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De toutes les dispositions contenues dans la première partie, il n'en est que deux qui m'aient paru devoir fixer un instant votre attention, parce que toutes les autres sont parfaitement semblables à celles de l'an X, et n'ont comme elles pour objet que de donner à l'armée active son recrutement ordinaire, et à la réserve l'augmentation que chaque année doit lui procurer.

La première de ces deux dispositions est relative à appel de la classe de l'an XII, qui est fait avant l'époque suivie jusqu'à ce jour.

Non, citoyens législateurs, ce n'est pas le besoin d'un recrutement extraordinaire qui a porté le Gouvernement à comprendre la classe de l'an XII dans la loi de l'an XI. Ce n'est même point la prévoyance qui l'y a déterminé; l'armée sera maintenue pendant l'an XI au complet de paix, au moyen de la classe de l'an XI, et aucune circonstance politique ne fait présumer au Gouvernement le besoin de dépasser aujourd'hui ce complet c'est donc uniquement par esprit d'ordre et de justice qu'il a pris cette détermination.

En effet, comme six mois de chaque année sont presque toujours écoulés avant le moment où vous pouvez vous occuper de la conscription, et comme l'année est sur le point de terminer son cours avant que le recrutement soit exécuté, il arriverait, si là loi annuelle ne précédait pas de beaucoup le moment où la classe doit entrer en activité, il arriverait, dis-je, ou que les conscrits recevraient leur congé une année plus tard qu'ils ne le doivent, ou que la nation serait privée du cinquième des services qu'elle a droit d'exiger d'eux, ce qui est également contraire à l'intérêt de chacun et à l'intérêt de tous.

La seconde disposition, dont j'ai cru devoir vous entretenir, est relative au tableau de répartition entre les départements.

En comparant, citoyens législateurs, ce tableau pour l'an XI avec celui de l'an X, vous reconnaîtrez que nous avons fait quelques grands pas vers un meilleur ordre de choses.

En l'an X, le Gouvernement fonda ses calculs sur des bases politiques : il crut devoir ménager des départements qui avaient beaucoup souffert, et d'autres qui n'étaient pas encore façonnés à nos lois. Cette année, il n'a presque consulté que la population; et si elle n'a pas été la règle unique, elle a été du moins la règle générale; aussi les exceptions qu'il vous propose, fondées sur les mêmes motifs qu'en l'an X, sont et moins nombreuses et moins considérables. Avant peu, la répartition de cette honorable contribution, étant faite avec une égalité proportionnelle, concourra avec les dispositions dont je vais vous entretenir, à rendre la conscription et plus juste et plus douce. Nous sommes bien loin, citoyens législateurs, de blâmer la sévérité dont les premiers auteurs de la conscription usèrent envers les Français qui voulaient se dérober au service de la patrie; ils curent raison de les flétrir par un nom qui réveille l'idée de lâcheté et de trahison; ils eurent raison de les priver du nom de citoyens et de la jouissance de leurs droits civils; vous-mêmes vous crùtes, en l'an VIII, devoir conserver toute la vigueur des premières dispositions; mais, en l'an X, vous les rendites moins sévères cette année, nous vous proposons de les adoucir encore, et nous espérons pouvoir vous soumettre d'année en année de nouvelles améliorations. Oui, citoyens législateurs, tout nous porte à croire qu'avant peu l'opinion suffira pour entraîner et retenir les conscrits sous les drapeaux de la patrie. Eh! quel jeune Français ne sera pas glorieux d'être

le compagnon et l'émule des guerriers qui se sont acquis une gloire immortelle en défendant la patrie et la liberté ? quel est le jeune Français qui, voyant constamment la carrière des grands emplois et des honneurs s'aplanir devant ceux qui auront rempli leur honorable tâche; qui, les voyant accueillis avec égard, estime et reconnaissance par la nation et ses premiers magistrats, ne voudra point payer à son tour cette contribution civique?

Comme il existe néanmoins encore au milieu de nous quelques hommes qui, égarés par des passions haineuses ou de récents souvenirs, ont voulu, les années précédentes, et pourraient vouloir à l'avenir, en se cachant au sein des trèsgrandes villes, ou même en se retirant momentanément sur un territoire étranger, faire retomber tout le poids de la conscription sur leurs concitoyens, le Gouvernement a cru devoir ne plus chercher à saisir le conscrit là où il réside momentanément, mais dans le lieu de son domicile habituel. Ce changement dans le système suivi jusqu'à ce jour a été adopté, parce qu'il a paru devoir rendre l'exécution de la loi non-seulement plus simple, mais encore plus sûre.

