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leur propriété; quant à ceux plantés sur le sol de la route, il faut, pour comprendre quel est le droit à leur égard, entrer dans l'analyse de la législation compliquée qui les concerne.

La plus ancienne ordonnance sur cette matière est celle du mois de février 1522. Elle enjoint à tous seigneurs hauts justiciers, et à tous manants et habitants des villages et paroisses, de faire planter le long et sur le bord des grands chemins publics, dans les lieux qu'ils jugeraient à propos et commodes, des ormes ou autres arbres. Une ordonnance du 19 février 1552 renouvelle ces dispositions. L'ordonnance de Blois de l'an 1579, après avoir dit dans son art. 336 que les grands chemins seront remis à leur ancienne largeur, nonobstant toutes usurpations, ajoute: « Et à ce que » cy-après n'y soit fait aucune entreprise, seront » plantés et bordés d'arbres, comme ormes, noyers ou >> autres, selon la nature et commodité du pays, au >> profit de celui auquel la terre prochaine appar» tiendra. » Un édit de 1583 contient des dispositions analogues.

La législation, à cet égard, a été changée par l'arrêt du Conseil du 26 mai 1705, lequel fait défense aux particuliers de planter à l'avenir des arbres, « sinon » sur leurs héritages et à la distance de trois pieds (un » métre) des fossés qui les séparent du chemin. » Les arrêts du Conseil des 3 mai 1720, 17 juin 1721, et une ordonnance du bureau des finances du 29 mars 1754, portent à six pieds (deux mètres) la distance à laquelle les arbres devront être plantés, et imposent aux propriétaires l'obligation d'observer certaines formalités relatives au remplacement des arbres et aux soins qu'ils exigent.

1256. Ainsi, à l'époque de la révolution de 1789, il fallait distinguer les arbres plantés sur le sol de la

TOME III.

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route avant le 26 mai 1705, et ceux plantés après les premiers appartenaient aux particuliers, les seconds à l'Etat, à moins qu'ils n'eussent été acquis par les particuliers, ou plantés en vertu d'une concession. Comme ces différentes distinctions présentaient des difficultés, la loi du 28 août 1792 décida, art. 18, que, jusqu'à ce qu'il eût été statué sur les arbres des routes nationales, nul ne pourrait s'approprier lesdits arbres et les abattre; que leurs fruits seulement et que les bois morts appartiendraient aux riverains, ainsi que les élagages quand il serait utile d'en faire; ce qui n'aurait lieu que de l'agrément des corps administratifs, et à la charge par les riverains d'entretenir les arbres et de remplacer ceux qui mourraient (1).

La loi annoncée n'était pas rendue; et, en attendant, le Directoire exécutif déclarait, par un arrêté en date du 28 floréal an IV, inséré au Bulletin des Lois, que le principe de la loi du 28 août 1792 était applicable même au concessionnaire du droit de plantation sur le bord d'une route; que cette concession devait être réglée par les lois des 22 novembre 1790, 22 septembre 1791 sur les domaines engagés, et que par conséquent le concessionnaire n'avait droit qu'au remboursement de la somme qu'il avait payée pour l'obtenir (2).

1257. La loi du 9 ventôse an XIII, sans rien statuer sur les arbres existants, décida que les propriétaires riverains auraient à l'avenir le droit de planter sur le sol des grandes routes dont la largeur serait reconnue suffisante; qu'ils auraient la propriété des arbres et de

(1) Il résulte de ces dispositions que, dans les cas prévus par la loi, l'élagage n'est pas une preuve de propriété.

(2) Ce n'était là qu'une décision particulière du Directoire, laquelle, d'après les principes constitutionnels, ne devait pas faire loi pour les tribunaux.

leurs produits, mais qu'ils ne pourraient les couper, les abattre ou arracher sans une autorisation donnée par l'administration, et à la charge du remplacement. La loi ajoutait que, s'ils n'usaient pas de ce droit dans le délai de deux ans, à partir de l'époque à laquelle l'administration aurait désigné les routes qui devaient être plantées, le gouvernement planterait à leurs frais des arbres dont la propriété leur appartiendrait, comme dans le cas précédent.

1258. Enfin le décret du 16 décembre 1811 prononça en ces termes sur la question restée indécise jusqu'alors: «< Tous les arbres plantés avant la publi>> cation du présent, sur les routes impériales, en dedans >> des fossés et sur le terrain de la route, sont reconnus » appartenir à l'Etat, excepté ceux qui auront été plantés » en vertu de la loi du 9 vent. an XIII (art. 86). » Cette disposition fut entendue et appliquée en ce sens qu'elle transférait à l'Etat la propriété de tous les arbres plantés sur le sol des routes, de telle sorte que les particuliers ne pouvaient être admis à prouver qu'ils en étaient propriétaires. (Arrêt du Conseil, 29 mai 1813, Flamen.)

