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conquérants. Les guerres n'en arrivent pas moins, quand les occasions s'en présentent; et les déclamations des prédicateurs, et les rêves des philosophes, sont démentis par l'histoire, dont les leçons se renouvellent sans cesse.

Dans presque tous les états européens, dit l'auteur que j'analyse, la direction des relations extérieures de l'état ressort du prince souverain. Comme chef de l'état il est chargé de maintenir ces relations, de déclarer la guerre, d'en diriger les opérations, et de conclure la paix. Il est vrai de dire, cependant, que dans les états constitutionnels les chambres peuvent participer directement à l'exercice des pouvoirs de déclarer la guerre et de conclure la paix, et elles auront toujours leur influence indirecte sur ces questions en votant le budget. En Angleterre, par exemple, où la couronne exerce ces pouvoirs souverains, néanmoins aucune guerre ne peut être commencée ou continuée sans l'approbation du parlement. Mais, si on veut soutenir que les princes et les cabinets sont plus dominés par les passions et les préjugés que les chambres, et si on voulait pour cette raison confier exclusivement à ces dernières le pouvoir de déclarer la guerre, on peut répondre que des nations entières sont tout aussi susceptibles d'être égarées par la passion que leurs princes. La nation anglaise a souvent forcé la main à son gouvernement pour le contraindre à faire la guerre contre les véritables intérêts du pays. La popularité de Pitt a été fondée sur son habileté à se plier aux désirs de la nation. Ce ne fut que plus tard, lorsque les passions se calmèrent, que l'on se convainquit que la guerre avait été entreprise sans nécessité et sans avantage.

La fidèle observation des traités est, d'après Hegel, le principe fondamental qui lie les états entre eux. Cependant les relations mutuelles de ces états étant fondées sur leur souveraineté, ils sont encore, les uns envers les autres, dans ce qu'on appelle l'état naturel. Leurs droits mutuels ne sont pas garantis par une puissance supérieure. Ces droits dépendent

de leurs volontés séparées. Il n'y a pas de juge suprême et souverain arbitre entre les états. Un tel juge suprême et souverain arbitre ne pourrait être constitué que par des conventions spéciales qui dépendraient pour leur exécution de volontés séparées. La conception de Kant d'une paix perpétuelle, reposant sur une association d'états pour décider, comme autorité reconnue de tous les membres de l'union, de chaque dissentiment entre eux, et pour en empêcher la décision par la guerre, suppose nécessairement le consentement des états

associés. Mais, dit Hegel, comme la durée de ce consentement. quelles que soient les considérations morales et religieuses sur lesquelles elle repose, dépendrait des volontés séparées de ces états, elle est toujours sujette à être interrompue. Les dissentiments entre les états souverains ne peuvent donc être vidés que par la guerre, à moins que les volontés séparées ne tombent d'accord pour les arranger. La grande difficulté sera toujours de déterminer quels sont les actes qui dans les relations multipliées des nations doivent être regardés comme violant les traités, l'indépendance reconnue, ou l'honneur national d'un état. Chaque état peut faire dépendre sa sûreté et son honneur de circonstances infiniment variées, dont il est le seul juge compétent, et qui sont souvent aggravées par la susceptibilité de la nation et le besoin qu'elle sent de diriger son activité vers l'extérieur. La réalité de la provocation qui donne lieu à des hostilités peut souvent reposer sur de simples conjectures, ou bien on peut se mettre en garde contre un danger éventuel qu'on considère comme probable.

Hegel termine cette partie de son ouvrage, en énonçant le principe que la reconnaissance mutuelle des états souverains continue, même en temps de guerre. La relation d'ennemis est transitoire, et le droit des gens suppose toujours la possibilité et même l'espoir du rétablissement de la paix. De cette supposition dérive l'usage de limiter l'exercice des droits de la guerre aux seuls combattants, et d'en exempter les per

sonnes et les propriétés des particuliers. Cet usage, ainsi que ceux de ne pas tuer les prisonniers, de respecter les droits des ambassadeurs, et d'observer les conventions de trêve, a pris son origine dans cette identité de mœurs, de culture et de législation qui a formé des nations de l'Europe une seule grande famille. C'est de cette manière que la conduite de ces nations entre elles est modifiée en temps de guerre, car, ne fussent ces règles, il n'y en aurait plus d'autre que de se faire mutuellement le plus de mal possible. Le commerce mutuel des citoyens de divers pays en temps de paix est réglé d'après le même principe. Cependant ces relations sont sujettes à des fluctuations continuelles, et peuvent être interrompues par des accidents imprévus. Dans ce cas, il n'y a pas d'autre juge suprême entre les états souverains que l'Être suprême 1. Nous avons remarqué qu'aucun des publicistes qui ont traité des instituts du droit des gens depuis Vattel ne mérite la réputation de classique. Le nom de Mackintosh pourrait de la nature bien faire exception à cette remarque, s'il avait complété le magnifique plan d'un cours d'enseignement du droit de la nature et des gens qu'il a tracé dans un discours public prononcé en 1797. L'auteur de ce discours avait déjà acquis une immense réputation comme publiciste, par sa réponse à l'ouvrage célèbre de Burke contre la révolution française, publiée en 1791, sous le titre de Vindicia Gallica. Le discours en question devait servir d'introduction à un cours complet sur cette science, qui a été prononcé, mais qui n'a jamais été livré à l'impression. Nous croyons ne pouvoir mieux terminer notre ouvrage que par une courte analyse de ce discours sur l'étude du droit de la nature et des gens.

