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de plus odieux encore; et telle communauté d'artisans ou de marchands,, telle compagnie de lettrés ou de légistes, qui auraient accaparé volontiers tout ce qu'il y avait au monde de procès, de savoir, d'industrie, de commerce, frémissaient d'indignation en voyant une classe d'hommes appelés nobles prétendre de leur côté au monopole de certaines places, à l'exemption de certains impôts, etc. On sait assez, sans que je le dise, ce les rivalités de la noblesse et du tiers-état ont produit de troubles et de dissentions dans la plupart des contrées de l'Europe, et tout ce que ces ordres, dans leurs querelles, se sont mutuellement fait souffrir de violences et d'oppressions. Le régime sous lequel ils vivaient était donc pour chacun d'eux une source féconde de maux et de servitudes.

que

Ce régime, qu'on a présenté comme une source d'ordre, parce que les hommes y étaient arrangés avec une sorte de symétrie, n'avait donc tout au plus de l'ordre que les apparences, et recélait, en réalité, une profonde anarchie. Depuis la base du système jusqu'à son sommet, tout le monde y était en état d'hostilité; et c'est précisément dans ce qu'on représente comme

une source de paix qu'était le germe de cette universelle discorde. C'est parce que d'avance la place de chacun y était arrêtée, que nul n'y était content de sa place; il divisait les hommes, parce qu'il les classait arbitrairement; il les excitait à se jalouser, parce que le bien-être y était le fruit de la faveur et non du mérite; il rendait, à tous les étages, les rangs inférieurs ennemis des supérieurs, parce qu'il donnait partout aux supérieurs le moyen d'être injuste envers les subal

ternes.

Enfin, tandis que ce régime entretenait ainsi la division parmi tous les ordres de la société, entre la classe ouvrière et le corps des maîtres, entre les corporations et les corporations, entre les ordres inférieurs et les classes supérieures, il était surtout une cause de guerres de nation à nation. Personne n'ignore le rôle que les jalousies commerciales ont joué, depuis trois siècles, dans les guerres de l'Europe, et les maux horribles que les peuples de ce quartier du globe se sont faits pour s'exclure mutuellement du champ du commerce et de l'industrie, pour accaparer, chacun de leur côté, toute l'activité industrielle et commerciale. Il y a eu pour cela, on le sait

bien, des millions d'hommes égorgés, des fleuves de sang répandu.

Le système des ordres et des corporations, très préférable à celui de l'esclavage, était donc encore, sous beaucoup de rapports, excessivement contraire à la liberté. Il s'opposait au plein développement de l'industrie, de la richesse et des lumières; il entretenait une profonde corruption dans les mœurs; il fomentait violemment la guerre civile et la civile et la guerre extérieure... Hâtons-nous d'avancer vers un meilleur état.

CHAPITRE VIII.

Du degré de liberté qui est compatible avec la vie des peuples qui n'ont pas de priviléges, mais chez qui tout est emporté vers la recherche des places.

1. UNE grande révolution, opérée en France il y a trente-cinq ans, y détruisit, à peu près radicalement, l'ordre social que je viens de décrire. Toutes les distinctions d'ordre furent effacées, toutes les hiérarchies artificielles abolies, toutes les influences subreptices annulées, toutes les corporations oppressives dissoutes.

le

Il ne faut pourtant pas dire, comme on l'a fait si souvent et si faussement, que l'on niveau sur les têtes. Il ne fut sûrement pas

passa

cidé que les hommes de six pieds n'en auraient que cinq, que la vertu serait abaissée au niveau du vice, que la sottise aurait sa place à côté du génie, que l'ignorance et le dénûment obtiendraient dans la société le même ascendant que

la richesse et les lumières : bien loin de chercher à détruire les inégalités naturelles, en voulut, au contraire, les faire ressortir, en ôtant les inégalités factices qui les empêchaient de se produire.

C'étaient les hommes du régime précédent, c'étaient les apôtres du privilége qui avaient été de vrais niveleurs. Dans leurs classifications arbitraires et immuables, ils ne tenaient aucun compte des prééminences réelles, et ils voulaient que l'on fût grand ou petit, bon ou mauvais, habile ou sot, par droit de naissance. C'est contre cette égalisation absurde et forcée que fut dirigée la révolution. Elle brisa le niveau que des mains oppressives tenaient abaissé sur les masses; et, sans prétendre assigner de rang à personne, elle voulut que chacun pût devenir tout ce que légitimement il pourrait être, et ne fût jamais dans le droit que ce qu'il serait dans la réalité. Pour cela, il fut simplement décidé que nul ne pourrait être gêné dans l'usage inoffensif de ses facultés naturelles; que toutes les carrières paisibles seraient ouvertes à toutes les activités ; que toutes les professions, tous les travaux, tous

les services légitimes seraient livrés à la concur

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