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En répondant à tous les avocats de la plus mauvaise cause, en demandant solennellement comme je l'ai fait, le décret d'accusation contre Lafayette, j'avais cru devoir expier l'erreur d'avoir si long-temps aimé et estimé cet homme dont la conduite m'avait été et devait plus d'une fois encore m'être imputée à crime. L'Assemblée, frappée des argumens par lesquels j'avais principalement réfuté Dumolard et Vaublanc (car le plaidoyer de celui-ci n'était, à quelques déclamations près, qu'une seconde édition des moyens présentés par le premier), ordonna l'impression de mon discours, et ferma la discussion sur la demande même du côté droit, dont les mesures étaient parfaitement prises, et la partie très-bien liée.

Les secrétaires *, qui probablement étaient

beau, du maréchal de Broglie et du général Lafayette. Après la révolution du 10 août, ses connaissances dans l'art militaire avaient fait respecter sa tête par le comité de salut public, qui l'employa au ministère de la guerre et lui donna la direction du dépôt des plans de campagne, poste qu'il occupa jusqu'au moment où il fut appelé au Conseil des Anciens. C'est le général Mathieu Dumas qui proposa, au nom du gouvernement consulaire, la création de l'ordre de la Légion-d'Honneur.

* Il faut en excepter Lecointre. (Note de Brissot.) Lecointre,de Versailles,député à l'Assemblée-Législative, le fut aussi à la Convention, où il vota la mort de Louis XVI et provoqua la condamnation de Marie-Antoinette.

dans le secret, se réunirent pour recueillir les voix. Le projet de décret d'accusation mis en délibération par assis et levé, est rejeté. Merlet, qui présidait et qui craignait sans doute le soulèvement de l'opinion publique, à la suite d'un pareil bill d'indemnité, lève aussitôt la séance. On le force de rester; on provoque l'appel nominal. Les amis de Lafayette qui n'osaient, apparemment, se montrer à découvert, et qui ne s'étaient pas comptés, combattent l'appel nominal; il s'effectue enfin malgré eux; et, à leur grand étonnement, peut-être, Lafayette fut absous à une majorité de plus de deux cents voix.

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CHAPITRE XIV.

Lafayette désigné pour commandant-général par Moreaude-Saint-Méry. Ce dernier rassemble des matériaux Il trafique de ses sem

pour un code de l'esclavage.

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blables. - Vend une mulâtre au mépris des lois.—Autrefois, amis des noirs. Il se défend d'avoir demandé leur affranchissement. Délire de cruauté.—L'Assemblée Nationale refuse une statue à Mably. — Caractéristique de cet écrivain. Méchanceté des folliculaires à son égard. Encore Joseph Garat. Sa définition d'un grand homme. Bernardin de Saint-Pierre. - Appréciation de ce prosateur. Ses sentimens politiques.Pourquoi il s'est tenu éloigné de nos assemblées délibérantes. - Il réclame l'égalité et la liberté pour tous. -Il prend le parti des noirs. —Lettre de Brissot à James Philips. Lafayette concourt au décret en faveur des hommes de couleur. Accusation portée contre lui par Duval Despresménil.- Démenti par M. Henry, frère de Henry Richeprey. -Essai d'affranchissement graduel à la Guyanne française.-Lettre de Sonthonax sur SaintDomingue.

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Les électeurs de Paris, en 1789, étaient incertains sur le choix d'un commandant-général; Moreau de Saint-Méry leur montra le buste de Lafayette, et Lafayette fut nommé. Il était natuque celui qui devait trahir la cause des pa

rel

triotes fut désigné à leurs suffrages par le magistrat vénal dont les veilles avaient été employées à rassembler les lois éparses où était consacré depuis si long-temps l'esclavage des hommes de couleur, et à les réunir en un seul faisceau, afin de rendre ainsi plus redoutables les armes dirigées contre ces malheureux; on sait que joignant avec une singulière audace l'exemple aux préceptes qu'il s'efforçait d'établir, il osa exercer dans Paris ce droit affreux que les colons, contre tout sentiment d'humanité, s'arrogeaient sur leurs esclaves; et qu'il ne rougit pas de trafiquer de ses semblables*.

*Moreau-de-Saint-Méry fut reçu très-jeune avocat au parlement de Paris: bientôt après il fut nommé membre du conseil-supérieur de Saint-Domingue; ce fut pendant l'exercice de ses fonctions qu'il s'occupa de rassembler en corps les lois incohérentes qui régissaient les Colonies. Cette compilation attira sur lui les regards du gouvernement, qui l'appela à Paris. Il y devint, en 1789, président des électeurs, et fut député de la Martinique, sa patrie, à l'Assemblée-Constituante. En 1793 il se réfugia avec sa femme et ses enfans aux États-Unis, où la nécessité le contraignit d'être tour-à-tour commis-marchand, imprimeur, libraire. Rentré en France sous le consulat, il fit partie du Conseild'État. Nommé administrateur général des états de Parme, Plaisance et Guastalla, il encourut alors la disgrâce de l'Empereur par la faiblesse qu'il fit paraître dans ce poste important. Jamais il ne put recouvrer la faveur de Napoléon, à qui il dit un jour : « Sire, je ne vous demande point de récompenser ma probité, je demande seulement qu'elle

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Cette action infâme me fut révélée par Ogé le jeune, malheureux comme son frère et mort comme lui sur la roue*. On ne lira pas sans indignation la lettre qu'il m'écrivit quelque temps avant son supplice.

Paris, 12 avril 1790.

<< Je vous dénonce, Monsieur, un fait qui vous révoltera, vous qui défendez la cause des noirs, et qui révoltera, sans doute, tous les bons patriotes et les hommes éclairés. M. Moreau de Saint-Méry a vendu, ces jours derniers, à M. le chevalier de Rodouin, une mulâtresse qui vit depuis deux ans et demi à Paris. Cette vente, contraire à tous les réglemens qui prohibaient en France ce trafic infàme, avant même la restauration de la liberté, vous paraîtra,

sans

soit tolérée; ne craignez rien, cette maladie n'est pas contagieuse, la reconnaissance est la fleur des tombeaux. »

Moreau-de-Saint-Méry était membre de la société d'agriculture et de celle des sciences de Paris. Il mourut en 1819, dans un état voisin de l'indigence.

* Voici un trait qui peut caractériser le genre d'esprit de ces infortunés mulâtres. Après sa condamnation à mort, Ogé se fit donner une petite poignée de graines noires, qu'il mit dans sa main et qu'il recouvrit de graines blanches. Il secoua ensuite le tout, et les graines noires ayant repris le dessus, il les montra à ses juges et leur demanda : « Où sont les blanches?

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