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peroraifon, il le prit dans fes bras, & le préfentoit aux juges, en difant des chofes fort touchantes. L'enfant pleuroit, & fes larmes fecondant l'éloquence du défenfeur, excitoient la compaffion de toute l'affemblée. L'avocat adverfe, inquiet de voir ainfi les cœurs émus, éleva la voix & dit à l'enfant Mon cher ami, qu'as-tu donc à pleurer? Il me pince, répondit le petit innocent. Auffi-tôt les pleurs fe changerent en huées fur l'avocat, auteur de la rufe; & tout fon pathétique tourna contre lui & contre fa cause.

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M. le Maître, après s'être fait le plus grand nom par fes plaidoyers, s'étoit retiré à Port-Royal-des- Champs, & cet homme célèbre avoit pris pour fa fonction d'être l'économe du monaftere & d'acheter les provifions néceffaires pour la maison. Il fut un jour pour cet effet à la foire de Poiffy, & y acheta un certain nombre de moutons. Celui qui les avoit vendus fufcita quelques chicanes, & lui fit un méchant procès fur le prix de la vente, prétendant en avoir plus d'argent

que M. le Maître, déguifé en marchand fous le nom de Dranffé, ne lui en avoit donné. Ils plaiderent eux-mêmes leur caufe devant le bailli de Poiffy. Le mar

chand Dranffé foutint fon droit avec cette éloquence qui avoit fait tant de réputation à M. le Maître; il cita les loix, la coutume, les ordonnances de nos Rois & montra un favoir & une érudition qui jeterent M. le Bailli dans le plus grand étonnement. Sa partie adverse l'interrompit deux on trois fois, à tort & à travers, fans favoir ce qu'il difoit; auffi le juge lui impofa filence en lui difant : « Tais toi, » gros lourdaut, laiffe parler ce mar» chand. S'il falloit vuider le différend à » coups de poing, je crois bien que tu »en battrois une vingtaine comme lui; » mais il s'agit ici de raison & de justice, » & il aura tes moutons malgré toi; il te » les a bien payés.» Puis fe tournant du » côté du prétendu Dranffé, il prononça » une fentence en fa faveur & lui dit: » Je vois bien, marchand, que vous n'a»vez pas toujours exercé le métier que » vous faites. Il faut que vous ayez été » autrefois avocat & fils de maître : vous » avez la langue trop bien pendue ; vous » dites d'or; vous favez le droit & la

coutume. Je vous confeille de quitter » le négoce & de vous faire avocat plai»dant; vous y acquerrez autant de gloire que le célèbre M. le Maître.

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C'est un mauvais brocard du palais, de dire qu'il est permis à un plaideur qui a perdu fon procès, de fe répandre pendant vingt-quatre heures en injures contre fes juges; à moins que l'injure ne fût fi légere, qu'elle pût être excufée par le premier mouvement de la perte du procès. Un pareil plaideur s'étant avifé de dire en fortant de l'audience, que l'un de fes juges étoit un fou & l'autre un cocu; l'un vouloit fe pourvoir; l'autre plus patient, difoit qu'il méprifoit l'injure. Après une conteftation à ce fujet, le premier fe fâcha, & dit à l'autre qu'il étoit un fou. Celui ci lui répondit : « Je fuis ravi que » vous ayez expliqué l'énigme; puifque je fuis le fou, vous êtes le cocu. »

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Un avocat, dans une caufe toute de fait, citant l'autorité de Cujas, & difant qu'il prenoit à témoin ce grave jurifconfulte; la partie adverfe, qui étoit une femme préfente à l'audience, s'écria: » Meffieurs, l'avocat eft un menteur, Cu»jas n'y étoit pas. >>

M. Fourcroy, avocat, plaidoit pour un jeune homme qui s'étoit marié fans le confentement de fon pere, lequel demandoit la caffation du mariage. Cet avo. cat voyant que fa partie perdroit infailli

blement fa caufe, effaya de toucher les cœurs. Il fit venir pour cela à l'audience, le jour qu'il devoit plaider, deux enfans nés de ce mariage. Il tâcha d'intéreffer les juges en leur faveur, & fachant que le grand pere étoit préfent, il fe tourna pathétiquement vers lui, & lui montrane de la main ces deux enfans, il l'attendrit fi fort que celui qui demandoit la caffation du mariage, déclara hautement qu'il l'approuvoit. Ce trait a pu fuggérer à M. de la Mothe la fcène de deux enfans qui, dans Inès de Caftro, ont produit des impreffions fi touchantes.

Un avocat du parlement de Paris, fe trouvant à la campagne, réfolut de s'amufer à l'auditoire du bailli du lieu, qui étoit un payfan renforcé. Il fe chargea de plaider la caufe d'un habitant, & fe mit à plaider en latin. Le juge le laiffa parler tant qu'il voulut; enfuite il fit fermer la porte de fon auditoire, & prononça gra

vement ces mots : « Condamnons l'avo» cat d'un tel à payer, fur le champ, l'a તે » mende d'un louis d'or, pour avoir parlé » devant nous une langueque nous n'enten» dons pas. L'avocat fut obligé de payer ainfi fa plaifanterie, & n'eut garde de fe pourvoir contre ce jugement fur l'appel

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duquel il n'auroit pas eu les rieurs de fon côté.

Effai fur la Morale de l'Homme ou philolofophie de la nature, 3 vol. in 12. avec des gravures; prix 9 liv. les trois vol. reliés. A Amfterdam, chez Arkstée & Merkus; & à Paris, chez Saillant & Nyon, libraires, rue St Jeande-Beauvais.

La nature peut être confidérée fous une multitude de faces, mais l'auteur de cet effai-ne l'envisage ici que dans les rapports que l'homme a avec les êtres intelligens. Il ne prétend point faire des géomètres, mais de bons parens, de bons fujets épris de l'amour de l'ordre & bien perfuadés qu'obéir aux loix c'eft obéir à foi-même, des hommes enfin qui fachent fe plaire avec eux mêmes & qui apprennent à étudier la nature dans un cœur pur & bienfaifant & non dans les livres. La philofophie de la nature que nous annonçons aura plus de trois volumes, ceux que l'on publie aujourd'hui forment néanmoins dans un fens un ouvrage complet, parce qu'ils renferment en entier la théologie naturelle & le traité de l'ame. Pour être convaincu de l'im

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