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qu'il n'avait pas voulu qu'on éloignât. Il était faible, agonisant, et cependant toujours fort par l'esprit et toujours roi en un mot, il semblait se survivre à luimême.

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Louis XVIII cessa d'exister, et les années ont amoncelé sur sa tombe les regrets que sa mort a laissés,

Il fallait que la cérémonie de ses obsèques ne restât pas au-dessous de celui qui en était l'objet. Rien ne fut épargné pour atteindre ce but, et je fus utilement secondé par le grand-maître des cérémonies (M. le marquis de Brézé), qui, à toutes les vieilles traditions qu'il avait conservées, apportait dans toutes les cérémonies qu'il dirigeait, un ordre et une dignité sans pareils. Aussi n'eût-il pu être remplacé que par son fils, qui a pris, depuis 1830, dans le monde politique, une si noble position.

Avant de quitter l'église de Saint-Denis, toute brûlante de lumières, mais dont la trop grande clarté se trouvait en partie éteinte par. l'obscurité que l'on avait cherché à introduire dans cet immense vaisseau; avant de laisser cette réunion nombreuse dont le maintien était aussi triste qu'imposant, toute cette cour dorée, tous ces costumes si variés, tout le peuple ému; je parlerai de ce serviteur si dévoué, de cet ami si parfait, de cet homme type de toutes les vertus humaines et chrétiennes, de ce vieillard respectable, de ce modèle de la chevalerie, qui en ressuscitait de nos jours toutes les vertus, de ce duc

d'Havré enfin, qui aimait véritablement Louis XVIII comme homme, en le servant fidèlement comme roi; jamais il n'avait brigué la faveur, ni attaché le moindre prix aux grandeurs qu'il avait su si bien porter. Son désespoir peint sur sa figure ne put échapper à personne, et il consola du spectacle douloureux de ces physionomies qui, sous le masque de la circonstance, n'annonçaient qu'indifférence et distractions; rêvant déjà aux chances de l'avenir, tandis que le noble et vénérable duc ne songeait qu'aux regrets du passé.

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Cette tombe entr'ouverte pour un roi s'était refermée, et le lendemain le pied du pauvre devait la fouler comme celle du plus simple mortel. Admirable leçon laissée à l'homme par la divinité, qui, dans sa bonté paternelle, lui démontre la fragilité des grandeurs humaines, en lui prouvant que devant sa grandeur éternelle tous les hommes sont égaux.

Louis XVIII était mort; mais il vivait encore dans la pensée, et il vivra long-temps par les regrets que laissa sa fin trop hâtée. Aujourd'hui chacun se dit avec une profonde conviction: « Si ce prince eût vécu, il n'y eût point eu de révolution. » Et qui aime maintenant cette révolution, véritable apostasie de tous les principes, jonglerie d'un jour, comédienné éhontée, qui se réduit à une usurpation, à un mensonge et à une véritable mystification pour tous! Laissons à l'intérêt le soin de triompher des vanités, et attendons avec pa

tience l'ouvrage du temps, et celui de cette Providence qui ne peut se manquer à elle-même.

Courbons-nous humblement devant cette éternelle puissance qui se joue de toutes les ambitions humaines, comme de toutes les déceptions, et qui fait servir au triomphe de la vérité les hommes mêmes du mensonge. Avant de la juger, laissons-la faire, et bientôt sa main se rendra si visible, qu'il ne sera plus possible de la méconnaître. Voyez plutôt cette Angleterre qui renia sa foi; voyez ce prince qui se dit souverain temporel et spirituel; voyez ce pouvoir inique, imposant, à force d'arbitraire, ses croyances de nouvelle origine à une population tout entière; et dites si c'est là le règne de la liberté, et si la franchise de la philosophie égale la caudeur de la religion catholique, qui appelle tous les hommes à jouir des mêmes droits, en leur enseignant la même croyance! Voyez, dis-je, cette Angleterre, si long-temps citée comme une politique normale! on ne parle plus que de sa corruption, et bientôt l'on verra chez elle l'anarchie succéder à l'arbitraire, et tous les désastres ensanglanter ses flancs. Voilà l'œuvre de l'homme ? tel est l'œuvre de la philosophie humaine : elle apporte péniblement pierre sur pierre et au moindre souffle de la divinité, il ne reste plus que des cendres. La vérité seule est immuable, et il n'y a hors d'elle que désordre et confusion; des ruines succèdent à des ruines, et jamais l'erreur ne parvient même à créer un

ordre de choses qui puisse être conséquent à son principe.

J'arrive enfin au sacre de Charles X. J'avais fait de fréquens voyages à Reims pour tout disposer; et lės travaux avaient été confiés à deux architectes (Hitoff et Lecointre) dont le bon goût égale le talent.

M. le vicomte de La Ferté, directeur du mobilier de la couronne, me seconda dans ce travail important avec autant de zèle que d'intelligence. Le Garde-Meuble et les Menus-Plaisirs, placés dans deux hôtels et sous deux chefs différens, avaient été réunis par mes soins en un seul et même lieu, sous une seule autorité; ce qui était devenu une grande source d'économie et un puissant moyen puissant moyen d'ordre.

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L'église avait retenti de prières saintes et de cris d'allégresse jamais coup d'œil plus magnifique et spectacle plus imposant ne s'était offert aux mortels de toutes les nations; chacun s'entretenait de la splendeur de l'édifice et de l'ordre qui avait présidé à tous les arrangemens, comme aussi de la magnificence que la France avait développée dans cette circonstance solennelle. J'avais joui, comme Français, de la pensée que la France n'était pas descendue, dans cette cir constance, du rang qui lui appartient; et que le regard curieux de l'Europe avait applaudi forcément à tant de splendeur.

Mais tandis que je jouissais en silence de la part que j'avais pu prendre à cette journée; tandis que ·

chacun avait sa place d'honneur marquée, à peine si je pus trouver un coin pour moi. On devine cepeudant avec quelle envie bien des yeux m'avaient vu chargé de ces grands préparatifs.

Je réfléchissais avec une sorte de mélancolie à la fragile vanité des choses de ce monde, et au peu de terre qu'il faudrait pour couvrir même un corps de roi, entouré de tant de gloire! La bonne grâce de Charles X charma tout le monde. J'entendais appeler pour les faveurs des noms que la politique avait tenus depuis long-temps à l'écart, et peut-être n'étais-je pas étranger à cette politique! Chacun parcourait la liste des grâces espérant s'y trouver, et parce que je n'étais sur aucune on me plaçait sur toutes. Je souriais en moi-même, sans regret comme sans envie, songeant au peu de mémoire des amis de ce monde, et honoré de l'oubli dans lequel j'étais laissé.

Je me rappelai, à cette occasion, ce qui m'était arrivé six semaines environ avant la mort de Louis XVIII. Ce prince, qui mieux que tout autre savait distinguer ceux qui le servaient avec zèle, me fit appe ler dans son cabinet: Vicomte de La Rochefou cauld, me dit-il, je suis fort satisfait de vos services; ayez un peu de patience, votre position n'est pas assez forte, et je veux dès aujourd'hui vous donner un titre qui la relève; je vous fais ministre d'État ; j'en ai parlé hier à votre ami, et Villèle est chargé d'ar

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