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avancés pour constituer une maison, on ne peut plus procéder que par la voie d'expropriation, en faisant rendre un décret spécial. Mais à quel moment les constructions ont-elles le caractère de maison? Lorsque l'édifice est élevé à la hauteur du rez-de-chaussée. Il est de règle, en effet, en matière de voirie, que le rezde-chaussée équivaut à la maison; s'il est solide, Ja maison ne peut être forcée de reculer, on ne peut même empêcher la reconstruction des étages supérieurs. (C. C. crim., 28 mars 1845, Bernard, et instr. minist., 13 fév. 1806.) Notre solution peut s'appuyer sur le considérant de l'arrêt Turin, qui constate que les constructions dont il a ordonné la démolition n'existaient pas à hauteur de rez-de-chaussée. S'il ne s'agissait que d'un simple mur de clôture, nous pensons que la notification du changement obligerait à le reculer tant qu'il n'aurait pas reçu son couronnement.

Par qui serait réglée l'indemnité dans le cas où il n'y aurait pas lieu d'employer la voie de l'expropriation? Nous pensons que ce serait par le jury, car le nouveau plan d'alignement obligera à reculer ou à avancer; l'indemnité due au propriétaire dans le premier cas et par lui dans le second étant réglée par le jury (nos 1275-1276), il parait naturel d'y faire entrer le montant du dommage.

1274. La peine prononcée contre ceux qui construisent le long des routes sans avoir obtenu l'autorisation est, d'après l'édit de 1765, de 300 livres d'amende, de démolition et de confiscation des matériaux. (V. la possibilité de réduire l'amende, no 1304.)

Dans la pratique, l'administration ne requiert pas, et par conséquent les conseils de préfecture et le Conseil d'État ne prononcent pas la démolition des édifices qui ne sont pas construits en dehors de l'alignement, ni,

dans le cas de démolition, la confiscation des matériaux. On trouve même un arrêt du Conseil qui se contente de condamner à l'amende un propriétaire, et, du consentement du ministre, décide qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la démolition de la terrasse qu'il a construite sur le bord d'une rivière navigable en dehors de l'alignement. ( C. d'Ét., 22 février 1850, Dartigue.)

1275. Il arrive quelquefois que, par suite d'un plan général d'alignement, les constructions qui bordent une route déjà existante doivent reculer ou avancer. Si l'État veut l'exécuter immédiatement, il est obligé de procéder par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique (L. 16 septembre 1807, 51); mais, le décret approbatif du plan d'alignement ayant été précédé d'une enquête, il n'est pas nécessaire d'accomplir les formalités prescrites par le titre 2 de la loi du 3 mai 1844; il ne reste plus qu'à prendre l'arrêté qui détermine les propriétés cessibles, et à requérir l'expropriation.

Comme cette manière d'agir est très-dispendieuse quand il existe des constructions sur le bord de la route, on attend ordinairement, pour exécuter les plans d'alignement, que les propriétaires fassent démolir leurs édifices; ils sont alors obligés de céder une partie de leur terrain moyennant une indemnité qui ne représente plus que la valeur du sol devenu vacant, sans égard à la dépréciation de ce qui reste (L. 16 sept. 1807, 50, et C. C. civ., 21 février 1849, Auquin. ) En cas de contestation, cette indemnité, réglée autrefois dans les formes prescrites par la loi du 8 mars 1810, l'est aujourd'hui par le jury, d'après la loi du 3 mai 1841; c'est une de ces expropriations implicites dont nous avons parlé dans le n° 708. Un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 1838 (req., Cuvillier) décide que la dé

possession n'a lieu qu'au moment du payement de l'indemnité, et que jusque-là le propriétaire peut valablement hypothéquer le terrain ou le céder. Nous ne partageons pas cette opinion. Il résulte de l'esprit de la loi que le terrain désigné pour faire partie d'une route s'y trouve incorporé immédiatement, s'il est vacant, et au moment de la démolition, dans le cas où il est couvert d'édifices. Peu importe que l'indemnité ne soit pas encore payée ; l'expropriation implicite qui s'opère au moment de la démolition, en vertu du décret d'alignement dont l'effet était suspendu jusque-là, produit les mêmes conséquences que le jugement d'expropriation; elle transporte la chose au domaine public, en laissant cependant la possession à l'ancien propriétaire jusqu'au moment où l'indemnité est payée. (V n° 671.) Ce principe a été reconnu par un autre arrêt de la chambre criminelle de la même Cour du 16 juillet 1840 (Delalande.)