En effet, on pouvait précédemment tromper des magistrats dont on n'était pas connu; on pouvait ne pas craindre de produire des pièces dont il était presque impossible de reconnaître la fausseté. Aujourd'hui, où il faudra nécessairement avoir contribué dans sa commune; aujour d'hui où tous les conscrits de la municipalité seront intéressés à ce que chacun acquitte sa dette, et même à ce que les délinquants soient punis pour ne l'avoir pas acquittée; aujourd'hui, dis-je, il deviendra presque impossible, même aux plus mauvais citoyens, de ne point acquitter

le tribut commun.

A ces mesures, qu'on pourrait appeler rigoureuses, le Gouvernement à cru devoir en joindre d'autres d'un ordre différent. Rendre la conscription d'une exécution plus facile lui a paru un moyen de la faire prospérer, et il a jugé que ce genre de moyens était analogue au caractère du peuple français, et convenable dans la position heureuse où nous nous trouvons. C'est cette idée, jointe à l'esprit de justice, qui l'a déterminé à substituer un nouveau nom à celui qui avait été donné au conscrit délinquant et à adoucir la peine qu'il devait subir.

Le conscrit délinquant est bien réellement coupable, puisqu'il n'obéit pas à la voix de la patrie qui l'appelle; mais comme il n'a pas encore prêté le serment militaire, il ne nous a point paru mériter d'être aussi sévèrement puni que les soldats qui l'ont violé il faut d'ailleurs user d'un peu d'indulgence avec des jeunes gens qui vont pour la première fois quitter les foyers paternels et qui peuvent être séduits ou trompés. C'est pour éviter les effets de cette séduction; c'est pour engager les pères eux-mêmes à dessiller les yeux de leurs enfants, à leur faire connaître leurs obligations envers la patrie, et à les forcer à les remplir, que le Gouvernement vous propose de faire retomber quelquefois sur les pères eux-mêmes une partie de la peine pécuniaire que vous avez cru devoir infliger en l'an VIII aux conscrits désobéissants.

Guidé par les mêmes motifs, et convaincu que les hommes qui ont passé quelques années dans un bagne en sortent toujours plus vicieux et souvent dépravés, le Gouvernement vous propose de substituer à la peine des fers un service militaire plus difficile et plus rigoureux que celui du reste de l'armée, mais qui, loin de fermer le cœur aux

sentiments grands et généreux, les y fera au contraire éclore et fournira aux coupables des occasions multipliées de réparer une première erreur. Vous ne craindrez pas, citoyens législateurs, les effets de cette indulgence. La conscription s'exécute presque partout avec tant de facilité, que nous serions blåmables de conserver les moyens dont on fut forcé de faire usage dans des temps moins heureux. Et d'ailleurs, vous le savez, les lois douces sont toujours les plus puissantes et les plus sûrement exécutées.

Comme vous reconnaîtrez aisément, citoyens législateurs, que les articles 13 et 14 sont une conséquence de cette vérité, vous leur accorderez sûrement votre approbation.

Quelques adoucissements que le Gouvernement ait apportés aux anciennes règles sur la conscription, en créant des exceptions qui n'ont jamais existé, et en donnant une très-grande latitude au remplacement, quelques personnes auraient peutêtre désiré qu'on eût accordé des exceptions plus nombreuses et une latitude plus grande; mais on n'a point vu qu'en diminuant beaucoup la masse des contribuables, on rendrait la contribution trop pesante pour ceux qui y resteraient soumis; on n'a point vu qu'en donnant une plus grande latitude aux remplacements, on dénaturerait le principe de la conscription, on ouvrirait la porte à des abus sans nombre, on priverait l'armée des hommes les plus capables de conserver et d'accroître sa gloire.

Tels sont, citoyens législateurs, les motifs qui ont dirigé le Gouvernement dans la confection de la loi qu'il vous soumet aujourd'hui. Cette loi obtiendra-t-elle votre assentiment? Il a osé s'en flatter, parce que vous voulez comme lui que l'armée soit toujours maintenue au complet de paix; parce que vous voulez qu'une formidable réserve soit toujours prête à faire passer au pied de guerre avec promptitude et facilité; parce que vous reconnaissez comme lui que la conscription est le palladium de la gloire et de la liberté française; parce que vous voulez que cette institution salutaire, naturalisée au milieu de nous, devienne l'objet dé la reconnaissance du peuple français, des espérances de ses alliés et de la terreur dé ses ennemis.

