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cesse la force des choses, puissance à laquelle on ne peut toujours résister.

Aussitôt que la raison se dégageant des ténèbres d'un siècle superstitieux, et s'affranchissant du joug du monachisme, commença à reprendre son empire, la médecine connut mieux la perte qu'elle avait faite en se séparant de la chirurgie. Alors les médecins s'empressèrent de la cultiver comme une partie du domaine de la science. Dès le quinzième siècle, Lanfranc de Milan, médecin célèbre, la montra telle qu'elle avait toujours été sous le règne des lumières, intimement réunie à la médecine. Dans le siècle suivant, parut à Montpellier Guy de Chauliac: c'est une des époques les plus brillantes de cette école célèbre. Il mérita le titre de restaurateur de la chirurgie, qu'il professa avec un grand éclat, et son ouvrage devint le guide des chirurgiens.

Mais ce fut surtout à la renaissance des lettres que s'opéra plus particulièrement cette première réhabilitation de la chirurgie. A l'exemple des anciens fondateurs de l'art, les médecins de ce temps cultivèrent les connaissances chirurgicales avec le même soin que la médecine. Le goût de l'anatomie, qui se renouvelait alors, ou plutôt cette science qui commençait à naître, favorisa beaucoup cette révolution. Des observations qu'elle faisait recueillir à l'étude et à la pratique de la chirurgie, il n'y avait qu'un pas : c'était une route aplanie qu'elle ouvrait; et, parmi les médecins renommés à cette époque, le plus grand nombre, Marc Aurèle Severin, Fabrice d'Aquapendente, Fallope, Vesale, Colombus, tous noms auxquels se rattache la gloire de la chirurgie moderne, cultivérent cette science, ou l'illustrèrent par leurs ouvrages.

Déjà, dans toute l'Italie et dans l'Allemagne, les chirurgiens célèbres étaient des docteurs en médecine. Mais, si cette dernière science s'empressait de venir au secours de la chirurgie qu'elle sentait le besoin de relever, celle-ci ne faisait pas moins d'efforts pour se rapprocher de la médecine.

Ainsi une tendance mutuelle reportait naturellement les deux branches l'une vers l'autre, et semblait devoir les réunir de nouveau sur la souche commune.

L'impulsion communiquée était trop forte pour ne pas faire violence aux préjugés. L'autorité civile seconda en France cette restauration de la chirurgie.

Sous saint Louis, les chirurgiens furent réunis en corps académique à Paris, par les soins de Pitard, premier chirurgien de ce prince.

Un édit de Philippe-le-Bel défendit l'exercice de cet art à tous autres qu'à ceux qui auraient été examinés, approuvés et licenciés.

Le roi Jean, par un autre édit conçu dans les mêmes termes, réprima le désordre de la chirurgie, exercée par des hommes sans capacité.

Sous François 1er, des lettres d'octroi assurérent à la chirurgie et à ceux qui la cultivaient les mêmes priviléges qu'aux écoliers, docteurs, régents et autres gradués de l'université; priviléges que, bientôt après, comme nous le verrons, ils perdirent. Il fut, par ces mêmes lettres, ordonné que l'on ne pût parvenir au degré de maître en chirurgie qu'après avoir été préparé par l'étude des humanités; et, à cet effet, il fut prescrit que les examens continueraient de se faire en latin.

A la création des académies, en 1666, le Gouvernement y appela, lors des premiers choix, plusieurs chirurgiens célèbres; la voix publique les y fit siéger au même rang que les médecins illustres dont ils étaient rapprochés; et, comme

on l'a remarqué avec une grande justesse, par un contraste singulier, on y voyait honorés, comme anatomistes, des hommes que l'on ne regardait plus que comme des artisans, lorsque, rendus aux fonctions de leur état, on exigeait d'eux cependant des connaissances plus profondes et plus étendues.

L'établissement du Jardin-des-Plantes ayant été perfectionné sous Louis XIV, on y vit l'école de chirurgie confiée aux soins de Dionis, chirurgien célèbre, dont l'ouvrage, jusqu'à ces derniers temps, a été le livre classique de cet art.

