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J'aurai donc soin de rester fidèle à l'objet de cét écrit, qui est de montrer la liberté dans ses causes. Au lieu de la considérer comme un dogme, je la présenterai comme un résultat; au lieu d'en faire l'attribut de l'homme, j'en ferai l'attribut de sa civilisation; au lieu de me borner, comme on l'a presque toujours fait, à imaginer des formes de gouvernement propres à l'établir, ce qu'aucune forme de gouvernement n'est, à elle seule, capable de faire, j'exposerai de mon mieux comment elle naît de tous nos progrès '.

7. Que n'ai-je tout ce qu'un tel travail demanderait de talent et de connaissances positives

pas

(1) Dire que je ne me bornerai pas à parler des formes du gouvernement, ce n'est sûrement pas dire que je ne parlerai pas de ces formes. La manière dont la société s'ordonne pour agir n'est indifférente dans aucun ordre d'actions, et surtout elle ne l'est dans celui-ci. Je sais ce que peut une bonne organisation de la puissance publique; mais je sais aussi ce qu'il y a d'insuffisant et de trompeur dans les théories qui font venir toute liberté de là. C'est beaucoup sans doute que les pouvoirs publics soient bien constitués; mais ce n'est pour qu'ils agissent d'une manière éclairée et morale. Ensuite, quand une nation serait capable à la fois de bien organiser son gouvernement et de le faire bien agir, cela seul ne la ferait pas être libre. Sa liberté, en effet, ne vient pas uniquement de sa capacité politique, elle vient de toutes ses capacités. Il ne suffit donc pas de la considérer dans un seul de ses modes d'ac

pas assez

pour être convenablement exécuté! Je me croirais assuré de rendre un service réel à la politique. Je croirais aussi pouvoir contribuer efficacement à répandre parmi nous des semences d'ordre et de paix. Il est vrai que ce livre n'a pour objet que d'expliquer un seul mot; mais que ce mot renferme de choses, et combien pourrait faire cesser de discordes une bonne définition de la liberté! Qui de nous n'a vu quelquefois tout ce que peut, au milieu des débats les plus animés, une explication lumineuse et vraie de la chose débattue?

J'étais témoin un jour d'une querelle entre plusieurs personnes sur l'éclairage par le moyen du gaz. Il s'agissait de savoir si l'existence au sein de Paris d'établissemens destinés à produire et à tenir en dépôt de grands amas de cette matière inflammable était ou n'était pas une chose dangereuse pour les habitans. La dispute s'était bientôt échauffée, et elle était d'autant plus vive que les contendans, à ce qu'il paraissait, n'avaient qu'une connaissance fort imparfaite du sujet sur lequel ils disputaient. Survint un chi

tion; il faut, pour juger à quel point elle est libre, examiner ce qu'elle déploie dans tous d'intelligence et de morale.

miste reconnu pour habile. On le consulta: il ne prit point parti dans la querelle; mais du ton le plus simple et dans le langage le plus clair, il décrivit l'appareil destiné à recevoir le gaz, et il expliqua, d'après les expériences qui venaient d'être faites, quel concours extraordinaire de circonstances serait nécessaire pour qu'une explosion pût avoir lieu. Il n'y eut plus moyen de contester. Ce peu de paroles calma l'ardeur des contendans, et mit fin à leur discussion qui avait été longue, et qui n'était pas près de se terminer.

Si l'on dispute sur des matières susceptibles d'être si sûrement et si facilement éclaircies, la liberté est bien un autre sujet de querelle. Quel service ne rendrait pas aux hommes celui qui parviendrait à mettre un tel sujet hors de toute contestation! Mais celui-ci est-il matière à expérience comme l'autre? est-il de nature à être aussi clairement, aussi catégoriquement expliqué? Je n'en fais aucun doute. Il n'y a pas plus d'effets sans cause en politique qu'en chimie. L'enchaînement des causes aux effets n'est pas plus impossible à apercevoir dans la première de ces sciences que dans la seconde. J'ai peine à croire,

par exemple, que le phénomène moral auquel je donne le nom de liberté se refuse à l'analyse plus que la chaleur, la lumière, l'électricité et plusieurs autres phénomènes sensibles. Il me paraît très possible de bien expliquer comment la liberté naît, s'étend, se resserre, se modifie. Je ne me flatte pourtant pas de porter dans cet exposé le degré de certitude et de précision qu'on trouve dans les bons livres de chimie et de physique; mais cela viendra moins encore, je dois l'avouer, de la difficulté de la matière que de l'insuffisance de l'auteur. Tout en étant convaincu de l'imperfection de mon travail, je crois fermement à la possibilité de le bien faire, et peutêtre ce que je tente d'autres réussiront-ils à l'exécuter. Quand je ne ferais dans cet ouvrage qu'ouvrir aux études politiques une nouvelle voie, que leur imprimer une direction un peu plus sûre, que montrer un peu plus clairement le but où il s'agit d'arriver et les moyens que nous avons de l'atteindre, je serais loin d'avoir perdu mon temps. Mais cela même est une tâche immense, et je n'oserais dire que j'ai pris la plume avec l'espérance de la remplir.

CHAPITRE PREMIER.

Ce qu'il faut entendre par le mot liberté.

1. L'HOMME, aux premiers regards que nous portons sur lui, se présente à nous comme un être sujet à des besoins, et pourvu de facultés pour les satisfaire. Nous savons tous qu'il lui faut se nourrir, se désaltérer, se vêtir, s'abriter, etc. Nous savons aussi qu'il a pour cela une intelligence, une volonté, des organes.

On a beaucoup cherché si le mobile de ses facultés était en lui-même ou hors de lui, en sa puissance ou hors de sa puissance; s'il donnait son attention, comparait, jugeait, désirait, délibérait, se déterminait, parce qu'il le voulait et comme il le voulait ; ou bien si ses facultés étaient mises en jeu sans lui, même malgré lui, par l'influence de causes sur lesquelles il n'avait aucun empire, et si le résultat de leur travail était aussi indépendant de sa volonté. Nombre de philosophes ont prétendu qu'il était également maître de

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