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il pensa qu'il serait plus nécessaire de faire une loi contre les duels. Durand avait raison.

Quelques sections vinrent à ce sujet demander à la barre de l'assemblée une loi sévère contre le duel. Un bataillon de la garde nationale réclama la punition immédiate de Castries. C'était pousser trop loin la tendresse pour Lameth, car si Castries eût été puni, Lameth n'aurait pas dû être plus épargné que lui. Au lieu de répondre à l'absurde provocation de son adversaire, il aurait dû se lever et déclarer à la face de l'assemblée, qu'il ne verserait son sang que pour faire respecter la loi et non pour la violer.

Le glaive particulier doit se reposer lorsque celui de la justice est tiré, et il était temps enfin de livrer au mépris les hommes qui voulaient nous ramener à la barbarie et nous faire oublier que, pour jouir de sa liberté, il faut jouir de sa raison. C'était vouloir souiller la révolution que de consacrer la mode de ces combats, qui peuvent protéger un meurtrier heureux ou adroit, mais jamais un honnête homme, un bon citoyen. La plus part des breteurs ne vont - ils pas sur le terrain avec la certitude de tuer leurs adversaires? Quel courage! La plupart d'entre eux sont tellement dépourvus de la véritable valeur, qu'ils s'exercent continuellement à tirer au blanc pour apprendre à ne pas manquer leur homme. Voilà ce que j'ai vu et je pourrais dé

noncer ici la plupart des chefs de l'aristocratie de cette époque.

Castries, qui traitait d'insolence l'accusation que j'avais portée contre son père d'avoir émigré, de n'avoir pas prêté le serment civique, d'être en correspondance avec les ennemis de la révolution, se montra bientôt digne imitateur du chef de sa famille; il saisit le prétexte de l'irruption d'un peuple offensé, ou égaré, si l'on veut, dans sa maison, pour abandonner la France et aller grossir le nombre des ennemis de sa patrie. Une lettre adressée par lui au président de l'Assemblée Nationale, l'informait de cette démarche, et le prévenait qu'il attendrait un congé en Suisse.

Qu'avait-on de mieux à attendre d'un homme qui, après avoir combattu pour l'indépendance des États-Unis, quitta ce rôle honorable et afficha les sentimens les plus favorables au despotisme, les plus antipathiques à toute idée d'amélioration et de liberté? Tous ces grands seigneurs avaient l'âme pétrie de petitesse, d'égoïsme; ils ne voulaient du bonheur que pour eux, de la liberté que pour eux, de l'égalité que parmi eux. Castries, furieux de ce que j'avais dévoilé la conduite de son père, m'avait déguisé sa colère dans une lettre remplie de ces formules de cour qui doivent être répudiées sous un régime régénéré. Mais son indignation redoubla quand je lui répondis sans lui donner ces vains titres qui ne

font pas aller une lettre plus vîte à son adresse, sans lui assurer en finissant que j'étais son trèshumble serviteur, parce qu'un homme libre ne doit être le serviteur de personne. Castries ne pardonnait pas le décret qui avait supprimé les qualifications féodales, et ses laquais auraient été fort mal venus s'ils ne l'eussent pas appelé monsieur le duc. Au reste, il avait cela de commun avec quelques-uns de ceux mêmes qui avaient ́provoqué l'abolition des titres *. Mirabeau, plébéien à l'assemblée, n'était-il pas chez lui M. le comte, et n'avait-il pas des gens à livrée.

* M. de Castries fait aujourd'hui partie de la Chambre des Pairs. Il s'était retiré à Lauzanne, d'où il rejoignit l'armée des émigrés. En 1792, il publia une lettre sur les affaires du moment, dans laquelle il prévoyait avec beaucoup de justesse les événemens qui arrivèrent comme il les avait annoncés : « Marat et ses adhérens, disait-il, jouent précisément le même rôle envers Brissot et consors que ces derniers à l'égard des Feuillans. Je m'attends à voir ces gens-là aux prises pendant l'hiver, et Dumourier éprouvera le même sort que Lafayette. »

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CHAPITRE X.

M. Charles de

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Le député Crassous et Arthur Dillon. Lameth, Mme Picot, la franchisede Bayonne. La statue de Barnave. Les quatre cent mille piastres des colons. -Brak. Barnave pendant le voyage de Varennes.→ Anecdotes de ce voyage racontées par Pétion. Les journaux et les quolibets. Scène entre Louis XVI et Pétion après la journée du 20 juin. - Portrait de Pétion. Sur la fuite du roi. Grande séance aux Jacobins. Danton et M. de Lafayette. - Alexandre de Lameth. Barnave. La dénonciation de Gouy contre Louis XVI. L'inviolabilité royale.

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Goupil de Préfeln. Le chirurgien Mongins, le maître de poste Drouet, Buzot et Robespierre. La grande conspiration de Barnave. Insurrection contre les républicains.

af

Castries était un aristocrate déclaré. Après avoir abjuré les principes qui l'avaient fait combattre. pour la cause de l'Amérique, il n'avait pas fecté de s'en parer à l'Assemblée Nationale; c'est une franchise dont il faut lui savoir gré : car, des ennemis de notre révolution, les pires de tous furent ceux qui, sous le masque du patriotisme, ont voulu la tuer. Telle fut la conduite des Lameth, de Dillon, de d'Aiguillon, qui montrèrent

dans l'affaire des colonies qu'ils préféraient leurs intérêts particuliers à ceux de l'humanité et de la patrie, et donnèrent à soupçonner que l'abandon de leurs priviléges, en France, n'était pour beaucoup d'entre eux qu'un sacrifice imposé par la force des choses, auxquelles ils n'auraient pu

résister.

Crassous * a vu Arthur Dillon et Moreau de Saint-Méry également convaincus des droits des gens de couleur et de la justice de leur cause. Il m'a dit avoir lu, à la Martinique, une lettre qui y avait été envoyée, imprimée et signée du nom de Dillon, et dans laquelle il établissait la nécessité de rendre les gens de couleur citoyens actifs, de détruire l'ancienne milice, et le despotisme des chefs. Pourquoi Dillon a-t-il changé de langage? Pourquoi Blanchetierre, député extraordinaire, qui apporta en France l'esprit de l'Assemblée Coloniale, lui en inspira-t-il un si différent? Dillon ne craignit pas de se montrer au club Massiac, où son nom était détesté, et là, il fit abjuration de la popularité que lui avait acquise ses ennemis. Ainsi, de petits intérêts, des suggestions étrangères changent les sentimens de ceux qui ne savent pas tout sacrifier aux principes. Les Lameth ne reconnais

* Crassous était député de la Martinique à la Convention. Il n'y siégea qu'après le procès du roi: il exerce aujourd'hui la profession d'avocat en Belgique.

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