Enfin, les talents et la faveur de La Peyronnie, secondés par les travaux et les soins de JeanLouis Petit, ayant redonné un grand lustre à la chirurgie, elle fut rétablie dans l'état où elle se trouvait avant 1655. Des places de démonstrateurs furent créées dans le collége de Paris pour l'enseignement de cette science, et l'académie de chirurgie, qui fut alors instituée, contribua surtout à rendre à cet art une partie de son ancienne splendeur.

Mais ce n'avait été que lentement, par degrés, et chaque fois d'une manière incomplète, que ces changements s'étaient opérés. Si, dans quelquesunes de ses parties, la chirurgie avait recouvré quelque considération, dans beaucoup d'autres elle était restée dégradée ; et même, au milieu de son plus grand éclat, on apercevait encore des preuves évidentes de sa dépendance et de son infériorité. En l'élevant d'ailleurs au rang des corps enseignants, on n'avait pas atteint le but que l'on devait se proposer. La constituer ainsi, c'était toujours la séparer; et l'art ne pouvait que perdre à cette désunion. La médecine, sans la chirurgie, n'avait point le complément de tous ses moyens; la chirurgie, sans la médecine, était moins rationnelle. Des leçons chirurgicales données dans les facultés avaient le défaut choquant de présenter la science sans la pratique, qui seule peut l'appuyer; dans les écoles de chirurgie, les préceptes sur les affections mixtes et compliquées manquaient du développement nécessaire. Enfin, la chirurgie, s'attribuant un domaine beaucoup plus étendu qu'elle ne peut l'avoir par la nature même de ses fonctions, appelait à ses écoles, par des réceptions plus faciles, un bien plus grand nombre d'élèves qu'elle ne pouvait en employer, et peuplait ainsi l'Etat de gens de l'art qui devaient exercer de la chirurgie qu'on leur avait enseignée la partie seulement qui à peine en mérite le nom, et pratiquaient ouvertement la médecine qu'ils ne savaient pas, et qu'on ne leur avait pas apprise.

C'est à ces tentatives toujours incomplètes pour reconstituer l'art que le projet de loi vous propose de suppléer; c'est le rétablissement de la médecine dans son état d'unité primitive et naturelle, qu'il doit opérer, et, à cet égard, le vœu de tout ce qu'il y a d'hommes instruits sera rempli.

Mais de l'état où la chirurgie avait été précédemment réduite, il était encore résulté un défaut essentiel dans l'organisation constitutive de l'art de guérir, et qui était devenu la source d'un grand nombre d'inconvénients.

Lorsqu'une science a fait de grands progrès, on aperçoit bientôt l'impossibilité que tous les hommes qui s'y dévouent puissent, des notions premières qui en ont formé les faibles commencements, atteindre aux connaissances élevées et nombreuses dont elle s'est enrichie. Alors on sent la nécessité de diviser l'art auquel elle a donné naissance en deux grandes parties dont l'une, bornée aux pratiques vulgaires, aux connaissances communes, est le partage du plus grand

nombre; et l'autre, réservée aux hommes d'une intelligence supérieure, d'un esprit plus éclairé, cultive ses parties les plus étendues, ou plutôt l'embrasse dans son ensemble.

On a reconnu, dans plusieurs arts, dans plusieurs sciences, la nécessité de ce partage qui devient plus indispensable dans l'art de guérir que dans tout autre. Mais, sous le régime des universités, on s'était étrangement mépris sur les moyens de l'exécuter. Au lieu de l'effectuer dans l'ordre des connaissances plus ou moins élevées que l'ensemble de l'art comporte, c'était une des deux branches de la science que l'on avait cru devoir mettre sous l'empire de l'autre, et la chirurgie avait été celle que l'on avait ré servée pour la dépendance.

L'état d'abaissement où elle existait alors, avait naturellement conduit à ce résultat. Les anciens chirurgiens avaient souffert que les barbiers s'occupassent de quelques-unes de leurs fonctions, connues sous le nom de chirurgie ministrante ou petite chirurgie. De ce point de rapprochement était bientôt dérivée l'association, ou plutôt la fusion des deux communautés; association contre laquelle la chirurgie s'était élevée à plusieurs époques, et surtout lors de l'établissement des chirurgiens lettres, ou de robe longue. Mais ces efforts avaient été impuissants. Des vues d'intérêt dictèrent en 1665 un contrat d'union entre les barbiers, lequel fut homologué. En 1667, un arrêt confirma cette union de la chirurgie avec une profession si différente d'elle, et l'assujettit aux mêmes servitudes.

