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mortalité de cette fubftance fpirituelle, il fuffit de fuivre l'auteur & de confidérer un moment avec lui le crime triomphant. Le colonel Kirke, foldat de fortune, avoit été chargé par Jacques II, Roi d'Angleterre, de marcher contre les rebelles du royaume. Ses armes furent par- tout victorieufes & le vaincu étoit fans pitié dévoué à la mort.. L'aimable & tendre Jenny, inftruite que le brave Sydnei âgé de vingt-deux ans & qui avoit reçu sa foi, eft condamné, quoiqu'innocent à périr du fupplice des rebelles, n'a point recours à la froide reffource des gémiffemens; elle vole chez le colonel Kirke & lui demande une audience fecréte. Dès qu'elle l'apperçoit, elle-tombe à fes genoux : Milord,-s'écrie-t'elle en reprenant haleine prefque à chaque mot, vous avez condamné à mort le chevalier Sydnei... C'eft le plus vertueux des hommes... C'est mon époux... Elle ne put en dire davantage; mais les larmes, dont fon vifage étoit inondé, le mouvement de fes lèvres tremblantes & les palpitations de fon fein plaidoient éloquemment en fa faveur. Le féroce guerrier ne foutint pas long-tems le fpectacle de tant de charmes & de tant de douleurs : Mada

me, dit-il, je fuis ici le feul arbitre de la deftinée de votre époux; mais fi je le rends à vos larmes, par quel prix?... Si vous le rendez, grand Dieu! vous ne fe rez que jufte aux yeux du Ciel, mais vous ferez au mien le plus généreux des hommes. Chaque mot de Jenny enflammoit encore davantage le tyran; il la releve, la fait affeoir auprès de lui, & lui saisissant la main : Madame, dit-il, que Sydnei eft coupable à mes yeux ! Il eft votre époux... Jenny rougit & recule fon fiége; le colonel rapproche le fien; & ferrant avec ardeur le bras de l'infortunée quoi, dit-il, tant de charmes feroient au pouvoir d'un traître !

Sydnei un traître!... Eh bien ! milord, s'il l'eft, c'eft fa grace que je demande.

Belle étrangere, vous demandez fa grace que ces regards ardens font bien fûrs de l'obtenir, mais par quel prix?..

:

Eh! que peut une malheureufe pour fatisfaire le miniftre des Rois? Ah! fi j'étois moi - même fur le trône, je croirois avilir la vertu fi j'ofois la récompenfer.

Femme adorable, vous poffédez un tréfor que j'eftime plus que la faveur des

Rois; ce regard tendre.... Ce teint qui a la fraîcheur de la rofe... Ah! fi j'ofois l'efpérer...

Barbare, je t'entends; c'eft de mon opprobre que tu attends le prix de ton odieufe clémence; tu feras adultere, afin d'être juste...

Idole de ma vie croyez...

Va, laiffe moi... Je confens d'être malheureufe; mais je ne veux pas être vile... J'ai lu d'un feul regard dans les replis de ton ame criminelle; tant d'iniquité de ta part me démontre l'innocen ce de mon époux : qu'il meure. . .. Lui mourir!... homme barbare, je retombe à vos genoux; au nom de tout ce qui vous eft cher fur la terre, rendez à ma douleur votre victime; n'exigez pas d'une femme éplorée le plus affreux des facrifices; permettez que je puiffe encore lever vers le Ciel des regards fereins; ne me forcez pas à un attentat que les remords d'une vie entiere ne fauroient effacer.

Un tigre auroit refpecté tant de vertus, le tyran n'en devient que plus ivre d'amour & plus avide de crimes. Non, ditil, je ne fçais point facrifier ma félicité à de frivoles fcrupules; ce foir je ferai le plus fortuné des hommes, ou vous n'au

rez plus d'époux... Je confens cependant à ménager votre jufte délicateffe; ce palais eft expofé aux regards du Public. C'eft chez vous que je veux tomber à vos pieds, & vous entretenir de ma flamme; ce foir je m'y rendrai en filence, & fans fuire : fi votre porte eft ouverte, votre époux a fa grace: finon, tremblez.

Soldat féroce... & tu crois que la voix d'un homme fuffit pour me faire trembler? Va, j'ai l'ame plus haute que toi, puisque je n'ai point encore fait l'apprentiffage du crime. Ellaie de fauver mon époux, & de me faire fubir à fa place le fupplice des traîtres; tu verras G j'ai mon innocence, avec quelle fierté je monterai fur l'échafaud; l'époufe de Sydnei craint Dieu & l'opprobre, mais elle fe croit faire pour braver les tyrans.

Adorable farie, je me crois affez grand pour vous pardonner ce foir tant d'outrages... Ce foir...

Jenny fort la rage dans les yeux, & la mort dans le fein; elle entre d'abord fous un berceau, témoin des derniers fermens qu'elle fit à fon cher Sydnei, & fe jetant તે genoux: arbitre fuprême de mes jours, s'écrie- t'elle, je ne t'impute point mes malheurs. Tu es, fans doute, le dieu du

bien, puifque c'eft moi qui l'attefte... Mais i ma vie fut pure, fi le cœur de Sydnei eft digne de toi, enleve moi dans ton fein & fauve moi d'affreux blafphêmes. Cette priere terrible ne fait qu'aigrir le fiel qui la dévore; elle monte dans fon appartement; & jetant un regard fur fon lit: voilà, dit-elle, la place que Sydnei devoit occuper : fa place n'eft plus que dans mon cœur... Sydnei... Ah! quand je ferois affez malheureuse pour vivre encore, qui pourroit jamais remplir cette place fatale? Je n'eus qu'un pere, je n'aurai jamais qu'un époux. Mon époux!... Il mourra, & j'ai pu le fauver! & j'ai pu !.. Quelle horrible alternative! de fubir la haine de la patrie ou de la mériter. Mais fi ma vertu étoit moins cruelle! fi je ne livrois à mon tyran que ce corps que la mort va bientôt engloutir! , tandis que des amantes vulgaires facrifient leur vie à un amant, je facrifiois mon honneur à un époux!.. je n'y furvivrois pas... N'importe, foyons vile &

mourons.

Jenny ne laiffe point à fon délire le tems de fe calmer, elle fe précipite vers la porte de fa maison, l'ouvre avec agitation, remonte, & tombe évanouie aux

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