Page images
PDF
EPUB

LAFAYETTE FAIT PRESSENTIR AU ROI L'UTILIté d'un SÉNAT.

- La Convention nationale a fait imprimer le recueil des pièces trouvées dans l'armoire de fer; elles sont contresignées Rolland et Carra, et vérifiées par les membres de la commission des douze. Cette époque et ces examinateurs m'étaient fort défavorables: on se serait sans doute applaudi de faire quelque découverte qui prêtât à la malveillance.

La pièce, imprimée sous le numéro 161, fut écrite très rapidement dans un temps où l'on faisait craindre au roi que l'Assemblée constituante ne voulût imiter le long parlement, et où ses conseillers intimes cherchaient à indisposer le peuple français contre ses représentans, plutôt que de concourir avec eux au bien public. J'indique, dans cet écrit, mon vou sur l'addition d'un sénat; mais les dispositions des entours du roi à mon égard, et l'attachement que l'Assemblée conservait encore pour son décret de l'unité de chambre ne me permettaient pas alors de donner à mon opinion plus de développemens.

Nous transcrivons ici le mémoire dans lequel Lafayette adresse des conseils à Louis XVI.

[merged small][ocr errors]
[ocr errors]

«Quelque difficiles que soient nos circonstances, il faut et l'on doit en triompher; mais nous n'avons ni temps à perdre ni moyens à négliger. L'établissement d'une constitution libre, où tout intérêt cède à l'intérêt du peuple, est la seule chance de salut pour la nation et pour le Roi, comme le seul système auquel je puisse concourir. Il n'est plus possible au Roi de balancer entre les partis : d'un côté sont les débris d'une aristocratie impuissante, recevant toujours et ne rendant jamais; de l'autre la nation entière, qui fait sa gloire, son bonheur et sa puissance. La nécessité, d'accord avec le cœur du Roi, doit le décider; dès lors il convient d'abandonner toute idée ancienne, tout plan de retour, et de rallier franchement toutes les volontés autour de l'étendard national.

» Il faut que le Roi s'offense d'un propos contre la liberté, d'un doute sur la constitution, et que ses courtisans mêmes sachent que, dans un pays libre, son rôle est d'être l'homme du peuple.

Le conseil du Roi doit être uni par un pacte entre ses membres, et d'après cette solidarité, nécessaire à leur sûreté comme à leur influence, toute démarche doit être examinée et couvenue dans un comité; les ministres, loin de déjouer l'Assemblée nationale, et d'établir entre eux et elle une rivalité polémique, une

tendance vers l'appel à la nation, sont, en conscience, obligés de la servir, et par leur devoir comme pour leur salut, forcés de la respecter, sans cependant perdre une certaine dignité, et sans s'isoler de ses délibérations.

>>

Quant à l'Assemblée, elle doit s'entendre avec le Gouvernement pour le bien commun, s'apercevoir de ce que les amours-propres, les partis et le bel esprit lui ont fait perdre de réputation et de temps, sans oublier que les bons citoyens ne laisseront pas s'établir ici un long parlement. Elle doit remplir avec zèle toutes les fonctions d'Assemblée constituante, et réserver les actes de pure législation à une législature ordinaire et mieux composée.

[blocks in formation]

» 1° Que la Cour quitte toute apparence de contrainte et de mécontentement; que les dispositions militaires, les changemens diplomatiques, les détails intérieurs du palais, les informations sur les complots êt quelques punitions exemplaires, que tout enfin ôte tout pouvoir et toute espérance aux ennemis de la liberté ou de la régénération, ainsi qu'à la faction orléanaise, qu'il faut surveiller avec soin et poursuivre avec la dernière rigueur.

» 2° Qu'il se tienne, deux fois la semaine au moins, un comité des principaux ministres, où l'on cherche à perfectionner la révolution, à faire respecter les lois, à nous garantir au dedans et au dehors, à rendre au

pouvoir exécutif de l'ensemble et de l'énergie; à suivre enfin un système de conduite à la fois nerveux et populaire. Les autres ministres, ou toute autre personne utile, y assisteront occasionnellement, et sa première occupation sera l'établissement d'un bureau de subsistance pour tout le royaume; les points arrêtés dans ce comité seraient écrits, soit pour le conseil, soit pour chaque département.

>> 3° Qu'il se forme un conseil de membres influens dans l'Assemblée nationale, qui en accélère et en règle la marche. Les travaux de l'Assemblée me semblent devoir être la formation des municipalités et assemblées provinciales, qui mettent les corps administratifs sous la direction du gouvernement, et leur donnent une activité, immédiate, de manière que la France soit assemblée d'après les nouvelles divisions le 15 décembre;

>> Les mesures provisoires à prendre pour le rétablissement du calme et le soutien provisoire des finances;

La disposition des biens ecclésiastiques, et la discipline du clergé;

» La fixation des principes sur les forces armées de tous genres toute force armée, dans le royaume, quoique différemment employée, ne devrait être en activité que sous la direction du Roi;

» La définition du pouvoir exécutif, qui assure au

Roi l'autorité nécessaire, et nommément la liberté des négociations politiques;

>> La fixation d'une liste civile convenable, et l'appropriation momentanée des fonds aux autres départemens;

» La formation de l'ordre judiciaire, et la création d'un tribunal supréme ou d'un sénat électif;

» L'énonciation des premiers principes de commerce, et les bases d'un plan d'éducation ;

» Les règlemens de finances qui, après avoir déterminé quelques principes, donneront au royaume des moyens efficaces d'attendre une première législature, et même de soutenir une guerre;

» Enfin il convient de rassembler tous les décrets du pouvoir constitutionnel dans un corps général de constitution dont la rédaction facilitera les changegemens qui seront reconnus nécessaires.

» La proclamation de cette constitution serait le dernier acte de l'Assemblée nationale. Elle aurait déjà été reçue dans les assemblées administratives, et cette grande époque serait celle d'un oubli général pour toutes les dissentions et tous les partis, ainsi que du retour de tous les absens. Le Roi, après avoir juré cette constitution, convoquerait, pour le mois d'août ou de septembre, une législature nouvelle : c'est alors au plus tard que le Roi doit renforcer son conseil, remplir les premières places d'administration des citoyens qui, par leurs talens et leur patriotisme, au

« PreviousContinue »