Dans cet état de choses, l'asservissement de la chirurgie à la médecine fut bientôt consommé. Briguant l'appui nécessaire de la faculté, les barbiers se rangèrent sous son obéissance. Ils en obtinrent des professeurs qui devaient les initier dans les connaissances de l'art, et, en échange de cette suprématie qu'ils lui donnaient sur la chirurgie, ils en recurent une protection qui les maintint dans l'exercice des fonctions dont ils s'étaient emparés.

La raison se soulevait contre des dispositions si choquantes. En effet, assujettir la chirurgie à la médecine, c'était vouloir comprimer le génie, lui donner des entraves, le tenir courbé, abaissé, contre sa vigueur et sa toute-puissance naturelle. Une telle entreprise pouvait être consommée, mais son succès ne pouvait être durable. Les circonstances ayant quelquefois attaché à la chirurgie des hommes d'un esprit supérieur, qui, reconnaissant toute sa dignité, même dans son état d'asservissement, se passionnaient pour elle, on avait vu, à ces époques, rares à la vérité, le génie chirurgical prendre un libre essor, s'élever à toute la hauteur de la science qui voulait le dominer, et montrer alors combien sont faibles de vains préjugés contre la nature des choses. Alors éclatait tout le ridicule du prétendu asservissement de la chirurgie à la médecine; alors paraissait dans tout son jour l'absurdité de ce système.

Cependant l'intérêt maintenait cet état de dépendance que réprouvait la raison. A la cour, le premier valet de chambre du roi avait attiré à lui toute la juridiction des étuvistes-barbiers. Les chirurgiens suivirent la condition de ces derniers, auxquels ils étaient incorporés, et passèrent bientôt sous la domination du premier chirurgien, dont la charge succéda à celle du premier valet de chambre qui lui avait été d'abord réunie. Alors il exista un chef de toute la chirurgie et barberie du royaume, ayant son représentant dans tous les colléges de chirurgie, ses lieutenants à la tête de

toutes les communautés, et présidant dans cette partie aux réceptions qui formaient le plus bel apanage et l'un des principaux revenus de la charge dont il était revêtu.

C'est cette absurde organisation qui durait encore au moment de la Révolution, que le Gouvernement vous propose, citoyens tribuns, de faire disparaître à jamais, par le projet de loi soumis à votre examen. Après avoir réuni les deux branches d'une seule et même science qui devaient être inséparables, et formé de toutes les parties de l'art de guérir un ensemble complet, le nouveau système en distribue l'exercice en deux parties: l'une vulgaire et commune, l'autre transcendante et supérieure. A l'état ancien qui blessait les convenances, et que la raison condamnait, il substitue une disposition qui, en réglant les rangs suivant l'échelle des connaissances, ne distingue que ce qui diffère par l'étendue du savoir, et ne subordonne que ce qui est inférieur par la mesure du talent; enfin ce système organise tout suivant l'ordre naturel, et fait prendre à l'édifice médical une structure régulière, au lieu de cette forme bizarre et gothique qu'il avait toujours présentée.

Telles sont les vues principales d'après lesquelles le Gouvernement propose de régulariser l'exercice de l'art de guérir. Mais à ce plan convenable pour l'avenir, et dont il est si pressant de s'occuper, il n'était pas moins nécessaire de rattacher ce qui reste d'utile, de respectable des temps qui ont précédé le régime sous lequel nous vivons. Pendant la Révolution même, et sans doute au milieu de beaucoup d'abus intolérables et d'une longue anarchie, plusieurs parties de l'édifice médical se sont assises, qu'il serait imprudent de renverser. C'est avec les ménagements convenables qu'il s'agit de fixer ce que présente de compatible avec les intérêts privés, l'intérêt plus puissant de l'ordre social et de la sûreté publique.

Pour l'exécution du plan dont ces vues sont les bases principales, le projet de loi propose des dispositions de divers genres.

Les unes, plus particulièrement du ressort de la science, règlent tout ce qui intéresse sous ce rapport la constitution médicale. Tels sont la forme des examens et le mode des réceptions.