Le citoyen Lacuée donne lecture du texte du projet de loi.

PROJET DE LOI.

Art. 1er. Il sera levé trente mille conscrits pris sur la conscription de l'an XI, et trente mille sur la conscription de l'an XII; ils seront destinés à compléter l'armée sur le pied de paix.

Art. 2. Il sera également levé trente mille conscrits de l'an XI et trente mille de l'an XII, pour rester en réserve, et être uniquement destinés à porter l'armée au pied de guerre, si cela devenait nécessaire.

Art. 3. Les conscrits de l'an XII ne pourront, sous aucun prétexte, être appelés avant l'époque du 1er vendémiaire an XII.

Art. 4. Les départements fourniront leur contingent conformément au tableau annexé à la présente.

Art. 5. La répartition entre les arrondissements et les municipalités sera, ainsi que les désignations, exécutée conformément aux dispositions de la loi du 28 floréal an X. Art. 6. Les conscrits ne pourront être ni appelés ni désignés pour faire partie du contingent, que dans la municipalité de leur domicile.

Art. 7. Tout conscrit absent au moment de la désignation, ou qui ne pourra se rendre à l'assemblée prescrite pour ladite désignation, devra y être représenté par son père ou l'un de ses proches parents, et à leur défaut par un citoyen nommé d'office par le maire.

Art. 8. Tout conscrit absent qui aura été désigné pour faire partie du contingent aura un mois pour se présenter devant le capitaine du recrutement.

Celui qui, à l'expiration du délai d'un mois, ne se sera point présenté, ou n'aura point fait admettre un suppléant, sera, sur la plainte du capitaine du recrutement, déclaré par le préfet, ou sous-préfet, conscrit réfractaire.

Art. 9. Le préfet, ou sous préfet, adressera, dans les trois jours, son arrêté au commissaire du Gouvernement près le tribunal de première instance de l'arrondissement.

Le commissaire requerra, dans le même délai, contre le conscrit réfractaire et contre ses père et mère, comme civilement responsables, la condamnation à l'amende portée par la loi du 17 ventôse an VIII, avec l'impression et l'affiche du jugement aux frais du condamné. Le tribunal prononcera sans désemparer.

Le commissaire du Gouvernement adressera, dans les trois jours, le jugement au directeur de l'enregistrement et du domaine, chargé de poursuivre le paiement de l'amende, ainsi qu'il est prescrit par les articles 10 et 11 de la susdite loi.

Le commissaire du Gouvernement adressera aussi des copies du jugement au capitaine du recrutement et au commandant de la gendarmerie du département, charge de faire rechercher ledit conscrit et de le faire conduire au dépôt qui sera désigné par le Gouvernement.

Art. 10. Tout conscrit condamné comme réfractaire sera conduit de brigade en brigade dans un dépôt militaire, pour y être à la disposition du Gouvernement pendant cinq ans, et employé dans les corps militaires que le Gouvernement déterminera, et qui seront soumis à une discipline particulière.

Art. 11. La même procédure sera observée, et les mêmes peines prononcées, contre tout conscrit désigné qui ne rejoindra point, à l'époque qui lui aura été prescrite, lo corps dans lequel il devra être incorporé.

Art. 12. Tout conscrit condamné comme réfractaire, qui n'aura pas été arrêté et conduit au dépôt dans le mois qui suivra le jugement rendu contre lui, sera, sur la demande du capitaine du recrutement, et d'après les ordres du préfet, remplacé par sa municipalité; en conséquence, il sera fait une nouvelle désignation.

Art. 13. Pourront être admis comme suppléants les conscrits de la classe de l'année et des années antérieures non désignés ou désignés seulement pour la réserve, pourvu qu'ils aient la taille et les autres qualités requises, et qu'ils soient nés et domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement.

Les individus qui se seront fait remplacer par un membre de la réserve seront inscrits dans ladite réserve aux lieu et place de leur suppléant.

Art. 14. Le conscrit qui aura un frère faisant comme conscrit partie de l'armée active, celui qui sera fils unique d'une veuve, et l'aîné des frères orphelins, pourront, s'ils le demandent, être désignés pour former la réserve.

