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CHAPITRE XV.

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Le roi affronte l'opinion publique. Il veut partir pour Saint-Cloud. Le peuple s'y oppose. - Désobéissance de la garde nationale. - Démission de Lafayette. - Violences contre la reine. Ce que Lafayette dit à Brissot. -Adresse du directoire du département. Proposition de Garnier. Chabroud. Cazalès. Roederer. Fautes de l'Assemblée Nationale. Lettre d'un patriote. Opinion sur Lafayette. Manoeuvres des aristocrates et du club monarchique. Manifeste de Dubois de Crancé. Triomphe de Lafayette. Inutilité des serInconvenance du discours prononcé par le gé

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mens.

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néral, à la municipalité. - Théorie de l'obéissance des citoyens armés. - Inconvénient de séparer l'ordre de la liberté. Le bon sens du peuple. Les enragés, les patriotes, les modérés.

-

Le roi, comme pour braver l'opinion publique et insulter aux décrets de l'Assemblée Nationale, ne s'entoure que de prêtres non assermentés, communie près de l'un d'entre eux, et, comme pour essayer sa liberté et se préparer au plus long voyage de Varennes, il fait annoncer son départ pour Saint-Cloud. Il veut partir. Le peuple l'arrête; malgré leur commandant, les gardes nationaux, comprenant enfin leur devoir, protégent

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le peuple au lieu de protéger le départ du roi. Lafayette, irrité de ce qu'il appelle la désobéissance de la garde nationale, donne sa démission deux jours après, c'est-à-dire, le 21 avril.

Je le vis le 22. Il me conta les particularités de l'arrestation du roi, et de la séance du département. Quand la voiture du roi fut arrêtée, Lafayette harangua d'abord le peuple et les gardes nationaux sur le respect dû à la loi. Ils lui répondirent que, s'il y avait une loi semblable, elle était mauvaise, et qu'ils ne lui obéiraient pas. Alors il leur rappel. le décret de l'Assemblée Nationale qui permettait au roi de s'éloigner jusqu'à vingt lieues de la capitale. « Pas dans ces circonstances, s'écria un orateur.—Veto, répliqua un autre en s'adressant au roi. Sire, ajouta-t-il, pour votre santé et pour la nôtre, il faut rester. >> Lafayette jura hautement que le roi partirait. Deux grenadiers, en lui présentant la baïonnette, répondirent : « Non, f....., il ne partira pas. » Charton, membre du département, a déposé qu'il avait vu un chasseur mettre en joue le général. Les gardes nationaux commençaient à s'indisposer.

Lafayette s'avança vers le roi; ce fut là qu'il entendit les propos les plus violens, surtout contre la reine. Un grenadier soldé la traita en face de f..... b........; un autre appela le roi gros c.....; un troisième disait, en montrant le Dauphin : « Autrefois, quand ce bambin

là se promenait, on lui disait : Voilà tes sujets, tes soldats.... On t'en donnera, maintenant! » Soit rage, soit douleur, la reine était en larmes.

Lafayette me dit qu'étant venu au Département, il demanda un ordre du Directoire pour faire exécuter la loi par tous les moyens. (Camille Desmoulins prétend qu'il demanda la loi martiale. Garnier et ses pareils étaient prêts à la lui accorder. Mais Danton était là; Sieyes et Talleyrand y étaient aussi. Camille Desmoulins montre Lafayette, Bailly et Garnier terrassés par l'éloquence victorieuse de Danton, le réquisitoire de Lafayette rejeté, Lafayette offrant sa démission, et Danton s'écriant qu'il n'appartenait qu'à un lâche de déserter son poste dans le péril; qu'au surplus ce n'était pas le Département qui avait nommé Lafayette, et qu'il devait porter sa démission aux quarante-huit sections qui l'avaient fait général.) Lafayette, en quittant le Département, revint vers la garde nationale, la harangua de nouveau, pria, ordonna et ne put rien obtenir. On lui répondit qu'on se moquait de lui, du Département et des écharpés. Il fallut, après deux heures d'attente, que le roi se décidât à rentrer au château.

De retour au milieu du Directoire, Lafayette engage ses membres à prendre une mesure vigoureuse et à aller à l'Assemblée Nationale demander un décret. On lui promet tout; mais tout change en un clin-d'œil.

Le Département s'avise de convoquer les quarante-huit sections et leur pose cette question: <«< Faut-il, dans les circonstances présentes, prier le roi d'exécuter son premier projet, qui était d'aller à Saint-Cloud, ou le remercier d'avoir préféré de rester pour ne pas exposer la tranquillité publique? » Question posée d'une manière absurde, ridicule; mais on fait en même temps la fameuse adresse au roi, adresse vigoureuse, simple, énergique, laconique, qui va droit au fait, et la première qui ait été écrite dans le style d'un peuple libre.

<< Sire,

>> Le Directoire du Département de Paris a rendu compte, à une assemblée extraordinaire de tous les membres du Département, de l'état actuel de la capitale. Le Département n'en a point été effrayé, parce qu'il connait l'attachement du peuple à la personne du roi, et qu'il sait que le roi a juré fidélité à la constitution. Mais, Sire, la confiance que le peuple a dans votre personne peut-elle résister long-temps aux impressions que des hommes pressés de jouir de la liberté reçoivent de tout ce qui est auprès de vous? Les ennemis de la liberté ont craint votre patriotisme, et il se sont dit : nous alarmerons sa conscience; cachant sous un voile saint leur orgueil humilié, ils versent sur la religion des larmes hypocrites. Ce sont là, Sire, les hommes

dont vous êtes entouré. On voit avec peine que vous favorisez les réfractaires, que vous n'êtes servi que presque par des ennemis de la Constitution, et l'on craint que ces préférences trop manifestes n'indiquent les véritables dispositions de votre coeur. Sire, par une démarche franche, éloignez de vous les ennemis de la Constitution; annoncez aux nations étrangères qu'il s'est fait une glorieuse révolution en France, que vous l'avez adoptée, que vous êtes maintenant le roi d'un peuple libre, et chargez de cette instruction d'un nouveau genre des ministres qui ne soient pas indignes d'une si auguste fonction. Que la nation apprenne que son roi s'est choisi, pour environner sa personne, les plus fermes appuis de la liberté; car aujourd'hui il n'est pas d'autres véritables et utiles amis du roi. Sire, ne repoussez pas la démarche que fait auprès de vous le Département de Paris. Le conseil qu'il vous offre vous serait donné par les quatrevingt-trois Départemens du royaume, si tous étaient à portée de se faire entendre aussi promptement que nous. Le 18 avril 1791.

>>

Signé LA ROCHEFOUCAULT, président. » Signé BLONDEL, secrétaire. »

Cette adresse, répandue à propos, dans laquelle on donnait vingt soufflets au roi, dans laquelle on le menaçait du conseil des quatre-vingt-trois départemens du royaume, avait été combattue

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