Les hommes auxquels l'exercice de l'art de guérir sera permis, devant être distingués en deux classes, dont les fonctions comme les connaissances sont différentes, il est indispensable qu'ils soient soumis à des épreuves différentes aussi, et qui garantissent que chacun d'eux a le degré de savoir et de talent qui lui convient.

Ceux que le Gouvernement offrira à la confiance publique sous le titre le plus distingué, celui de docteurs, comme possédant les connaissances de l'art les plus étendues, seront examinés dans les six écoles spéciales de médecine établies par la loi du 11 floréal dernier. Cinq examens embrassent l'ensemble de la science, et terminés par un acte public, donneront une garantie assurée de leur savoir. Ces épreuves seront faites avec la sévérité convenable; et, à cet égard, les dispositions si sages de l'édit de 1707 seront conservées dans tout ce qu'elles ont d'applicable au régime actuel. Deux des examens seront soutenus en latin, disposition également utile et honorable à l'art de guérir; utile, parce qu'abolir l'usage de cultiver cette belle langue en médecine, ce serait fermer l'accès aux principales sources des connaissances médicales; honorable, parce que c'est un hommage rendu à la médecine, qui a conservé à cette langue commune des savants les derniers appais qui lui soient restés.

Dans le cours de ces examens, le plus grand nombre des épreuves seront les mêmes pour tous ceux qui s'y présenteront. La dernière seule a paru devoir être différente, quoique, pour ceux qui ont une connaissance approfondie de la nature de l'art, de l'intime connexion de toutes ses parties, de leur dépendance mutuelle, cette distinction pût être regardée comme inutile. Mais on a considéré que sur ce point l'opinion n'était pas encore suffisamment formée, et que l'état de choses auquel amènera sans doute le nouveau système médical n'est point encore arrivé. Une nuance particulière entre ceux qui cultivent l'ensemble de l'art a donc paru au moins avantageuse, si elle n'était pas nécessaire. D'ailleurs l'exercice de la médecine externe demandant, outre un grand savoir commun à tous ceux qui s'y dévouent, deux qualités indispensables à ceux qui se livreront aux opérations, savoir, la fermeté de l'âme et la dextérité de la main, on est fondé à exiger de ces derniers une garantie suffisante qu'ils réunissent ces conditions. Une distinction à donc paru utile et convenable entre le titre de docteur en médecine et celui de docteur en chirurgie; et ces motifs l'ont fait adopter.

La classe de ceux qui se contenteront du titre d'officiers de santé devait être traitée moins rigoureusement. Bornés aux soins les plus ordinaires, aux procédés les plus simples de l'art, ils porteront les premiers secours aux malades, aux blessés, traiteront les affections les moins graves, s'occuperont des pansements communs et journaliers; et, leur science principale devant consister à reconnaître les cas où ils ne doivent pas agir, ils formeront sans doute une classe moins relevée dans la hiérarchie médicale. Mais, pour être moins distingués, ils n'en seront pas moins utiles. C'est à porter des secours dans les campagnes, c'est à soigner le peuple industrieux et actif qu'ils seront spécialement appelés; la partie la plus nombreuse des familles, la classe la plus étendue de la population de l'Etat, seront confiées à leurs soins; leurs fonctions seront plus modestes, mais non moins importantes, et l'utilité réelle de leur ministère compensera, aux yeux du philosophe et de l'homme instruit, ce qu'il aura d'humble et d'obscur pour la multitude.

Des hommes aussi précieux devaient être appelés en grand nombre à ces respectables fonctions; des sacrifices moins onéreux, des épreuves moins embarrassantes, devaient être exigés de ceux que leur dévouement ou leur goût porterait à les embrasser. Le projet de loi a pourvu à ce besoin généralement reconnu de la société.

La facilité de s'instruire par l'exemple, par cette éducation domestique, qui, pour les connaissances communes, n'est point à dédaigner, leur épargnera des frais d'études. Les hôpitaux leur seront ouverts, et deviendront pour eux des écoles secondaires, semblables à celles qui se forment avec une émulation si louable pour les lycées nouvellement institués. Plusieurs années d'exercice dans ces établissements ou près des maltres leur tiendront lieu de l'instruction puisée dans les grandes écoles, où la plupart, cependant, viendront sans doute perfectionner leurs connais sances et prendre une idée de la grandeur de l'art.