1259. D'après cette jurisprudence, le décret de 1811 opérait une véritable spoliation; les nombreuses réclamations auxquelles il a donné lieu ont produit la loi du 12 mai 1825, dont l'article 1er est ainsi conçu : << Seront reconnus appartenir aux particuliers les >> arbres actuellement existants sur le sol des routes >> royales et départementales, que ces particuliers >> justifieraient avoir légitimement acquis à titre oné>> reux, ou avoir plantés à leurs frais en exécution » des anciens règlements. » Ainsi la présomption est en faveur de l'Etat, propriétaire de la route, sauf aux riverains à faire la preuve du contraire, en dé

montrant soit qu'ils ont usé du droit ou satisfait à l'obligation de planter qui leur était imposée par les anciens règlements, soit qu'ils ont acquis de l'État ou le droit de planter ou la propriété des arbres.

1260. Les héritiers d'un ancien seigneur ayant réclamé la propriété des arbres que leur auteur avait plantés sur le sol de la route en qualité de seigneur voyer, l'Etat soutint que leur réclamation devait être repoussée comme fondée sur un droit féodal aboli par les lois de la révolution; mais la Cour de cassation repoussa ce système, et décida que la loi de 1825, conçue en termes généraux, s'applique sans distinction à tous ceux qui ont planté les arbres en vertu des anciens règlements, et notamment aux anciens seigneurs auxquels ces règlements imposaient l'obligation de planter sur le sol de la route en leur accordant la propriété des arbres; que par conséquent la réclamation, fondée sur un droit de propriété et non sur un droit féodal, devait être admise. (C. C. req., 24 déc. 1835, St-Aldegonde.)

1261. La loi de 1825 peut-elle être invoquée par ceux qui, ayant réclamé sous l'empire du décret du 16 décembre 1811, ont été repoussés par les dispositions de ce décret? Nous nous étions décidé d'abord pour la négative (1), en nous fondant sur le double principe de la non-rétroactivité de la loi et de l'autorité de la chose jugée; mais, en examinant de plus près le décret de 1811 et la loi de 1825, nous avons cru devoir abandonner cette opinion, parce qu'il nous a semblé que l'un et l'autre principe étaient inapplicables. En effet la loi de 1811 était une loi de spoliation, celle de 1825 est une loi de restitution; la première donnait à l'Etat des arbres appartenant aux particuliers, la (1) Première édition, t. 2, p. 203 et 204, en note.

seconde rend ces mêmes arbres à ceux qui prouvent qu'ils en étaient propriétaires avant 1811. Ainsi se trouve créé au profit de ces individus un droit nouveau, à l'exercice duquel on ne peut opposer ni la loi de 1811, ni des jugements qui n'avaient qu'elle pour base, parce que ce serait tomber dans l'excès contraire à la rétroactivité, celui de prolonger l'existence d'une loi abrogée. De 1811 à 1825, le décret a produit tous ses effets; l'État a été propriétaire, et en conséquence a joui de l'élagage, a coupé les arbres, etc. A partir de 1825, il a cessé d'être propriétaire, les particuliers le sont devenus à sa place, sous la condition de prouver qu'ils avaient ce titre autrefois. C'est ainsi qu'un émigré qui aurait été repoussé, avant 1814, dans la réclamation faite contre l'État d'une de ses anciennes propriétés confisquées, aurait pu cependant, après la loi du 16 décembre 1814, qui ordonne la restitution des biens non vendus, intenter de nouveau une action en revendication des mêmes biens, en vertu des droits que lui aurait donnés cette loi nouvelle, sans qu'on eût pu lui opposer l'ancien jugement.

Un auteur qui adopte cette opinion (1) en tire une conséquence que nous n'admettons pas, en décidant que les propriétaires dont les arbres ont été coupés et vendus par l'État sous l'empire du décret de 1811 peuvent aujourd'hui réclamer une indemnité. Cette indemnité serait équitable sans doute, mais elle ne résulte pas de la loi, qui statue au contraire sur les arbres actuellement existants. Lorsqu'une injustice a été commise, il n'est pas toujours facile d'en réparer toutes les suites, et l'on trouve dans la législation un grand nombre d'exemples de ces réparations incomplètes. La loi prend ici les choses dans l'état où elles. (1) M. Garnier, Traité des Chemins, p. 103 et 110.

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