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s'appliquait non-seulement à toutes les constructions. qui bordent les routes, mais encore à celles qui y ont un accès direct, alors même qu'elles sont retirées en dehors des limites de la route. Cette interprétation, contraire à la lettre de l'arrêt, qui ne parle que des édifices étant le long et joignant la route, est également opposée à son esprit ; car on ne peut admettre qu'il impose une servitude de cette nature sans fixer l'étendue dans laquelle elle devra s'exercer. Le Conseil d'Etat a jugé plusieurs fois, et notamment les 4 février 1824 (Legros), 2 avril 1828 (Marteau), qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les règlements de grande voirie aux bâtiments construits en arrière des alignements. Consulté par le ministre de l'intérieur, il a émis l'avis, le 21 août 1839, que l'administration n'a pas le droit de prohiber les réparations confortatives des constructions qui se trouvent en retraite de l'alignement. Le ministre de l'intérieur a adopté cet avis dans une circulaire du 10 décembre 1839. Depuis cette époque, le ministre des travaux publics a soutenu la thèse contraire devant le Conseil d'Etat; mais le Conseil a confirmé sa jurisprudence par des arrêts des 21 juin 1844 (Sollet), 16 janvier 1846 (Mombrun), 11 mai 1854 (Le= quesne) (1). Le Conseil a aussi repoussé les prétentions du ministre des travaux publics, qui voulait obliger un riverain à construire sur l'alignement même de la route, et considérer comme une contravention le fait d'avoir bâti en arrière de cet alignement. (Id., 6 déc. 1844, Taque.)

Le décret du 16 décembre 1811 oblige les riverains des routes impériales à planter sur leurs terrains à un mètre de distance du bord extérieur des fossés (88, 89

(1) . une jurisprudence contraire de la Cour de cassation statuant en matière de petite voirie (no 1376).

et 90). Ceux qui voudront construire dans cet espace sercnt-ils obligés d'en obtenir l'autorisation? Nous avions jusqu'ici admis l'affirmative; mais une plus niûre réflexion nous fait revenir sur cette opinion. Les servitudes légales ne s'établissent pas par induction, elles doivent être fondées sur des lois bien positives qu'on ne rencontre pas ici. L'obligation de planter s'applique évidemment à des terrains situés en pleine campagne, sur lesquels il n'est pas probable qu'on élève un jour des constructions, mais elle n'est pas exclusive du droit de le faire. Enfin le Conseil d'Etat, dans les arrêts que nous avons cités plus haut et dans un autre arrêt du 14 mars 1845 (Pajot), a décidé que dès qu'un propriétaire construit en retraite de la route, il n'est assujetti à demander aucun alignement. Dans le cas de l'arrêt du 21 janvier 1844 (Sollet), le bâtiment n'était situé qu'à quarante centimètres de la route.

L'on doit donc tenir comme un principe constant, reconnu par la jurisprudence du Conseil d'Etat, que les riverains d'une grande route peuvent sans autorisation faire des constructions dans le voisinage de la route, pourvu qu'elles ne lui soient pas contiguës, ou réparer les édifices construits en retraite. (C. d'Et., 8 avril 4846, Bertrand.) Lorsqu'un décret d'alignement a indiqué une portion de terrain comme devant être réunie au sol, si cette portion est libre de toute construction, elle est réunie à la route par l'effet du décret (n° 1275); quand même l'Etat n'en prendrait pas possession immédiatement, le propriétaire n'en aurait qu'une possession précaire qui ne lui permettrait pas d'y construire; mais nous pensons qu'alors le propriétaire pourrait requérir et qu'on ne pourrait lui refuser l'indemnité, qui, en cas de contestation, serait réglée, ainsi que nous l'avons dit, par le jury.

4282. Il n'en serait pas de même si la portion de terrain indiquée comme devant être réunie à la route était couverte de constructions ou entourée de murs; son incorporation à la route n'aurait lieu qu'au moment où les constructions seraient démolies (no 1275): de là nait la question de savoir si le propriétaire pourrait en attendant construire sur la partie retranchable, ou réparer les constructions non contiguës à la route. D'un côté, l'on peut dire que l'existence du nouveau plan d'alignement soumet les parties vacantes du terrain à la servitude non ædificandi, et les édifices déjà construits aux mêmes charges que ceux qui bordent la route; que, s'il en était autrement, l'exécution du plan deviendrait impossible, puisque les propriétaires ne manqueraient jamais de faire des travaux de consolidation ou de reconstruction. De l'autre côté, on répond que les terrains compris entre des murs ne sont pas réunis à la route par l'effet de l'arrêté; que par conséquent, jusqu'à l'expropriation, le propriétaire a le droit d'y élever des constructions; que l'obligation de demander l'autorisation pour réparer des édifices existants n'est imposée qu'à l'égard des constructions qui bordent la route, et non à l'égard de celles qui sont en retraite.