Le séjour dispendieux des villes ne leur sera pas seulement épargné pour leur instruction; des voyages non moins coûteux pour leurs sections seront évités. Un jury formé par département ou vrira, chaque année, à une époque fixe, des examens. Des épreuves moins multipliées y seront exigées pour s'assurer de leurs connaissances qui

ne pourront être étendues. Les jurys, formés des hommes de l'art les plus recommandables du département, remplaceront ces nombreuses et obscures communautés où, le droit de recevoir des élèves étant acheté, et devenant le patrimoine de celui qui l'exerçait, on trafiquait de la vie des hommes.

Un commissaire, choisi parmi les professeurs des six écoles, fera toujours partie des jurys: ainsi on rattachera à quelques centres communs tous les hommes des différentes classes qui se dévoueront au soulagement de leurs semblables, et l'on aura dans ces grands corps des régulateurs de la science, et des conservateurs nés de sa police et de sa dignité.

En déterminant ainsi les conditions auxquelles la liberté d'exercer l'art de guérir sera accordée, on a eu soin de les modifier pour tous ceux qui, placés dans une position particulière, devaient mériter quelque exception.

Ainsi tous les médecins et chirurgiens anciennement reçus continueront d'avoir le droit d'exercer l'art de guérir, comme par le passé; l'exhibition de leur titre, l'inscription sur une liste ancienne, ou, au défaut de l'un de ces deux moyens, une attestation dans une forme déterminée, leur conservera leur profession, et, sous ce double rapport, il en sera de même pour ceux qui, dans les départements réunis, pratiquaient en vertu de titres obtenus, avant ́ là réunion, dans les universités étrangères.

Après cette classe dont les droits sont les mieux établis, plusieurs autres ont paru mériter aussi des exceptions.

A l'époque de la suppression des corps enseignants, un grand nombre d'élèves se trouvaient en état et dans l'intention de se faire examiner. Plusieurs autres ayant suivi les nouvelles écoles, et privés par le manque d'examens ouverts, des moyens de s'y faire recevoir, sont allés, comme les premiers, fixer leur résidence dans toute l'étendue de la France. Une possession d'état pendant plusieurs années, fondée sur la confiance publique, a paru devoir être respectée. On n'aurait pu voir, dans des enquêtes contre ces citoyens, que des mesures trop rigoureuses et injustes, en ce qu'elles les tourmenteraient pour un défaut de formalités qu'il n'était point en leur pouvoir de remplir. L'appel fait à tant d'hommes paisibles pour venir se présenter à des examens eût porté le trouble dans un grand nombre de familles; on a pensé que de tels intérêts devaient être ménagés, et une attestation d'établissement formé depuis trois ans, donnée avec les précautions convenables pour éviter la fraude, a paru une mesure que la justice et le bon ordre devaient dicter.

Mais on n'épargnera point cette tourbe nombreuse et ignorante qui, dans ces dernières années, depuis qu'il a été question d'organiser les réceptions, connaissant sa nullité, et redoutant l'époque des épreuves, s'est répandue dans les départements; d'autant moins excusable, que, des moyens provisoires de prouver sa capacité étant depuis trois ans établis par le Gouvernement dans les écoles de médecine actuelles, ils ne peuvent, comme les premiers, alléguer la non-existence de toute forme d'examen.

La constitution médicale étant ainsi établie, il fallait la coordonner avec le système administratif: des dispositions particulières régleront cet objet.

L'enregistrement des titres dans les tribunaux d'arrondissement, et dans les tribunaux des souspréfectures, la formation de listes dressées en con

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séquence de ces inscriptions, et transmises tous les ans au Gouvernement, sont autant de mesures prescrites par le titre IV du projet de loi.