TABLEAU

relatif à la répartition de 30,000 conscrits entre les 109 départements
de la République.

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Le Corps législatif arrête que ce projet de loi sera transmis au Tribunat par un message.

T. IV.

42

Les citoyens Defermon, Cretet et Bérenger, conseillers d'Etat, sont introduits.

Defermon présente un projet de loi sur la contribution foncière des canaux de navigation. En voici le texte et l'exposé des motifs :

Art. 1er. Tous les canaux de navigation qui seront faits à l'avenir, soit aux frais du domaine public, soit aux dépens des particuliers, ne seront taxés à la contribution foncière qu'en raison du terrain qu'ils occupent, comme terre de première qualité.

Art. 2. A compter de l'an XIII, les anciens canaux de navigation et les francs bords, magasins et maisons d'éclusiers, dépendant du domaine public, ne seront taxés à cette contribution que dans la proportion énoncée dans l'article précédent.

Art. 3. Les autres maisons d'habitation et usines dépendant desdits canaux seront imposées comme les autres propriétés de la même nature.

Art. 4. Les objets compris aux articles précédents seront imposés dans chaque commune dans laquelle ils se trouvent situés.

Motifs.

Citoyens législateurs, l'objet de la loi que nous venons de vous présenter n'a pas besoin de longs développements, et ses dispositions sont si claires et si précises, qu'il nous sera facile de vous en faire reconnaître la nécessité.

Les canaux de navigation sont, comme les grandes routes, des moyens de communication; mais ils ont sur elles l'avantage inappréciable de faciliter les transports à moindre frais. Leur utilité est plus ou moins grande, en raison des communications plus ou moins étendues qu'ils ouvrent, et nulle part elle ne peut être plus sensible que dans un Etat qui, comme la France, réunit un grand territoire dont il importe que toutes les parties puissent s'aider, soit des productions qui sont particulières à quelques-unes d'entre ellês, soit des productions qui leur sont communes.

Que l'íntempérie des saisons ou quelque autre cause accidentelle prive de leurs récoltes ordinaires quelques-uns des départements, il importe qu'ils puissent être facilement approvisionnés par les autres. La diversité du sol de la France fournit presque toujours les moyens de suppléer, par l'abondance d'un canton, à la pénurie de l'autre, et l'objet important des subsistances sera assuré au moment où les canaux, plus multipliés, rendront les communications faciles.

Ce point de vue fixera toute votre attention, et nous n'avons pas besoin d'ajouter que, dès que les canaux fourniront des moyens de transport, ils seront employés pour toutes les denrées les plus pesantes, et ne laisseront plus les routes exposées aux mêmes dégradations, ce qui diminuera les dépenses considérables que nécessite leur entretien.

Enfin les canaux déjà ouverts en France présentent des avantages si universellement reconnus, qu'il n'est sûrement aucun de vous qui ne partage avec le Gouvernement l'opinion qu'on ne peut trop donner de protection à ces importantes propriétés et chercher à les multiplier.

L'article 1er du projet de loi dispose« que tous les canaux qui seront faits. à l'avenir ne seront taxés à la contribution foncière qu'à raison du terrain qu'ils occuperont, comme terre de première qualité.»

Il résulte de cette disposition que la commune sur laquelle sera ouvert un canal aura l'avantage d'une nouvelle communication, sans diminution sur sa matière imposable, et quelquefois, au contraire, avec une légère augmentation.

Il en résultera aussi que les entrepreneurs du canal auront une garantie contre toutes les sur

taxes et vexations que l'envie excite trop souvent contre eux, lorsqu'on voit les profits qu'ils retirent de leur entreprise, sans considérer les avances par lesquelles ils les ont achetés et la chance qu'ils ont courue.

Le Gouvernement n'a pas cru qu'il convint de les exempter de toute contribution; il a considéré que cette taxe serait presque insensible sur le produit ordinaire des canaux, et que l'avantage de prévenir toutes les difficultés devait la faire adopter.

L'article 2 étend aux anciens canaux faisant partie du domaine public la disposition de l'article 1er. Tous les motifs, qui ont déjà porté le Corps législatif à adopter la proposition de ne plus taxer les forêts nationales à la contribution foncière reçoivent ici leur application. Il nous serait facile de vous donner des preuves qu'on ne peut porter plus loin l'abus de fa surtaxe qu'il ne l'a été dans quelques départements sur ces propriétés. Cependant la loi ne devra recevoir son exécution qu'à compter de l'an XIII, afin que le Gouvernement puisse faire régler la portion légitime du dégrèvement à accorder à chacun des départements qui sont traversés par ces anciens canaux, et régler avec les fermiers ce dont ils devront compte au trésor public.