Cette question est fréquemment soulevée à l'occasion de maisons ou de clôtures dont une partie doit être retranchée. Le Conseil d'Etat décide que le propriétaire peut faire des travaux sur la partie retranchable, pourvu qu'ils n'aient pas pour résultat de consolider le mur de face, sauf le contrôle de l'administration, qui a le droit de vérifier en tous temps si les travaux n'ont pas été confortatifs, et, dans le cas de l'affirmative, d'en ordonner la démolition (25 février 1841, Bajot; 2 février 1854, Dlle Loriot) (1); mais qu'il ne peut construire

(1) Un arrêt postérieur du 22 février 1850 (Piollet), tout en recon4

TOME III.

derrière le mur un nouveau mur qui pourrait remplacer l'ancien en cas de démolition. (Id. 16 mai 1827, ¡Calame.)

La Cour de cassation, appelée à statuer sur des questions analogues en matière de voirie urbaine, après avoir d'abord adopté la jurisprudence du Conseil d'Etat (Ch. erim., 25 juill. 1829, Chandesais), a décidé depuis, par plusieurs arrêts, que « la fixation de l'alignement des rues » d'une ville, faite conformément aux dispositions de » l'art. 52 de la loi du 16 sept. 1807, en déterminant les >> retranchements qui doivent être opérés sur les pro

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priétés riveraines pour l'élargissement ou le redresse>>ment de la voie publique, soumet les portions de » terrain ainsi légalement annexées à cette voie à une » servitude dont le but et le résultat sont d'empêcher le » propriétaire de nuire à la viabilité, et de retarder » indéfiniment l'exécution des plans d'alignement; >> qu'il suit de ces principes que toute construction est » interdite sur ces terrains, à moins d'une permission » de l'autorité municipale....; que cette interdiction » résulte formellement des dispositions de l'édit de déc. » 1607 et de l'art. 50 de la loi du 16 sept. 1807. » (C. C., ch. réunies, 6 août 1846, Gamelin.) Nous croyons la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation préférable à celle du Conseil d'État, que nous avions adoptée d'abord, sans aller toutefois jusqu'à dire d'une manière générale que le décret d'alignement annexe légalement le naissant que les travaux faits dans l'intérieur ne sont pas confortatifs et par conséquent ne doivent pas être démolis, confirme cependant la condamnation à l'amende, par le motif que ces travaux ont été faits malgré le refus d'autorisation. On voit, en lisant les faits, que le sieur Piollet avait exhaussé le mur de clôture et l'avait disposé de manière à supporter les fermes d'une charpente servant de couverture à un hangar. Pour avoir fait cet exhaussement malgré le refus d'autorisation, il devait être condamné à l'amende.

terrain à la voie publique. L'annexion n'a lieu qu'à l'égard des terrains sur lesquels n'existe aucune construction (no 1275); quant aux autres, ils sont seulement grevés de la servitude dont la Cour détermine les effets. La jurisprudence du Conseil d'Etat, en n'interdisant que les travaux confortatifs, et en décidant que les autres peuvent être faits sans autorisation, sauf un examen postérieur, nous parait insuffisante; car, dès qu'il y a lieu de distinguer entre les travaux, cette distinction doit être préalable, et l'autorisation de l'administration est nécessaire. On reconnaît la règle pour la façade et on la repousse pour les autres parties du terrain; cependant chaque parcelle de ce terrain est frappée de la même servitude que la façade; il y a donc lieu de lui appliquer les mêmes règles.

Il résulte de ces principes que l'administration doit faire connaître aux propriétaires les plans d'élargissement d'une manière officielle, soit par les moyens ordinaires de publicité, soit par des notifications spéciales, car ceux-ci pourraient prétexter cause d'ignorance; et, comme ils ne sont obligés de prendre l'alignement qu'autant qu'ils construisent le long et joignant la route, on ne pourrait les faire condamner à la démolition, lorsqu'ils auraient construit en retraite sur leur terrain, si on ne leur prouvait pas qu'ils avaient ou devaient avoir connaissance du nouveau plan et des servitudes qui en dérivent. L'avis du Conseil d'Etat du 25 prairial an XIII exige en effet qu'il soit donné connaissance des décrets aux personnes qu'ils concernent par publication, affiche, notification, signification, envoi fait ou ordonné par les fonctionnaires publics chargés de l'exécution, et décide qu'ils ne sont obligatoires qu'à partir de l'accomplissement de cette formalité.

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