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« Le danger de la patrie, s'écria-t-il, réside dans votre faiblesse; il n'y a de partis dans la France que parce qu'il n'y a pas ici de majorité bien prononcée, et qu'il est des membres qui n'ont pas le courage d'avoir une opinion. Je dis que ceux qui n'ont pu regarder en face un soldat factieux, ne sont pas faits pour s'occuper des grands intérêts de la nation. Je dis que ceux qui ont tremblé devant un général qui prétend avoir une armée à ses ordres, n'oseront aborder le trône où réside le centre de toutes les conspirations. Je dis que ceux qui ont donné une telle preuve de faiblesse, sont incapables de sauver la patrie. » Aussi n'est-ce pas ceux-là qui l'ont sauvée. Choudieu avait mis le doigt sur la plaie qui dévorait l'assemblée, et il avait ainsi expliqué l'énigme de l'absolution de Lafayette.

Ce nouveau triomphe obtenu par Lafayette à l'Assemblée Législative, au lieu de lui faire sentir à quels périls il avait échappé, et de lui faire désirer d'effacer par des victoires et une conduite désormais franche et énergique tout ce qu'il avait montré, jusqu'alors de faiblesse et d'indécision,

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fit des réflexions très-justes sur la responsabilité dont on voulait le charger et sur l'affectation avec laquelle on le distinguait toujours de la municipalité. Il prouva qu'il n'était point complice de l'égarement de quelques individus contre lesquels il voulait au contraire tourner toutes les forces mises en ses mains. (Note de Brissot.)

ne fit que l'aveugler davantage sur le véritable esprit de la France et même de son armée. Parce que ses amis l'avaient sauvé le 8 août, il crut qu'ils étaient capables de sauver cette monarchie ébranlée par lui et par eux-mêmes jusqu'en ses fondemens; méconnaissant les nouveaux décrets proclamés après l'événement du 10 août, il alla jusqu'à violer la représentation nationale, et se mit en révolte ouverte contre une nation qui n'avait pourtant fait que regarder l'insurrection comme le plus saint des devoirs. On sait quelle fut sa conduite à Sedan, et ce qui s'ensuivit *.

* Lafayette, qui avait protesté contre la révolution du 10 août, ne trouva pour le seconder que le département des Ardennes. Les commissaires du parti vainqueur furent arrêtés à Sédan par ordre du conseil municipal, qui, de même que ce général, s'obstina à ne point reconnaître la violation des lois jurées. On sait avec quel dévouement ils persistèrent dans une opposition de plus en plus désespérée. De soixante et quinze départemens qui avaient adhéré à sa lettre du 16 juin, il ne restait à Lafayette que celui des Ardennes. Tous les moyens furent employés pour lui enlever l'appui du corps qui l'entourait; et, neuf jours après le renversement du trône, il s'était retiré en pays neutre. Les membres de la municipalité de Sedan, qui avaient montré une si déplorable énergie, et qui votèrent contre la déposition du roi, furent traînés à Paris et immolés par la faction triomphante. Dans le même temps, leurs concitoyens combattaient les Autrichiens près de Bouillon et mouraient courageusement pour la patrie.

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CHAPITRE XVII.

Fuite de Lafayette. Il est prisonnier de guerre.-Calomnie du journal de Francfort.-Monsieur et Madame Roederer. Leur opinion sur Lafayette. Celle du ministre Servan.-Déclaration du général fugitif et de ses compagnons. Exemple contagieux. Lettre à l'Assemblée de l'ex-constituant Richelieu-d'Aiguillon.Adieux de ce maréchal-de-camp à ses troupes. Les Fayettistes en suspicion.— Madame Lafayette retenue en ôtage. Lettre de cette dame à Brissot.-Réponse de Roland. Nouvelle lettre de Madame Lafayette.— Attaques de Camille Desmoulins contre Brissot.-Réponse de ce dernier. Devoirs d'un journaliste patriote.Charles Lameth achète des esclaves. Quelques mots sur Mirabeau, etc..

Lafayette ayant fait arrêter les trois commissaires du Corps-Législatif, se vit bientôt abandonné de ses soldats. Il prit alors le parti de s'expatrier avec un petit nombre d'amis qui s'étaient associés à sa fortune. Son espoir était de traverser les postes ennemis et de gagner le territoire de la république Batave; mais il ne put réaliser ce projet, et fut arrêté dès ses premiers pas; on le traita comme prisonnier de guerre; en France,

on le déclara traître, déserteur, émigré, etc. On l'accusa d'avoir emporté avec lui le trésor de l'armée. Le journal de Francfort, et d'après cette feuille, la Gazette Nationale annoncèrent qu'on avait trouvé dans son coffre 37,000 louis. Certes, il y avait de graves reproches à faire à Lafayette, mais il était absurde de suspecter sa probité. La défection du général jeta une grande confusion dans les idées des patriotes; désormais ils ne savaient plus à qui se fier, et les hommes mal-intentionnés profitaient de cette disposition pour prodiguer les soupçons. On n'a pas oublié leurs insinuations contre Roederer; madame Roederer se crut obligée de le justifier: à peine arrivé à Paris, monsieur, écrivit-elle le 23 août 1792 à Servan, premier ministre de la guerre, vous ignorez, sans doute, que mon mari est devenu l'objet des traits de la calomnie la plus noire. Le patriote le plus zélé, le plus pur, le plus sévère a été dénoncé comme le lâche complaisant des trahisons de la Cour. Le mémoire que je vous envoie présente sa justification sur les faits qui ont servi de fondement à cette dénonciation. On m'apprend qu'un voyage qu'il a fait à l'armée de Lafayette, donne beaucoup de crédit aux imputations de ses ennemis. Je me rappelle, en effet, qu'il s'est rendu, il y a quelques mois, au camp de M. Lafayette, accompagné de M. Achille Duchâtelet; mais je sais aussi que l'objet de ce voyage était de chercher à convaincre M. Lafayette que son rôle

était de battre et non d'intriguer; et c'est vous,' monsieur, qui l'aviez chargé de cette mission. Comme elle est un témoignage honorable de votre confiance, et qu'un pareil témoignage ne peut être indifférent, j'ose vous prier de vouloir m'autoriser à m'en prévaloir contre les ennemis de mon mari. » P. S. Je vous demande de plus, monsieur, de vouloir bien faire connaître les impressions que mon mari a rapportées de son entrevue avec M. Lafayette; il vous aura sans doute parlé de l'esprit de faction qu'il a remarqué dans ce général, et de l'improbation qu'il en a témoignée à ses amis ainsi qu'au général lui-même. »

Servan répondit qu'il devait vérité et justice à M. Roederer, et qu'il s'empressait de la lui rendre. « Pénétré, ajoutait-il, du grand avantage qui pouvait résulter de la bonne intelligence entre les généraux et les ministres, dans un moment où je désirais que nos affaires pussent marcher; je m'adressai à M. Roederer pour le prier de vouloir bien aller jusque sur Lafayette, que je croyais être de tous les généraux le plus opposé à la franche liberté qui nous était si nécessaire; je l'engageai à se transporter au camp de Givet, pour aller faire part à M. Lafayette de ma résolution de marcher loyalement, mais vivement vers tous les moyens de repousser l'ennemi, et lui demander de ne plus me communiquer ses idées des intermédiaires. M. Roederer partit avec M. Duchâtelet, s'acquitta de sa

par

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