aller aux voix.) Je prie qu'on veuille bien m'écouter jusqu'au bout. Si le droit de pétition, comme M. le Chapelier vient de l'avouer, n'est pas un droit politique....

M. le Chapelier. Ne me faites pas dire une absurdité.

M. Robespierre. Je dis que bien loin que le droit de pétition soit un droit collectif.... (M. le Chapelier interrompt. M. le président le rappelle à l'ordre.) Il est évident que le droit de pétition n'est autre chose que le droit d'émettre son vœu; que ce n'est donc pas un droit politique, mais le droit de tout être pensant. Bien loin d'être, comme on vous l'a dit, l'exercice de la souveraineté, de devoir être exclusivement attribué à tous les citoyens actifs, le droit de pétition au contraire suppose l'absence de l'activité, l'infériorité, la dépendance. Celui qui a l'autorité en main ordonne; celui qui est dans l'inactivité, dans la dépendance, adresse des voeux. La pétition n'est donc point l'exercice d'un droit politique, c'est l'acte de tout homme qui a des be soins. (Les tribunes applaudissent.) Or, je demande si cette faculté peut être contestée à qui que ce soit.... (On entend quelqués rumeurs.-M. Martineau observe que la discussion est fermée.) Je demande à M. le président, une fois pour toutes, que l'on ne m'insulte pas continuellement autour de moi, lorsque je défends les droits les plus sacrés des citoyens....

M. le président (Dandré). Je demande si je ne préside pas bien, et si je ne fais pas tous mes efforts.....

Une voix de la gauche. Non.

M. le président. Je demande que la personne qui a dit non se

nomme, et prouve.

M. Laborde. J'ai dit non, parce que je m'aperçois que vous ne mettez pas le même soin à obtenir du silence pour M. Robespierre, que vous en mettiez lorsque MM. Baumetz et Chapelier ont parlé,

M. le président. On doit se rappeler que pendant tout le temps que M. Robespierre a parlé, je n'ai cessé de faire aller ma sonnette, et de fatiguer mes poumons; j'ai rappelé à l'ordre nominativement M. le Chapelier qui l'interrompait.

M. Robespierre. Le droit de pétition doit surtout être assuré dans toute son intégrité à la classe des citoyens la plus pauvre et la plus faible. Plus on est faible, plus on a besoin de l'autorité protectrice des mandataires du peuple. Ainsi, loin de diminuer l'exercice de cette faculté pour l'homme indigent, en y mettant des entraves, il faudrait le faciliter; et l'on veut au contraire, sous le prétexte de droit politique, le priver entièrement.... (On murmure.)

M. le président. Ecoutez M. Robespierre avec le plus grand silence.

M. Martineau. Mais la discussion est fermée.

M. le président. N'interrompez pas l'opinant.

M. Robespierre. Je vous assure que s'il était question ici de soutenir une opinion qui pût m'être favorable, je me garderais bien d'affronter tant de contradictions; mais je soutiens les droits d'un grand nombre de mes commettans. Je dis que toutes les distinctions qu'on vous a faites entre le droit de pétition, le droit de plainte, etc., sont injurieuses à l'humanité. Il faut que le comité de constitution s'explique, ou plutôt qu'il ne s'explique pas; il faut que l'assemblée fasse droit à nos justes réclamations, qu'elle rende un décret qui n'élude point insidieusement la question, mais qui déclare franchement et formellement les droits de l'humanité. Et puisque je ne demande autre chose qu'une explication claire, qui ne donne lieu à aucune équivoque dangereuse

qui tendrait à priver un jour les citoyens inactifs de leurs droits; puisqu'il est vrai que le droit de pétition n'est pas un droit politique, mais le droit de l'homme, on ne peut refuser de mettre dans le décret que ce droit peut être exercé par tout citoyen sans distinction. C'est à quoi je conclus.

M. l'abbé Maury. Je viens défendre l'opinion de M. Robespierre. (Plusieurs voix: La discussion est fermée.) Je viens réclamer, pour tout citoyen qui a une volonté légale, qui est majeur, le droit de pétition ; je le réclame pour les corps administratifs, et je soutiens que la doctrine du comité de constitution est contraire à tous les principes de la justice, à toutes les notions politiques. (On murmure et on applaudit.)

M. le président. Malgré tout ce que vous venez de dire, on demande que la discussion soit fermée. (Plusieurs voix de la gauche: Non.) Des oui et des non ne sont pas la volonté de l'assemblée : je dois la consulter.

La délibération paraît douteuse.

M. l'abbé Maury. Dans le doute, je dois avoir la parole. Il faut que je sois au moins une fois applaudi des tribunes: cela ne m'arrive pas souvent.