L'article 3 laisse dans la classe des propriétés ordinaires les maisons et usines qui dépendent des canaux, mais qui ne sont pas nécessaires à leur service cette disposition a pour objet de lever toute difficulté et de restreindre le bienfait de la loi dans des termes convenables.

Enfin, l'article 4 contient une dérogation nécessaire aux lois qui avaient ordonné que les canaux seraient cotisés par départements. Ce mode de les taxer était le seul praticable, lorsqu'on les taxait sur leur produit; mais du moment qu'on ne taxera plus que le terrain qu'ils occuperont, c'est par commune qu'il convient de les taxer.

Vous voyez, citoyens législateurs, d'après les observations que nous venons de faire sur chaque article de la loi, que toutes ses dispositions sont également utiles et nécessaires pour atteindre le but que le Gouvernement s'est proposé. Vous voudrez, sans doute, avec lui, accorder une protection spéciale aux canaux, et vous vous empresserez de donner une sanction à ce projet.

Le Corps législatif arrête que ce projet de loi sera transmis au Tribunat.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la contribution foncière des biens

communaux.

Après avoir entendu le vœu d'adoption exprimé par le citoyen Mallarmé, l'un des orateurs du Tribunat, le Corps législatif procède au scrutin. Le projet de loi est adopté par 206 boules blanches contre 3 boules noires.

On ouvre la discussion sur le projet de loi relatif au remplacement des contributions somptuaire et mobilière de la ville de Paris.

Le Président donne la parole à un orateur du Tribunat.

Duvidal (1). Citoyens législateurs, c'est une vérité ignorée de peu d'administrations, mais rarement observée par le plus grand nombre, que l'étendue des ressources pécuniaires d'un Etat dépend moins de la quotité des impôts que de leur sage distribution, qui, en même temps qu'elle en assure et facilite le recouvrement, contribue souvent à en augmenter le produit.

(1) Le discours de Duvidal ne se trouve pas au Monileur: Nous le donnons in extenso.

Cette considération a porté le Gouvernement à présenter un projet de loi dont je suis chargé par le Tribunat de vous porter le vœu d'adoption. Il a pour objet d'autoriser le conseil général de la ville de Paris à proposer un mode pour remplacer, pendant l'an XII, en tout ou en partie, le contingent de contributions mobilière et somptuaire assigné à cette même ville.

Le mode de perception adopté pour ce remplacement sera provisoirement exécuté et présenté en forme de foi au Corps législatif dans le cours de sa prochaine session.

Lors de l'établissement de la contribution mobilière, sa nécessité fut reconnue, parce qu'elle dérivait du principe que toutes les facultés du citoyen doivent contribuer aux dépenses de l'Etat.

De même que la contribution foncière détourne une portion des fruits de la terre pour la conservation du tout, ainsi la contribution mobilière prélève sur le travail, sur les capitaux, sur les facultés industrielles, un tribut destiné à les protéger, puisqu'il subvient à la défense et à l'administration générale.

La première chose requise dans l'assiette des impôts, c'est leur répartition proportionnée aux facultés de chaque individu, avec cette réserve cependant de prendre le moins possible sur le nécessaire du pauvre, et de ne point attaquer le superflu du riche au point d'aliéner ses affections en trompant le premier vœu de la société, qui est le maintien de la propriété et la garantie pour tous des fruits de leur travail et de leur industrie. Pour atteindre ce but avec certitude, il faudrait une connaissance des facultés à imposer.

Les propriétés foncières présentent à cet égard des données beaucoup plus sûres que les propriétés mobilières et résultantes de l'industrie.

Et cependant à quelles incertitudes n'est-on pas encore exposé, en comparant le produit des différentes terres, lorsque l'on considère les nuances qu'apportent les différentes qualités du sol, les avantages de localité, les diverses cultures, les vicissitudes des saisons? Mais toutes ces difficultés, si grandes qu'elles soient, s'évanouissent lorsqu'on les met en parallèle avec la tâche de pénétrer, par la pensée, dans l'intérieur des familles, pour scruter leurs ressources mobilières et le produit de leur industrie.