Ces listes, différentes pour les différentes classes des gens de l'art, pour les médecins et chirurgiens anciennement reçus, pour ceux établis sans acte légal, mais ayant possession d'état, pour les nouveaux docteurs et officiers de santé,désigneront aux citoyens les hommes dignes de leur choix, et les degrés de confiance qu'ils mériteront. Ces mesures empêcheront en même temps l'introduction nouvelle de tout individu non reçu, de ces hommes qui n'ont d'autre espérance de fortune que leur audace et la crédulité du peuple. Elles feront surtout connaître le nombre et les habitudes de ceux qui se dévoueront à l'art de guérir : elles fourniront les moyens de surveiller et de limiter cette classe, qui, par une multiplication désordonnée, détruisant ses propres moyens d'existence, languit bientôt dans la détresse, et finit par se dégrader en se plongeant dans la fange de l'ignorance.

Par d'autres dispositions, on a pourvu aux moyens de subvenir aux dépenses des établissements que ce nouvel ordre de choses doit comporter. Une rétribution exigée des élèves, et proportionnée aux avantages que leur procurera le titre qu'ils auront obtenu, dotera les jurys, les écoles, et soulagera le trésor public. L'émulation ne peut que s'accroître par cette mesure dans le sein des écoles; l'attachement des élèves ne pourra qu'augmenter aussi pour l'objet de leurs études, par l'effet de ce sentiment si naturel à l'homme qui lui fait mettre de la valeur et de l'importance aux choses, en proportion du prix qu'elles lui coûtent.

Enfin, pour cimenter toutes les parties de ce système, pour fortifier les liens de cette nouvelle institution, des mesures répressives, des dispositions pénales sont indiquées. Elles auront surtout l'avantage de faire cesser des abus dont gémissent toutes les parties de la France,qui sont plus graves encore qu'ils ne sont nombreux,et contre lesquels les préfets de la plupart des départements avaient en vain employé des moyens de rigueur que rendait impuissants le défaut d'accord et d'autorité.

Tribuns, après une affreuse anarchie, pendant le long silence des lois, le désordre a gagné de toutes parts, et s'est établi dans le domaine de l'art de guérir. Des hordes d'empiriques assiégent les places dans les cités, se répandent dans les bourgs, dans les campagnes, et portent partout la désolation et l'effroi. Vous ferez cesser cette calamité publique; vous mettrez un terme au brigandage qui règne. A sa place, vous établirez la puissance salutaire de cet art, qui, soit par son ancienneté, soit par l'importance et la dignité de son objet, soit par son utilité, ne le cède à aucun autre; qui, né comme l'agriculture, des premiers besoins de l'homme, offre, comme elle, une des premières sciences dont ils aient ébauché les éléments; qui, dévoué tout entier à l'étude de la nature dans son plus parfait ouvrage, recherche les parties si cachées de son organisation, et les ressorts secrets qui le font agir et penser; qui, se liant à toutes les branches de l'administration, instruit l'homme d'Etat sur les divers objets de salubrité publique, poursuit les fléaux qui nuisent à la population, perfectionne dans cette vue ses méthodes préservatives, éclaire les tribunaux, et prête un appui même à la morale; qui distribue sur tous les points de l'empire des hommes éclairés; qui joint le courage au savoir, et a aussi son genre d'héroïsme, soit que,

compagnon inséparable du métier des armes, au sein des combats, il vole dans les rangs pour se- · courir les victimes du plus noble dévouement, soit qu'environné de dangers plus grands encore,fermè au milieu du deuil et de la consternation générale, il affronte ces grandes contagions qui dépeuplent la terre, et brave cet invisible ennemi dont le souffle est celui de la mort. A ce tableau vous reconnaîtrez cet art également cher aux sciences et à l'humanité; cet art puissant et consolateur qui méritera toujours des hommages, et qui, revivifié par les soins du Gouvernement, multipliera ses secours et doublera ses bienfaits. La section de l'intérieur vous propose de voter l'adoption du projet.

Le Tribunat ordonne l'impression de ce rapport. La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DU CITOYEN MÉRIC. Séance du 17 ventôse an XI (mardi 8 mars 1803).

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. L'ordre du jour appelle la discussion de dix projets de loi concernant les communes de Ricquevir, Bénejacq, Bordères, Routignon et Monmour, présentés dans la séance du 7 ventose par le conseiller d'Etat Regnauld (de Saint-Jean-d'Angély).

Après avoir entendu les citoyens ChabaudLatour, Chassan et Garry, orateurs du Tribunat, ces projets de loi sont adoptés.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, titre 1er du Code civil, relatif à la jouissance et à la privation des droits civils.