La discussion est fermée, et l'article de M. Baumetz, amendé par M. Regnaud, est décrété en ces termes, à la place des sept premiers articles du projet du comité de constitution,

Art. Ier. Le droit de pétition appartient à tout individu, et ne peut être délégué; en conséquence, il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps électoraux, administratifs, judiciaires, municipaux, par communes, sections de communes, ni par des sociétés de citoyens. Tout pétitionnaire signera sa pétition; s'il ne le peut ou ne le fait, il en sera fait mention nominativement.

M. le Chapelier fait lecture de l'article II portant que les citoyens qui voudront faire des pétitions ne pourront se réunir en assemblées de communes; que les assemblées de communes ou sections de communes ne pourront être ordonnées, provoquées

ou autorisées que pour des objets d'administration purement municipale.

M. Buzot. Je demande quels sont les motifs de cet article.

M. le Chapelier. C'est à chaque individu qu'appartient le droit de pétition, et il ne peut être exercé collectivement. Jamais les individus ne doivent se coaliser pour faire des pétitions. Tout citoyen qui veut former une pétition cesse de faire partie de tout corps particulier pour rentrer dans le corps social; il signe sa pétition en son nom particulier, et la fait signer par ceux qui la forment avec lui. C'est pour cela que les assemblées de communes ne doivent avoir lieu que pour des objets d'intérêt municipal.

M. Buzot. Je vois bien par cet article que certaines personnes qui exercent des pouvoirs délégués par le peuple ont grande peur à présent que le peuple n'exerce un droit qui leur serait incommode. Je pourrais même tirer de la délibération actuelle un motif de désir qu'il pût se faire à l'avenir qu'aucun administrateur, aucun fonctionnaire public ne participât à de pareilles délibérations.... Les communes sont autorisées, sans doute, à s'assembler pour délibérer sur leurs affaires municipales; mais suit-il de là que les citoyens d'une commune ne puissent, avec l'autorisation des corps administratifs, s'assembler, non pas pour délibérer sur les affaires publiques, mais pour discuter, pour s'éclairer, pour penser à ce qui les environne. Je suppose, par exemple, que dans une ville frontière la commune voie avec peine un rassemblement de troupes, pourquoi ne pourrait-elle pas se rassembler pour faire une pétition, pour exprimer au corps-législatif et àu roi ses inquiétudes? Vous dites que nulle pétition ne doit être faite en nom collectif: eh bien ! qu'est-ce qui empêche que la pétition ne soit individuellement signée par tous ceux qui y adhéreront? Mais pour que ce droit de pétition soit utilement exercé, ne faut-il pas que les citoyens puissent s'éclairer mutuellement, se communiquer mutuellement leurs pensées? N'est-il pas infiniment plus convenable qu'ils s'assemblent dans les salles de la commune, ou dans leurs sections, sous l'inspec

tion de la police, et même de la force publique si cela est nécessaire, que s'ils s'assemblaient au hasard dans des lieux particuliers?... Je demande la question préalable sur l'article.

L'assemblée décide qu'il y a lieu à délibérer.

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L'article est adopté en ces termes :

Art. II. Les citoyens qui voudront exercer le droit de pétition déclaré ci-dessus, ne pourront se former en assemblée de commune par communautés entières ou par sections. Les assemblées de commune ne peuvent être ordonnées, provoquées et autorisées que pour les objets d'administration purement municipale, qui regardent les intérêts propres de la commune. Toutes convocations et délibérations des communes et des sections sur d'autres objets sont nulles et inconstitutionnelles. >

M. Chapelier fait lecture de l'article III, ainsi conçu :

Art. III. Dans la ville de Paris comme dans toutes les autres villes et municipalités du royaume, les citoyens actifs qui, en se conformant aux règles prescrites par les lois, demanderont le rassemblement de la commune ou de leur section, seront tenus de former leur demande par un écrit signé d'eux, et dans lequel sera déterminé, d'une manière précise, l'objet d'intérêt municipal qu'ils veulent soumettre à la délibération de la commune ou de leur section, et à défaut de cet écrit, le corps municipal ou le président d'une section ne pourront convoquer la section ou la commune. >

M. Robespierre. Je vois par cet article qu'on rend les officiers municipaux juges absolus et arbitraires des assemblées de communes; on leur donne le droit d'éluder sous les moindres prétextes les demandes des citoyens. Non-seulement on met des entraves aux convocations des communes, mais à l'émission même du vœu des citoyens. On donne aux municipalités la faculté de rejeter les plus justes réclamations par une fin de non-recevoir : car elles pourront toujours dire : cet objet n'est pas l'objet précis de la convocation. C'est ainsi qu'on parvient à anéantir insensiblement les droits des citoyens, à leur ôter toute influence, à les mettre dans la dépendance de leurs délégués, et sous le depotisme des

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