Le savant auteur commence en donnant une définition de la science dont il s'occupe. « La science, dit-il, qui fait connaître les droits et les devoirs des hommes et des états, a été

HEGEL, Grundlinien der Philosophie des Rechts, von GANS, §§ 321-339.

$ 44. Mackintosh, sur l'étude

du droit

et des gens.

appelée dans les temps modernes le droit de la nature et des gens. Sous ce titre sont compris tous les principes de la morale, en tant qu'ils règlent la conduite des individus entre eux dans les différentes relations de la vie; en tant qu'ils déterminent la soumission des citoyens aux lois, et l'autorité des magistrats, soit dans la législation, soit dans le gouvernement; en tant qu'ils fixent les rapports des nations indépendantes dans la paix, et qu'ils mettent des bornes à leurs hostilités dans la guerre. »

Il justifie la dénomination reconnue de « droit de la nature et des gens,» comme étant fondée sur le principe que les mêmes règles de morale qui lient les hommes entre eux dans les familles, et qui réunissent les familles en nations, obligent également les nations entre elles, comme membres de la grande société humaine. « C'est donc avec justice, dit-il, qu'une partie de cette science a été appelée le Droit naturel des individus, comme l'autre est nommée le Droit naturel des étals. Une chose, au surplus, qui se comprend assez d'elle-même pour qu'il soit inutile de s'y arrêter, c'est que ces deux droits sont également sujets à toutes sortes de modifications et de variétés, suivant les mœurs, les conventions, le caractère et les circonstances. Eu égard à ces principes, les écrivains qui ont traité de la jurisprudence générale ont considéré les états comme des personnes morales. Ce mot, qu'on a appelé une fiction de la loi, mais qui peut être plutôt regardé comme une métaphore hardie, n'est autre chose que l'expression de cette vérité importante, que les nations, quoique ne reconnaissant aucun supérieur commun, quoique ne pouvant et ne devant être soumises à aucun châtiment humain, sont néanmoins assujetties à pratiquer entre elles les devoirs de la probité et de l'humanité, absolument comme les individus y seraient astreints, lors même qu'on les supposerait vivant affranchis des entraves protectrices des gouvernements, lors même qu'ils ne seraient pas forcés à l'accomplissement de leurs obligations

par la juste autorité des magistrats, et par la salutaire terreur des lois. C'est encore par suite des mêmes considérations que cette loi universelle a été appelée loi de la nature, et cela avec beaucoup de justesse, quoique plusieurs écrivains trouvent cette dénomination trop vague. On peut avec une exactitude suffisante, ou tout au moins à l'aide d'une métaphore bien simple, l'appeler une loi, puisqu'elle est pour tous les hommes une règle de conduite suprême, invariable et inattaquable, et puisque sa violation est punie par des châtiments naturels, qui dérivent nécessairement de la constitution des choses, et qui sont aussi certains et aussi inévitables que l'ordre même de la nature. C'est la loi de la nature, car ses préceptes généraux ont essentiellement pour but d'assurer le bonheur de l'homme, tant que sa nature actuelle restera ce qu'elle est aujourd'hui, ou, en d'autres termes, tant qu'il continuera d'être homme, quels que soient d'ailleurs les temps, les lieux, les circonstances dans lesquels il a pu ou pourra être placé; car elle est susceptible d'être comprise par la raison naturelle, et en harmonie avec notre constitution naturelle; car sa convenance et sa sagesse sont fondées sur la nature générale des hommes, et non sur aucune des situations passagères ou accidentelles dans lesquelles ils peuvent se trouver. C'est encore avec plus de justesse, c'est même avec la plus stricte et la plus parfaite exactitude qu'on la considère comme une loi, si conformément aux notions sublimes que nous donnent la philosophie et la religion sur le gouvernement du monde, nous la recevons et nous la respectons comme le code sacré que le grand législateur de l'univers a promulgué pour guider ses créatures dans le chemin du bonheur; code garanti et fortifié, ainsi que l'expérience nous le démontre, par la sanction pénale de la honte, des remords, de l'infamie et de la misère; fortifié plus encore par la crainte légitime de peines bien plus terribles dans une vie à venir qui ne finira pas. C'est la contemplation de la loi de la nature, avec cette considération par

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