Page images
PDF
EPUB

Je peux annoncer d'avance qué cette recherche me conduit au régime industriel', et que ce mode d'existence me paraît être celui où peuvent se perfectionner ou plus ou point non-seulement les arts qui nous enrichissent, mais le savoir et les vertus qui nous honorent. Qu'on déclame tant qu'on voudra contre les hommes qui chercheraient à borner l'activité humaine aux soins de la vie physique : je dis que l'industrie est surtout favorable à la vie intellectuelle et morale; je dis que le régime où notre existence devient la plus douce est en même temps celui où elle acquiert le plus d'éclat et de dignité.

Si cet ouvrage obtient d'être là, j'ai l'espérance que la société industrielle y trouvera les moyens d'éclairer et d'affermir sa marche; qu'elle y apprendra à se connaître; qu'elle y verra d'où elle vient, où elle va, à quelles causes tiennent ses progrès et comment elle travaille efficacement à se rendre libre.

Bien des choses sans doute m'ont manqué pour rendre ce travail aussi utile que je l'aurais voulu. J'ai souvent regretté de n'avoir pas une instruction plus vaste, une connaissance plus précise et plus circonstanciée de beaucoup de faits. J'ai dû regretter aussi de ne pouvoir donner à mon langage

(1) On verra dans le chapitre IX de cet ouvrage ce que j'entends par les mots de régime industriel, de société industrielle. On a tellement abusé de ces termes, que j'aurais voulu pouvoir me dispenser de les employer. Dans l'impuissance de les remplacer, j'ai tâché du moins de les bien définir.

des formes plus neuves, plus saillantes, plus propres à produire une forte impression sur les esprits. J'espère, quant aux faits, que j'ai connu les plus essentiels et que j'ai su les choses avec assez de détail pour ne pas m'être trompé dans mes conclusions générales. Quant au langage, j'ai tâché de suppléer par la clarté à la richesse des images, par la franchise de l'expression à ce qui peut lui manquer du côté de la nouveauté; et quoique, pour certains esprits, ce ne soient là que des qualités fort secondaires, je me trouverai encore assez éloquent si j'ai bien su me faire entendre, et assez original si je suis vrai.

ET

LA MORALE,

CONSIDÉRÉES

DANS LEURS RAPPORTS AVEC LA LIBERTÉ.

INTRODUCTION.

Objet et plan de cet ouvrage.—Méthode que l'auteur a suivie.

1.

i. Nous ne sortons de l'état de faiblesse et de dépendance où la nature nous a mis que par nos conquêtes sur les choses et par nos victoires sur nous-mêmes; nous ne devenons libres qu'en devenant industrieux et moraux. Telle est la vérité fondamentale qui sera développée dans ce livre. Je ne veux faire ni un traité de morale, ni un traité sur l'industrie: je veux, comme mon titre l'annonce, montrer l'influence de ces deux choses sur l'exercice de nos facultés; mon dessein est de faire voir comment elles donnent naissance à la liberté humaine.

2. Que l'on considère la société dans toutes ses manières d'agir, dans tous les ordres de fonctions et de travaux que sa conservation et son développement réclament, et l'on verra que depuis le plus simple jusqu'au plus élevé, depuis le labourage jusqu'à la politique, il n'en est pas un qui, pour s'exercer avec facilité, avec puissance, avec liberté, ne demande aux hommes deux choses: du savoir-faire et du savoir-vivre, de la morale et de l'industrie.

3. Je ne sais point si je m'abuse; mais il me semble que, dans notre tendance vers la liberté, nous commettons de fâcheuses méprises.

La première, et à mon sens la plus capitale, c'est de ne pas assez voir les difficultés où elles sont, c'est de ne les apercevoir que dans les gouvernemens. Comme, en effet, c'est ordinairement là que les plus grands obstacles se montrent, on suppose que c'est là qu'ils existent, et c'est là seulement qu'on s'efforce de les attaquer. On ne veut pas arriver jusqu'aux nations qui sont par derrière. On ne veut pas voir que les nations sont la matière dont les gouvernemens sont faits; que c'est de leur sein qu'ils sortent; que c'est

dans leur sein qu'ils se recrutent, qu'ils se renouvellent; que par conséquent, lorsqu'ils sont mauvais, il faut bien qu'elles ne soient pas excellentes. On ne veut pas voir que tout le mal qu'ils font alors a ses véritables causes ou dans la corruption du public qui le provoque, ou dans son ignorance qui l'approuve, ou dans sa pusillanimité qui le tolère, quand sa raison et sa conscience le condamnent. On ne veut voir que le . gouvernement: c'est contre le gouvernement que se dirigent toutes les plaintes, toutes les censures; c'est sur le gouvernement que portent tous les projets de réformation; il ne s'agit que de réformer le gouvernement; il n'est pas question que la société s'amende; on ne paraît pas admettre qu'elle en ait besoin; on nous dit bien assez que nous sommes victimes des excès du pouvoir on ne s'avise point de nous dire que nous en sommes coupables, et ceci, qui n'est pas moins vrai, serait pourtant un peu plus essentiel à nous apprendre 1.

(1) Cette censure a été l'objet d'un reproche grave : « Ne découragez pas, m'a-t-on dit, les esprits positifs et les caractères énergiques qui se mettent à travers le torrent du mal pour en retarder le cours. » (Rev. encyclop., janv. 1825.) On ne sau

« PreviousContinue »