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entouré de présages qui n'étaient pas tous également favorables. « Demain, dit le comte de » Vergennes au roi, demain, il faut commen» cer la révolution; demain, Sire, ou tout est » perdu. » — « A demain, lui répond Gustave (1).

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Le 18 d'août, le roi se rendit à pied à l'arsenal, assista à la parade du régiment des gardes qui devait monter au château. Les officiers l'entourèrent; il marcha avec eux sans s'ouvrir de son dessein. La garde qui montait, et celle qui se retirait, eurent ordre de rester ensemble. Alors le roi s'adressant à tous ceux qui étaient présens, dit : « Je ne veux point attenter à la » liberté, ni aux droits des citoyens que je jure » de respecter, et pour lesquels mon sang est >> prêt à couler; mais sauvons l'état de l'anar» chie qui le déchire. » Deux cents officiers prêtent serment. A l'instant, tout se met en mouvement. Des canons sont placés dans les principales rues, et dirigés même contre le lieu

(1) Il est toutefois des personnes qui ont joué un rôle distingué dans la diplomatie, qui prétendent que M. de Vergennes ne prit aucune part à la révolution de Suède, et que la veille même de ce grand événement, il écrivait au duc d'Aiguillon « qu'il partait pour la campagne, et qu'il croyait « que le roi Gustave allait faire un coup de tête. » Ce fait pourrait se vérifier dans les dépêches de M. de Vergennes.

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d'assemblée du sénat, qui délibérait. Le roi, maître du parc d'artillerie, fait donner des munitions aux soldats; et la cavalerie bourgeoise, jusque-là dévouée au sénat, se réunit la première, au roi. Le lendemain, 19 d'août, Gustave se rend au sénat, et fait adopter une nouvelle constitution en cinquante-sept articles, à la faveur de laquelle il devint monarque plus absolu.

Cet événement fit beaucoup de plaisir à Louis XV, et balança dans son cœur le chagrin que lui causait la situation de la Pologne prête à être partagée. Très satisfait de la conduite du comte de Vergennes, il le nomma conseiller d'état d'épée, et le duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères, lui écrivit à cette occasion, le 10 de septembre : « Je me flatte, Mon» sieur, que vous êtes bien persuadé de la sin>> cérité de mes complimens. Personne ne sent >> mieux que moi, l'importance et l'étendue du » service que vous venez de rendre au roi; et » je n'ai pas eu besoin de les faire connaître à » sa majesté, qui s'est expliquée à cette occa» sion, sur votre sujet, comme vous pouvez le » désirer; elle déclara elle-même à M. le chan>> celier la grace qu'elle vous accordait, et fit » l'éloge de vos talens, de votre zèle et de votre >> attachement, etc. »

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M. de Vergennes répondit à cette lettre de

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félicitation avec modestie et dignité. Il disait entr'autres choses, au sujet de la Suède : « II en >> est des maux politiques comme des maux >> physiques : quand le mal est parvenu à sa >> plus grande crise; si la mort ne doit pas en » être le résultat, le remède vient, en quelque façon, se placer de lui-même. C'est ce que » nous avons vu ici. Les abus toujours crois» sans, la licence et l'anarchie étaient à leur >> comble; une révolution devait en être la con» séquence inévitable. La fermeté du roi de » Suède y a fait beaucoup; il s'y est couvert » d'une gloire immortelle. Ses antagonistes l'ont >> mieux servi qu'ils ne se le proposaient, en >> révoltant la nation; ils l'avaient si bien pré» parée à désirer un changement que le prince » n'a eu besoin que de se montrer pour l'ef» fectuer. Si je me défends, M. le duc, des éloges que vous voulez bien me donner, je » n'en sens pas moins la bonté qui vous les ins» pire, etc. »

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M. de Vergennes s'occupa à consolider par les sages conseils qu'il donna au roi de Suède la révolution (1) qui venait d'avoir lieu, et le

(1) Peu après cette révolution, M. de Vergennes écrivait au duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères, au sujet de Gustave III, que ce prince n'avait que le courage du moment, et que la nature semblait en avoir fait un chef

nouveau pouvoir dont ce prince s'était si justement ressaisi, ne sortit plus de ses mains.

Cette révolution était jugée nécessaire depuis long-temps; elle eût même été exécutée sous le ministère de M. de Choiseul, si le roi de Suède alors régnant n'eût pas refroidi par la faiblesse

de conjurés plutôt qu'un souverain. Gustave 111, suivant lui, concevait rapidement ; mais les détails d'une grande administration le rebutaient. Il ne savait pas assurer par la prudence, les succès de la force. Il était plus propre à faire une révolution qu'à la consommer. Il ne tarda même pas à s'aliéner le cœur de ses sujets, en voulant introduire le luxe d'une grande cour chez une nation condamnée, par la rigueur du climat, à une pauvreté perpétuelle. Il déployait chez des Spartiates, le faste d'un monarque persan. L'admiration, l'amour qu'il avait d'abord inspirés, s'affaiblirent beaucoup, quand on ne vit plus dans lui qu'un goût désordonné pour la dissipation et les plaisirs. Néanmoins, il reportait assez souvent ses regards sur l'administration, et plus particulièrement sur l'augmentation de sa marine et la réparation de ses forteresses, y consacrant en entier le subside qu'il recevait du roi.... L'opinion de Catherine ir semblerait, en plusieurs points, s'accorder avec celle de M. de Vergennes. Elle disait un jour, en parlant de Gustave III: « C'est un homme dissipé, fastueux, qu'on ne > peut pas rassasier de plaisirs; un esprit léger, qui n'a rap» porté que des ridicules de ses voyages; abandonné à la » France, jusqu'à imiter les Français dans tous leurs travers, » passant les nuits à veiller pour veiller, et vivant très mal » avec sa femme, parce qu'il croit que c'est encore une > chose du bon ton. »

1772.

Ambassade

de son caractère les bonnes intentions de la

France.

Le baron de Breteuil, envoyé en 1772, en quadu baron de lité d'ambassadeur extraordinaire de sa majesté

Breteuil à Na

tructions.

ples; ses ins- auprès du roi des Deux-Siciles, reçut des instructions qui indiqueront la situation respective des deux cours à cette époque.

« Le baron de Breteuil, y est-il dit, est ins» truit de tous les liens qui unissent le roi, au >> roi des Deux-Siciles, son neveu. Toutes les >> puissances, qui précédemment n'avaient vu » qu'avec des yeux jaloux les couronnes de » France et d'Espagne portées par des princes » de la même maison, ont bientôt reconnu l'il»lusion de l'ombrage qu'elles avaient préma» turément conçu à cet égard. Les événemens » les ont détrompées, et n'ont pas tardé à les >> convaincre que le système politique des deux » monarques n'avait rien qui les alarmât. Elles » ont même concouru ensuite à assurer le trône >> des Deux-Siciles et un établissement en Italie, » à deux princes de la maison de France.

» Le pacte de famille conclu entre le roi et le >> roi catholique, avait paru d'abord donner >> quelque inquiétude à l'Angleterre; mais mieux » instruite, ou désabusée de ses fausses préven» tions, il est à présumer qu'elle n'a reconnu » dans ce traité, qu'une alliance naturelle, dont >> les stipulations doivent paraître d'autant moins

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