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économiste', descendent par des gradations insensibles depuis la plus grande, qui est unique, jusqu'aux plus petites, qui sont les plus multipliées, de même le savoir, l'habileté, la vertu doivent aller en décroissant depuis les hommes les plus habiles, les plus savans, les plus vertueux, qui sont uniques chacun dans leur genre, jusqu'aux moins vertueux, aux moins savans et aux moins habiles, qui sont partout les plus

nombreux.

6. Il faut ajouter que ces inégalités une fois établies tendent naturellement à se perpétuer; c'est-à-dire que la misère, l'ignorance et le vice sont des raisons très fortes pour rester pauvre, ignorant et vicieux, et qu'il est d'autant plus malaisé de parvenir à un certain degré d'instruction, de moralité et de bien-être, que, pour s'élever à cet état, on prend son essor de plus bas.

S'agit-il, par exemple, d'acquérir du bien? moins on en a et plus la chose est difficile. On ne peut commencer à s'enrichir que lorsqu'il devient possible d'économiser; et comment songer

(1) M. Say, Trait. d'éc. pol., t. II, p. II.

à faire des épargnes, lorsqu'on n'a pas même de quoi satisfaire les premiers besoins ? Dans les sociétés les plus prospères, il y a toujours un certain nombre d'hommes dont les facultés manquent absolument d'emploi. Il y en a beaucoup d'autres qui, en travaillant avec excès, gagnent à peine de quoi vivre. Ceux-là même dont les profits commencent à s'élever au-dessus des be"soins ordinaires se déterminent difficilement à faire des économies ; ils regardent comme impossible de s'élever à une meilleure condition; ils ont rarement assez de force de tête et de volonté pour oser concevoir la pensée et poursuivre la résolution de parvenir à une certaine aisance. Que de difficultés pour eux en effet dans une telle entreprise! Combien de désavantages dans leur situation! Le moindre accident peut renverser l'édifice de leur petite fortune, et leur faire perdre en un instant le fruit de plusieurs années de fatigue et de privations. Un progrès dans l'industrie, l'introduction d'une machine, l'abandon d'une mode vont rendre tout à coup leurs bras inutiles et les laisser plus ou moins longtemps sans travail. Joignez que l'ouvrier, ayant un marché moins étendu que l'entrepreneur, a

toujours quelque désavantage dans les transactions qu'il fait avec lui'. Joignez encore que dans le temps où son marché est plus resserré, ses nécessités sont plus urgentes, et que ceci donne à l'entrepreneur un nouveau moyen de lui faire la loi'. Devient-il à son tour chef d'entreprise? avec

que

(1) L'ouvrier ne travaille que pour l'entrepreneur, tandis l'entrepreneur travaille pour le public. Un ouvrier en horlogerie, par exemple, ne peut offrir ses services qu'à des horlogers, tandis que l'horloger peut vendre ses montres à tout le monde. On sent combien est meilleure la position de ce dernier. Il est sûrement plus facile aux horlogers de s'entendre pour réduire le salaire de leurs ouvriers qu'au public de se concerter pour faire baisser le prix des montres.

(2) « Le maître et l'ouvrier, observe M. Say, ont bien également besoin l'un de l'autre, puisque l'un ne peut faire aucun profit sans le secours de l'autre; mais le besoin du maître est moins immédiat, moins pressant. Il est peu de maîtres qui ne pussent vivre plusieurs mois, plusieurs années même sans faire travailler un seul ouvrier; tandis qu'il est peu d'ouvriers qui pussent, sans être réduits aux dernières extrémités, passer plusieurs semaines sans ouvrage. Il est bien difficile que cette différence de position n'influe pas sur le règlement des salaires. >> (Traité d'écon. pol. t. II, p. 113, 4e éd.)

Il arrive quelquefois aux ouvriers de chercher à balancer le désavantage de leur situation en se coalisant pour obtenir de meilleurs gages. Ces entreprises, criminelles lorsqu'ils emploient la violence pour les faire réussir, leur sont nuisibles, alors même qu'elles sont innocentes, si leur travail est au prix où la concurrence peut naturellement le porter. Les ouvriers sont fondés à se plaindre toutes les fois qu'ils ne peuvent disposer de leur activité sans contrainte, louer leurs services au plus

un mérite inférieur au sien le possesseur d'un grand capital aura sur lui des avantages considérables : les capitaux ont une force à eux toutà-fait distincte de celle de l'industrie qui les fait valoir; ils sont doués d'une puissance attractive, et plus il y en a dans un certain lieu, plus il est aisé d'y en amasser. L'entrepreneur riche peut travailler plus en grand, et introduire dans ses

offrant, chercher la condition la meilleure. Mais du moment que rien ne gêne l'emploi de leurs forces, et que leur travail est au prix où peut le porter un libre marché, il n'y a plus pour eux que deux moyens légitimes de faire hausser le prix de la main-d'œuvre, c'est de faire qu'elle soit moins offerte, ou qu'elle soit plus demandée. Le dernier de ces moyens n'est guère à leur disposition; mais ils disposent complètement de l'autre : s'ils ne peuvent pas augmenter la demande de l'ouvrage, ils peuvent au moins diminuer le nombre des ouvriers; comme ce sont eux qui en fournissent la place, il dépend toujours d'eux d'en prévenir la multiplication. Il n'est pas de situation où il ne leur importe d'user de cette ressource. On aurait beau leur laisser toute liberté pour le travail, la demande de l'ouvrage aurait beau croître, si, à mesure qu'ils gagneraient davantage, ils créaient toujours un plus grand nombre d'ouvriers, il est clair que leur situation ne saurait devenir meilleure. Ils ne sont à plaindre que parce qu'ils se multiplient trop; c'est leur extrême accroissement qui, faisant baisser le prix de la maind'œuvre, est cause que leur part dans les profits de la production est quelquefois si peu proportionnée à la peine qu'ils se donnent; c'est par l'effet de leur grand nombre qu'ils éprouvent tant de désavantage dans les marchés qu'ils font avec les entrepreneurs.

travaux une meilleure division; il lui est plus aisé de faire les avances qu'exige l'emploi des moyens d'exécution expéditifs et économiques; il peut acheter à meilleur marché parce qu'il a la facilité de payer comptant; les ressources qu'il a devant lui lui permettent de profiter des bonnes occasions qui se présentent, et de faire à propos ses approvisionnemens. Il a finalement mille moyens de réduire ses frais de production qui manquent au petit entrepreneur, et qui peuvent mettre celui-ci dans l'impossibilité de sou

tenir sa concurrence 1.

S'agit-il d'acquérir de l'instruction? L'homme des derniers rangs de la société n'est pas dans une situation moins désavantageuse. Tout contribue à prévenir le développement de ses facultés, la nature de ses relations, la simplicité de ses besoins, la grossièreté et l'uniformité de ses

(1) A la vérité les petits entrepreneurs pourraient trouver dans la faculté de s'associer et d'unir leurs forces un moyen de diminuer le désavantage de leur position; mais, outre qu'il est rarement facile de fondre plusieurs petites entreprises en une grande, celles dans lesquelles il y aurait unité de vue, d'intérêt et de volonté auraient encore un grand avantage sur celles où des intérêts différens pourraient introduire des vues et des volontés divergentes.

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