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tout entière à ses affaires, à ses travaux, au soin de sa culture intellectuelle et de son perfectionnement moral; et lorsqu'un jour l'activité industrielle, devenue prédominante en Europe, y aura détruit enfin les ligues de l'ambition, elle sera heureuse sans doute de rompre celles que nous la contraignons de former pour sa défense, et de pouvoir offrir au monde le spectacle de populations innombrables, livrées sans partage aux arts de la paix '.

(1) L'Amérique, dis-je, sera heureuse de relâcher les liens que nous l'avons contrainte de former. Ce n'est guère en effet que pour sa sûreté et à cause de l'esprit dominateur des gouvernemens d'Europe, qu'elle s'est fédérée et qu'elle reste unie. Il n'y a point dans l'industrie de motifs à des coalitions aussi vastes; il n'y a point d'entreprise qui réclame l'union de dix, de vingt, de trente millions d'hommes. C'est l'esprit de domination qui a formé ces agrégations monstrueuses ou qui les a rendues nécessaires; c'est l'esprit d'industrie qui les dissoudra : un de ses derniers, de ses plus grands et de ses plus salutaires effets paraît devoir être de municipaliser le monde.

Sous son influence les peuples commenceront par se grouper plus naturellement; on ne verra plus réunis sous une même dénomination vingt peuples étrangers l'un à l'autre, disséminés quelquefois dans les quartiers du globe les plus opposés, et moins séparés encore par les distances que par le langage et les moeurs. Les peuples se rapprocheront, s'agglomèreront d'après leurs analogies réelles et suivant leurs véritables intérêts.

Ensuite, quoique formés, chacun de leur côté, d'élémens plus homogènes, ils seront pourtant entre eux infiniment moins op

8. Autant donc la vie industrielle est propre, d'une part, à développer nos connaissances, et, d'un autre côté, à perfectionner nos mœurs, au

posés. N'ayant plus mutuellement à se craindre, ne tendant plus à s'isoler, ils ne graviteront plus aussi fortement vers leurs centres et ne se repousseront plus aussi violemment par leurs extrémités. Leurs frontières cesseront d'être hérissées de forteresses; elles ne seront plus bordées d'une double ou triple ligne de douaniers et de soldats. Quelques intérêts tiendront encore réunis les membres d'une même agrégation, une communauté plus particulière de langage, une plus grande conformité de mœurs, l'influence de villes capitales d'où l'on a contracté l'habitude de tirer ses idées, ses lois, ses modes, ses usages; mais ces intérêts continueront à distinguer les agrégations sans qu'il reste entre elles d'inimitiés. Il arrivera, dans chaque pays, que les habitans les plus rapprochés des frontières auront plus de communications avec des étrangers voisins qu'avec des compatriotes éloignés. Il s'opérera d'ailleurs une fusion continuelle des habitans de chaque pays avec ceux des autres. Chacun portera ses capitaux et son activité là où il verra plus de moyens de les faire fructifier. Par là les mêmes arts seront bientôt cultivés avec un égal succès chez tous les peuples; les mêmes idées circuleront dans tous les pays; les différences de mœurs et de langage finiront à la longue par s'effacer. Dans le même temps, une multitude de localités, acquérant plus d'importance, sentiront moins le besoin de rester unies à leurs capitales; elles deviendront à leur tour des chefslieux; les centres d'actions se multiplieront; et finalement les plus vastes contrées finiront par ne présenter qu'un seul peuple, composé d'un nombre infini d'agrégations uniformes, agrégations entre lesquelles s'établiront, sans confusion et sans violence, les relations les plus compliquées et tout à la fois les plus faciles, les plus paisibles et les plus profitables.

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CHAP. IX. LIB. DES PEUP. INDUST.

tant, en troisième lieu, elle est opposée à la violence, aux prétentions anti-sociales et à tout ce qui peut troubler la paix. On voit, en somme, que ce mode d'existence est celui où les hommes usent de leurs forces avec le plus de variété et d'étendue; où ils s'en servent le mieux à l'égard d'eux-mêmes; où, dans leurs relations privées, publiques, nationales, ils se font réciproquement le moins de mal. Concluons qu'elle est celle où ils peuvent devenir le plus libres, ou plutôt qu'elle est la seule où ils puissent acquérir une véritable liberté.

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CHAPITRE X.

Des obstacles qui s'opposent encore à la liberté dans le régime industriel, ou des bornes qu'elle rencontre dans la nature des choses.

1. CEPENDANT l'industrie a beau être favorable à la liberté, quand l'universalité des hommes vivrait ainsi par des moyens exempts de violence, il y aurait dans cette manière de vivre des bornes à la liberté du genre humain, parce qu'il y en a très probablement aux progrès dont l'espèce humaine est susceptible; et de plus, tous les hommes n'y seraient pas également libres, parce qu'il n'est pas possible qu'ils donnent tous le même degré de développement et de rectitude à leurs facultés.

Il faut, si nous voulons éviter les illusions et les mécomptes, nous bien imprimer dans l'esprit une chose : c'est qu'il n'est pas d'état social où tout le monde puisse jouir d'une même somme de liberté; parce qu'il n'en est point où tout le

monde puisse posséder à un égal degré ce qui fait les hommes libres, à savoir l'industrie, l'aisance, les lumières, les bonnes habitudes pri

vées et sociales.

2. Sans doute on ne verrait pas dans le régime industriel des inégalités comparables à celles qui se développent dans les systèmes violens que j'ai précédemment décrits. On n'y verrait pas surtout, au même degré, l'inégalité des fortunes, qui en entraîne tant d'autres après elle. Les différences révoltantes que produisent à cet égard, dans la domination, les levées continuelles de taxes énormes; la distribution du produit de ces taxes à des classes favorisées; les marchés ruineux faits aux dépens du public avec des prêteurs, des traitans, des fournisseurs; les primes, les priviléges, les monopoles accordés à certaines classes de producteurs au détriment des autres; les obstacles de toute sorte, mis à l'activité laborieuse des classes les moins fortunées; les lois enfin destinées à retenir violemment dans un petit nombre de mains les fortunes qui y sont accumulées par tous ces brigandages; les criantes inégalités de richesse, dis-je, qu'en

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