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LE MAL- ENTENDU. Conte moral..

FLORIMONT & Léontis étoient amis dès leur enfance; le même lieu les avoit vu naître; ils avoient paffé leurs premières années fous les mêmes maîtres. Une conformité de caractère & de goûts avoit encore affermi cette union. Ces deux amis demeuroient dans le fond d'une Province. Leur habitation n'étoit qu'à une très-petite diftance l'une de l'autre. Uniquement occupés de leur famille & de l'agriculture, ils n'envioient point le fort de ceux qui alloient dans les villes traîner l'ennui qui les accabloit; ils plaignoient leur fort, & les regardoient comme des malheureux qui ne connoiffoient pas le doux plaifir de contempler la nature. Ces deux familles, quoique féparées, fembloient n'en faire qu'une; elles fe raffembloient fouvent chez l'une ou chez l'autre. Leurs jours partagés entre les occupations de la cam pagne & les douceurs aimables de la fociété leur procuroient un contentementdélicieux, inconnu dans les villes où règne un dégoût qui corrompt tous less

plaifirs. Ils goûtoient un charme inex primable en voyant croître les arbres qu'ils avoient plantés; affis à l'ombrage dont ils couvroient la terre, ils étoient, plus fatisfairs que dans ces palais magni fiques, où l'art fait de vains efforts pour imiter la nature. Ils mangeoient fouvent enfemble fous les mêmes berceaux de verdure qu'ils avoient eux-mêmes formés; la franchife & la liberté préfidoient à ces festins; on n'y connoitoit point cette contrainte qui bannit de nos repas le plaifir & la gaité. Les convives n'étoient point entourés de valets curieux devant lefquels il faut garder le filence oa ne tenir que des difcours vagues & frivoles.

Florimont avoit un fils appelé Dorilas, qui avoit heureufement confervé fon innocence & la pureté de fes mœurs dans le fein même de la corruption. Quoique élevé dans les écoles où la jeuneffe n'eftque trop fouvent corrompue, le vice n'avoit jamais eu de charmes pour lui; l'horreur qu'on lui en avoit infpirée dans la maison paternelle; l'avoit garanti des pièges de la féduction. il avoit rapporté chez fon père la candeur & la fimplicité de l'enfance. Mais cette heureufe ignorance ne dura pas long-tems. La vue de Lucinde

qui venoit du couvent, fit chez le jeune Dorilas un changement dont il fut luimême étonné. Le calme & la tranquillité, qui jufqu'alors avoient régné dans fon ame, firent place à des tranfports qu'il n'avoit jamais éprouvés. Ses regards dont la férénité annonçoit auparavant la paix intérieure dont il jouiffoit, devinrent en un moment rendres & paffionnés ; d'accord avec fon cœur, ils exprimoient les divers mouvemens dont il étoit agité. Lucinde n'étoit pas dans un état moins violent; plus éclairée que ce jeune homme, elle jugea par la rougeur dont elle voyoit fes joues colorées, par l'expreffion affectueufe de fes regards, qu'il fe paffoit dans fon ame quelque chofe de femblable à ce qu'elle éprouvoit ellemême. Cette agréable idée augmentoit encore fon embarras: timide, déconcertée, voulant dérober à la connoiffance des fpectateurs la joie que fon cœur goûtoit en fecret, elle bailoit les yeux,ou les jetoit fur différens objets, comme pour faire accroire qu'elle n'étoit point occupée de ce qui fe paffoit devant elle. Mais quand ils rencontroient ceux de Dorilas, qui, dans l'ivreffe de fa paffion, fembloit ne vivre & ne refpirer que par elle, fon cœur étoit oppreflé

par une foule de fentimens inconnus : la blancheur de fon teint fe changeoit dans le plus vif incarnat; des larmes étoient prêtes à s'échapper. Heureufement pour elle, la nuit qui venoit & qui commençoit à couvrir la terre de fon ombre, avertit Florimont & fon époufe de retourner chez eux.

Dorilas auroit bien voulu refter chez Léontis, mais la crainte de découvrir à fon père la paffion que Lucinde avoit allumée dans fon cœur, l'obligeoit à garder le filence. Lorfque fon ame tranquille ne connoiffoit point encore les feux dévorans de l'amour, il ignoroit l'art de feindre, le menfonge ne fouilloit point fes lèvres; mais, en perdant fon innocence, il devint plus timide & plus circonfpect; il craignoit pour la première fois le refus, fans démêler cependant le motif de fa crainte; il fuivoit fon père en penfant à Lucinde, dont il étoit entiérement occupé.

Florimont curieux de fçavoir ce qui fe paffoit dans l'efprit de fon fils, qui paroiffoit rêveur, dit à fon époufe; je n'ai jamais rien vu de fi parfait que Lucinde; à ce mot Dorilas fe réveille; il s'approche pour entendre une converfation qui doit l'intéreffer. Florimont, fei

gnant de ne pas s'en appercevoir, conti nue; j'avois des vues fur cette fille charmante; j'avois des idées. . . . . mais n'y penfons plus, celles de Léontis ne s'ac-. cordent pas avec les miennes; il trouve pour Lucinde un parti fort avantageux, & sûrement..... Ah! mon père, interrompit Dorilas en rougiffant, Léontia va marier Lucinde? Mais acceptera-t elle le parti qui lui eft offert? L'a-t-on confultée? Que vous importe, mon fils, reprit Florimont? Quel intérêt prenez vous à cette fille que vous venez de voirpour la première fois? D'ailleurs, ft. vous aimez le père, ne devez vous pas être fatisfait du bonheur de fa fille? Dorilas ne répond pas; mais les larmes qui coulent de fes yeux, expriment beaucoup mieux que des paroles, l'état où il eft; il fe tourna pour les effuyer en fecret. Florimont & fon époufe qui les apperçurent, changent de converfation pour ne lui pas donner lieu de foupçon-. ner qu'ils l'euffent pénétré. Ce jeune homme n'est plus occupé que de la perte de Lucinde; cette afligeante idée le tourmente jour & nuit. Sa gaité fe change en une trifteffe mortelle qui lui ôte le repos. Quelques jours après il retourna feut chez Léontis; il veut entretenir Lucinde,

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