Comment soupçonner l'opulence de l'avare qui languit près de son trésor caché? Comment deviner la gêne de cette famille, qui pour céler des malheurs dont la connaissance fui attirerait encore de plus grandes calamités, soutient avec effort les apparences d'une richesse qui n'existe plus?

En supposant même que la dépense d'un individu soit un sûr indice de ses facultés, comment vouloir embrasser toutes les parties de cette dépense, sans le tourmenter par une pénible et inutile inquisition, ou sans se livrer aux conjectures les plus arbitraires?

Les auteurs de la loi du 18 février 1791, sur la contribution mobilière, ont senti toutes ces difficultés; en renonçant à les vaincre entièrement, ils ont été obligés d'adopter une supposition à l'aide de laquelle ils ont cru approcher le plus possible de la vérité qu'ils désespéraient d'atteindre.

Ils ont pris pour base de leur appréciation des formes particulières, la somme que chaque famille consacre annuellement pour se loger.

Ils ont cherché à découvrir et à fixer, autant que la raison et l'usage ont pu l'indiquer, l'échelle des proportions variables que chaque classe de fortune établit entre cette partie de sa dépense et

la totalité de son revenu : ils ont marqué avec sagesse les exceptions que certaines professions et certaines circonstancês domestiques rendaient absolument nécessaires.

Enfin il est résulté de leurs travaux une loi compliquée, il est vrai, mais susceptible d'exécution, et qui donnait au moins à chaque individu la possibilité de prévoir, d'une manière assez sûre, à quelles charges il s'exposait en se plaçant dans telle ou telle situation.

Cette loi établissait en même temps une contribution personnelle déterminée d'après la même base, et des taxes somptuaires sur les objets de luxe apparents, tels que domestiques, chevaux, voitures, etc.

On a depuis essayé, à différentes époques, d'arriver au même but par d'autres moyens.

Ainsi la Convention créa, par la loi du 7 thermidor an III, une taxe progressive sur les cheminées.

Une autre loi, du 14 thermidor an V, livra la répartition des contributions personnelles et mobilières au caprice des jurys d'équité.

Enfin, celle du 3 nivôse an VII institua un mode moins arbitraire, et se rapprocha de celle de 1791, en ordonnant la répartition de la contribution mobilière au marc là livre des loyers.

Avant même que la première loi sur la contribution mobilière fût passée, on avait pressenti la difficulté d'en faire l'application à la ville de Paris, sans exposer le trésor public à des pertes, et les contribuables à des surcharges considérables.

Dès lors, le conseil général de la commune avait prévu la plupart des inconvénients retracés par les orateurs du Gouvernement dans l'exposé des motifs à l'appui du projet de loi.

Une expérience assez longue a vérifié l'exactitude de ces premiers aperçus. On a reconnu les obstacles qui s'opposent à une juste assiette de l'impôt mobilier, d'après la base du loyer.

Parce que les propriétaires et les locataires s'entendent souvent pour baisser les loyers apparents, à l'aide de baux simulés; parce que, à raison des vicissitudes rapides de la fortune, dans une ville immense, le loyer réel d'une famille change souvent dans le cours d'une même année; parce que, dans Paris, ces déplacements sont si fréquents, la mobilité des habitants est telle, que le travail d'une année est presque entièrement perdu pour l'année suivante, et que les rôles sont toujours à recommencer.

L'assiette de la contribution somptuaire n'offre pas de moindres embarras, puisqu'elle expose le fisc à souffrir des déclarations inexactes, et le particulier à être tourmenté par des recherches importunes, ou surtaxé d'après de fausses conjec

tures.

La difficulté de former ces rôles occasionne de grands retards dans le recouvrement; à peine sont-ils rendus exécutoires, que plusieurs douzièmes sont déjà échus, et l'embarras du contribuable multiplie ses réclamations.

Le rôle de l'imposition mobilière est formé de cent cinquante mille cotes. Il y en a environ cent mille qui portent sur des loyers de cent francs et au-dessous; il y a au moins un quart de ceux qui sont ainsi taxés qui n'ont de fortune que leur travail ce quart réclame, et perd un temps précieux en démarches souvent inutiles. Pendant que le procès s'instruit, il faut payer les parties échues de là des contraintes et des frais sur l'évaluation desquels il est douloureux de s'arrêter, et qui, après tout, ne produisent rien; car, que peut-on redouter des poursuites, lorsqu'on n'est

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