Garry. Citoyens législateurs, nous venons vous apporter le vœu du Tribunat en faveur du projet de loi relatif à la jouissance et à la privation des droits civils.

Le projet de loi, ainsi que l'annonce son titre, se divise naturellement en deux parties. L'une traite de la jouissance des droits civils; l'autre s'occupe de leur privation.

CHAPITRE PREMIER.

De la jouissance des droits civils.

Le projet de loi commence par déclarer que l'exercice des droits civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle ne s'acquiert et ne se conserve que conformément à la loi constitutionnelle.

Trois espèces de droits régissent les hommes réunis en société : le droit naturel ou général, qui se trouve chez toutes les nations; c'est celui qui établit la sûreté des personnes et des propriétés, et qui est la source de tous les contrats entrevifs, sans lesquels il est impossible de concevoir qu'une association quelconque puisse se former ou se maintenir;

Le droit civil, qui est le droit propre à chaque nation, et qui la distingue des autres; c'est celui qui règle les successions, les mariages, les tutelles, la puissance paternelle, et généralement tous les rapports entre les personnes;

Enfin, le droit politique, qui n'est pas moins propre à une nation que son droit civil, mais qui, s'occupant d'intérêts plus relevés, détermine la manière dont les citoyens concourent plus ou moins immédiatement à l'exercice de la puissance publique. Il était nécessaire de séparer les règles de ce droit de celles du droit civil, de rappeler que les premiers appartiennent à l'acte constitutionnel, tandis que les autres sont l'objet de la loi civile, afin que tout ce qui est établi pour un

ordre de choses ne pût jamais s'appliquer à l'autre. Après avoir établi cette distinction, également sage et nécessaire, le projet de loi règle quels sont ceux qui sont appelés à jouir des droits civils. Il distingue à cet effet les individus nés en France et ceux nés en pays étranger.

On conçoit facilement pourquoi il ne s'occupe point de ceux nés en France de Français. C'est bien pour ceux-là qu'est essentiellement faite la loi française, et que sont établis les droits civils.

Mais il y a eu plus de difficultés pour l'individu né en France d'un étranger. Un premier système tendait à déclarer cet individu Français, sans s'embarrasser de sa destinée et de sa volonté ultérieures. Puisqu'un heureux hasard, disait-on, l'a fait naître sur notre territoire, il faut que ce bonheur s'étende sur toute sa vie, et qu'il jouisse de tous les droits de Français. A l'appui de cette opinion, on citait l'exemple de l'Angleterre, où tout individu né sur le sol anglais est sujet du roi.

Les vues généreuses qui avaient produit ce système, ont cédé à des motifs d'un ordre supérieur. On a reconnu qu'il serait trop injuste et trop peu convenable à la dignité nationale que le fils d'une étrangère qui lui aurait donné naissance en traversant le territoire français, et qui, emmené aussitôt par ses parents dans le lieu de leur origine, n'aurait ni résidé, ni manifesté le désir de s'établir en France, y pût jouir de tous les bienfaits de la loi civile. Ces bienfaits ne sont dus qu'à ceux qui se soumettent aux charges publiques, et dont la patrie peut à chaque instant réclamér les secours et l'appui. C'est un devoir pour quiconque est adopté par la loi d'un pays de se montrer digne de cette faveur, et d'associer sa destinée à celle de sa patrie adoptive, en y' établissant sa résidence. Certes on ne peut attribuer plus d'effet au hasard de la naissance qu'on en accordait autrefois aux lettres de naturalité, sollicitées par l'étranger, accordées par le souverain, et enregistrées avec la solennité des lois, dans les tribunaux dépositaires de son autorité. Or la condition expresse et nécessaire des lettres de naturalité était la résidence en France; condition si absolue que son observation faisait perdre au naturalisé les droits et la qualité que ces lettres lui conféraient.

Quant à la loi anglaise, elle ne fait que consacrer une maxime féodale, dont le motif n'a rien de commun avec celui de la disposition que nous discutons.

