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pêcher l'héritier du trône de Louis XVIII devenu roi, et débarrassé d'une sorte d'importunité que le dévouement le plus pur avait momentanément créé, de reprendre ces mêmes hommes qui, avec les meilleures intentions du monde, minaient sourdement son trône. M. de Villèle ne comprit pas sa position. Il espéra s'emparer seul de l'esprit du Roi, sans se douter des difficultés qui l'entoureraient; aussi méconnut-il ses amis! Cet homme d'affaires si habile manqua, dans cette circonstance, du tact nécessaire à l'homme d'État. M. de Villèle se trompa.

S'il eût ajouté l'étendue des vues politiques à son étonnante sagacité, il eût été la pierre philosophale l'on cherche vainement.

que

Je parle tellement ici d'après mes convictions, que si jamais les circonstances me mettaient à même de le prouver, faisant céder toutes les considérations personnelles à l'intérêt du pays, je serais le premier à reconnaître la supériorité de ses lumières, et à voir en lui l'homme d'un avenir peut-être moins éloigné qu'on ne pense.

Je vais rendre compte succinctement des causes qui firent éclore le ministère Polignac, et de l'effet qu'il produisit.

A peine la création de ce nouveau cabinet fut-elle pressentie, que j'écrivis au Roi une lettre confidentielle où mon dévouement et mon indépendance luttèrent de concert pour retarder, au moins, son in

sertion au Moniteur; et après cette nomination je remis successivement à Charles X trois rapports, dans lesquels je ne craignis pas de lui exprimer le danger d'un choix semblable, et le vice du système qui en devenait une suite inévitable. Ce sont ces rapports que je livre aujourd'hui au public; quand il les aura lus, peut-être cessera-t-il de méconnaître ces hommes si injustement calomniés, qui tiennent au principe de la légitimité, non par la conviction du droit divin ou par un amour aveugle et romanesque, mais bien par le sentiment intime de son utilité, de son importance et de sa nécessité; regardant ce principe comme la seule barrière insurmontable à opposer à l'anarchie, et convaincus que c'est la seule planche sur laquelle la monarchie puisse marcher d'un pas ferme, pour franchir l'abîme des révolutions, et arriver à l'ordre et à la légalité par la

conviction.

Au reste, les évènemens politiques qui depuis plus de quatre ans se sont passés sous les yeux de tous justifient de plus en plus les prévisions que ces mêmes royalistes ne craignirent pas alors de manifester hau

tement.

On peut être fier sans être ambitieux, indépendant sans avoir l'esprit de conquête, et avoir le sentiment de sa force sans jamais songer à en abuser.

La France est dans une position insupportable aux hommes de cœur. Chacun l'insulte impunément

aujourd'hui sans qu'elle ose seulement lever les yeux. J'ai dit la France!..... Mais j'ai le cœur trop français pour vouloir l'humilier jamais !........ Ceux qui me liront me comprendront, j'en suis certain; ils suppléeront à ce que je ne veux pas dire.

Charles X tenait à la Charte, moins parce qu'il la croyait bonne, que parce qu'il avait juré de la maintenir: aussi quand il sembla vouloir la détruire, se ditil à lui-même que son intention était seulement de la rendre possible; et la preuve, c'est qu'il n'appuya ses fameuses ordonnances par aucune baïonnette. Il les considérait comme la chose la plus juste et la plus naturelle; et s'il se fait un reproche aujourd'hui, ce n'est pas celui d'avoir compromis l'avenir de la France par ces mêmes ordonnances, mais bien de n'avoir pas pris en les lançant les mesures nécessaires pour la sauver malgré elle. La grande faute de l'adresse (1) fut de fournir à Charles X, comme à ses conseillers intimes, un prétexte pour frapper un grand coup, lorsqu'ils se virent acculés jusque dans les derniers retranchemens de la monarchie.

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Charles X s'était dit encore: On en veut à mon

» autorité et à ma personne..... Laisser renverser mon trône, c'est livrer la France aux horreurs de l'anar> chie sauvons l'un et l'autre ! »

Il faut en convenir, cette adresse fut un grand

(1) Celle des 221.

malheur, et c'est ce que je m'efforçai, mais en vain, de prouver à un homme, à un député, qu'il suffit de nommer pour peindre la supériorité à laquelle peuvent atteindre l'esprit, la raison, les lumières, les connaissances et le dévouement (1); mais malheureusement lui aussi, comme beaucoup d'autres, espérait de cette manière sauver et le Roi et la France. Je respectai ses motifs tout en combattant vigoureusement les conséquences qu'il en tirait : l'évènement justifia pleinement mes craintes.

On nous cassera (2) et l'on gardera le ministère, m'efforçais-je de répéter.

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-

C'est impossible! me répliquait-on.

Oui, c'est impossible; mais cela sera. On se croira fort un jour, on sera faible le lendemain, et l'antre des révolutions sera de nouveau ouvert.

La chute de M. de Villèle, moins encore qu'une sorte d'opposition que je pourrais qualifier de bátarde, qui s'était infiltrée dans la Chambre des députés, imposèrent au Roi le ministère Martignac.

« Ces messieurs ne sont nullement les hommes de mon choix, me dit Charles X, ils sont ceux de la nécessité. »

Sans doute, ce ministère eût pu faire le bien, si la première condition d'un ministère, quels que soient

(1) M. Royer Collard.

(2) C'est-à-dire la Chambre sera dissoute.

les élémens dont il est composé, n'était celle de sa vitalité. Malheureusement il ne put s'entendre avec des hommes qui n'eussent pas mieux demandé que de faire cause commune avec lui, pourvu qu'il eût marché à la tête de l'opinion, au lieu de se laisser traîner à la remorque par elle. Ce fut ainsi que, sans s'en douter, le ministère Martignac prépara l'avènement au pouvoir de l'homme le plus vertueux et le plus sincèrement dévoué sans doute (1), mais qui n'avait aucune notion sur la situation politique des esprits, persuadé qu'il était qu'il ne doit pas y avoir de limites au véritable dévouement, et qu'il n'est rien qu'un Roi n'ait le droit d'exiger de ses sujets, parce qu'il est du devoir de ceux-ci de lui obéir aveuglément.

--Vous oubliez, La Rochefoucauld, me dit un jour Charles X dans son cabinet, vous oubliez, en me parlant avec cette indépendance, que vous êtes mon aidede-camp.

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Sire, répondis-je respectueusement, en déposant mes épaulettes à vos pieds, je redeviens un de vos simples sujets; et le plus beau privilége comme le premier devoir de la fidélité, c'est d'oser dire toujours la vérité à son Roi. Je veux servir Votre Majesté et non la flatter.

Eh bien, parle donc! reprit aussitôt ce bon prince en me frappant familièrement sur l'épaule.

(1) M. de Polignac.

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