1276. Lorsqu'au lieu de reculer, le propriétaire est obligé d'avancer, il doit payer la valeur du terrain qu'il acquiert; et, en cas de contestation, cette valeur est réglée par le jury dans les formes établies par la loi du 3 mai 1841, et d'après les bases fixées par la loi du 16 décembre 1807, art. 53. ( C. d'État, 27 janvier 1853, Lecoq) (1). La faculté de reconstruire n'étant accordée au propriétaire qu'à condition qu'il se

(1) Le Conseil d'Etat est d'avis que, toutes les fois qu'un alignement donné par l'autorité compétente, sur une voie publique autre qu'un chemin vicinal, force un propriétaire à reculer ses constructions ou à s'avancer sur la voie publique, l'indemnité qui lui est due dans le premier cas et celle dont il est débiteur dans le second doivent être réglées, en cas de contestation, par le jury institué par la loi du 7 juillet 1833 (aujourd'hui du 3 mai 1841). (Avis du Conseil d'Etat du 1er avril 1841.) (V. pour les cessions cu les acquisitions à l'amiable, la circulaire du 11 février 1850, qui abrége et simplifie les formes.)

conformera à l'alignement, il ne peut se refuser à faire cette acquisition sans se causer à lui-même un tort fort grave. Si cependant il laissait son terrain vacant, et qu'il pût en résulter quelque préjudice, l'administration aurait le droit de l'acquérir par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique. (L. 16 sept. 1807, 53, §2.)

1276 bis. Le propriétaire auquel on accorde l'autorisation d'avancer sur la voie publique peut se mettre en possession immédiate du terrain, sans qu'il soit nécessaire d'employer une autre forme de cession, ni même d'attendre que le prix soit fixé. (C. C. req., 27 mai 1851, Cloz.) Mais en avançant ses constructions il peut exciter les réclamations d'un voisin qui prétend avoir sur le terrain concédé par l'administration soit des servitudes, soit même un droit de propriété. Comment ce voisin fera-t-il reconnaître son droit, quelles seront les conséquences du droit reconnu? Si l'on veut résoudre la question par les principes du droit commun, on se trouve en présence de sérieuses difficultés: on est obligé alors d'admettre avec un arrêt de la Cour de cassation (req., 12 juillet 1842, David) que la faculté de bâtir sur une ancienne portion de la voie publique, concédée par l'administration, laisse intacte la question du droit des tiers, et que les tribunaux peuvent ordonner la démolition des constructions faites au préjudice de ces droits (1). Il faut alors accorder au concessionnaire une action en garantie contre l'État, à moins qu'on ne décide, comme le Conseil d'Etat, que les alignements sont donnés aux risques et périls de ceux qui les obtiennent.

(1) Il est vrai que, dans l'espèce, l'autorisation de construire avait été donnée sans préjudice des contestations qui pourraient s'élever entre le concessionnaire et le riverain. Mais l'arrêt de la Cour est formulé d'une manière générale.

(C. d'Ét., 31 mai 1855, Favatier.) Il résulte de ce système que l'administration pourrait contraindre un propriétaire auquel elle concède malgré lui une portion de terrain à subir toutes les conséquences d'un procès devant les tribunaux avec les voisins (Conseil d'État, 12 janvier 1854, Duclos); qu'un propriétaire obligé, par la décision administrative, à élever au moins un mur de clôture sur le terrain qui lui est concédé, pourrait être en même temps contraint par le tribunal à le démolir; enfin que le terrain concédé par l'administration pourrait être revendiqué par l'ancien propriétaire.

Voici la solution que nous proposons pour cette question délicate. Quand l'administration détermine les choses qui font partie du domaine public, les droits des tiers se résolvent en une indemnité (n° 794). Si l'administration oblige un riverain qui veut reconstruire sa maison à avancer, et lui fait cession d'un terrain, elle décide par là implicitement que ce terrain fait partie de la voie publique et, quand elle le transmet à un particulier par voie d'alignement, elle le libère des servitudes auxquelles il pouvait être assujetti. Ainsi le propriétaire qui reçoit le terrain n'a pas de procès à soutenir avec les voisins; ceux-ci peuvent assigner l'Etat devant les tribunaux pour faire reconnaître leurs droits, et, quand cette reconnaissance a eu lieu, ils peuvent réclamer une indemnité, qui est réglée soit par le jury, s'ils étaient propriétaires du terrain, soit par le conseil de préfecture, s'ils avaient seulement des droits de servitudes. (C. d'État, 15 juin 4842, Phalipon.) Ces principes sont confirmés par un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation, plus récent que celui que nous venons de citer, et qui, bien qu'il statue en matière de petite voirie, pose

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