On a donc établi en principe, dans l'article 9, qu'il faut que celui qui est né en France d'un étranger réclame la qualité de Français, qu'il forme cette réclamation dans l'année de sa majorité, afin que la patrie dans le sein de laquelle il a vu le jour ne reste pas plus longtemps incertaine sur sa détermination; et ici l'on distingue :' ou bien il réside en France, et alors il joint à sa réclamation la déclaration qu'il entend y fixer son domicile; ou il réside en pays étranger, et, dans ce cas, il fait sa soumission de fixer en France son domicile, et il doit l'y établir dans l'année à compter de l'acte de så soumission. Ainsi le bonheur de sa naissance n'est pas perdu pour lui; la loi lui offre de lui assurer le bienfait de la nature; mais il faut qu'il déclare l'intention de le conserver.

Le projet de loi s'occupe ensuite de ceux nés en pays étranger. C'est l'objet des articles 10, 11 et 13.

Trois hypothèses s'offrent ici à votre examen : ou c'est un individu né en pays étranger d'un Français ayant conservé cette qualité, ou bien

105 c'est le fils d'un Français l'ayant perdue, ou bien enfin c'est un individu né de parents étrangers. Point de difficulté quant à l'enfant du Français, quoique né en pays étranger. La qualité de Français lui est assurée par la volonté de ses parents et par le vœu de sa patrie.

Celui né d'un Français qui a perdu cette qualité pourra toujours la recouvrer en remplissant les conditions imposées par l'article 9 à l'individu né en France d'un étranger, c'est-à-dire en accompagnant d'une résidence effective sa déclaration ou sa soumission de s'établir en France. Observez cependant qu'il est plus favorablement traité que cet étranger né en France, car celui-ci n'a qu'une année à compter de sa majorité pour manifester sa volonté, tandis que l'autre le peut toujours, et dans toutes les époques de la vie. Les motifs de cette différence rentrent dans ceux de la disposition elle-même. Ils sont fondés sur la faveur due à l'origine française, sur cette affection naturelle, sur cet amour ineffaçable que conservent à la France tous ceux dans les veines desquels coule le sang français. Vainement un père injuste ou malheureux leur a ravi l'inestimable avantage de leur naissance; la patrie est prête à le leur rendre; elle leur tend les bras; elle leur ouvre son sein; elle répare à leur égard l'injustice de leurs parents ou les rigueurs de la fortune.

La disposition qui vous est proposée, citoyens législateurs, est d'ailleurs conforme à ce qui s'observait dans l'ancienne jurisprudence. Les enfants de Français qui avaient abdiqué leur patrie recouvraient leurs droits et leur qualité, en vertu de simples lettres de déclaration, tandis que les étrangers n'acquéraient cette qualité et ces droits qu'avec des lettres de naturalité.

Je passe à la troisième classe d'individus nés en pays étranger: ce sont ceux qui y sont nés de parents étrangers; et c'est là véritablement ce qu'on appelle étrangers.

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Leur sort est réglé par deux dispositions du projet de loi que je crois devoir mettre en même temps sous vos yeux. L'une est celle de l'article 11; l'autre est celle de l'article 13.

L'article 11 est ainsi conçu: « L'étranger jouira « en France des mêmes droits civils que ceux qui « sont ou seront accordés aux Français par les « traités de la nation à laquelle cet étranger ap« partiendra. »

L'article 13 s'énonce dans ces termes : « L'étran«ger qui aura été admis par le Gouvernement à « établir son domicile en France y jouira de tous « les droits civils, tant qu'il continuera d'y ré« sider. >

Vous voyez, citoyens législateurs, que, dans la première de ces dispositions, il est question de l'étranger qui reste et veut rester étranger à la France; et, dans la seconde, de l'étranger qui veut devenir Français. Je ne sépare pas encore une fois ces deux articles, parce que le dernier me fournit la solution de l'unique objection contre le premier.

J'établis d'abord la justice de l'article 2, et je demande qu'il me soit permis de rappeler une distinction fondée sur la nature des choses, et consacrée par l'histoire de tous les peuples.

Il faut distinguer le cas où une nation règle les intérêts de ses propres citoyens, de celui où elle statue sur ses rapports avec les nations étrangères.

Quand elle s'occupe de ses propres citoyens, quand elle travaille pour elle-même, elle peut, sans péril, s'abandonner aux vues les plus libe

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