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par les princes et les puissances coalisées, l'armée doit être bien sûre que tout ce que j'ai vu d'elle ne peut que redoubler (s'il est possible) les sentimens affectueux et tendres que j'ai voués dans tous les temps à la noblesse française, au vrai militaire français: je me trouverai bien heureux si je puis leur rendre quelquefois utile, par la suite, le reste d'une vie que je consacre, comme eux, à la cause, au service de mon roi. Faibles sans doute par le nombre, mais forts de nos sentimens et de notre énergie, ne nous effrayons pas des succès momentanés du crime; portons nos regards sur l'avenir, et ne doutons pas un seul instant que tant de travaux, de fatigues et de dangers, et surtout de constance à les braver encore, nous ramèneront enfin des jours plus tranquilles et plus heureux. »>

Hélas! combien ils étaient encore éloignés ces jours où devait se terminer l'exil de tant de braves dévoués à leur prince malheureux! combien d'entre eux devaient arroser de leur sang une terre étrangère, et expirer loin du sol qui les avait vu naître !

Sur la fin de l'année 93, le duc de Brunswick demanda son rappel de l'armée; nous extrairons de la lettre qu'il écrivit à ce sujet à son souverain, les passages suivans : « Le manque

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<< d'ensemble, l'égoïsme et l'esprit de cabale

«< ont détruit pendant deux campagnes de suite

« les mesures prises, et fait échouer les plans «< combinés des armées coalisées... Si j'avais été « seul et libre, les choses se seraient passées <<< d'une autre manière... Les mêmes raisons <«<< diviseront les puissances coalisées, qui les << ont divisées jusqu'ici; les mouvemens des ar «mées en souffriront comme ils en ont souf« fert... Lorsqu'une grande nation, telle que « la Française, est conduite par la crainte du << bourreau et le fanatisme de la liberté, une «< même volonté, les mêmes principes doivent << présider aux opérations des puissances belli<< gérantes; mais lorsqu'au lieu de cela chaque << armée agit seule par elle-même, sans aucun << plan fixe, sans unité, sans principes et sans « méthode, les résultats sont tels que nous les « avons vus... tout est à craindre si la con« fiance, l'harmonie, l'unité de principes, de « sentimens et d'actions, ne prennent bientôt << la place des sentimens opposés, qui depuis << deux ans sont la cause de tous les malheurs..... «En coalition il faut un seul but, les mêmes «vues, ou tout est perdu. Une armée est sem«blable au corps humain. Le coeur donne le «mouvement à tous les membres. S'il y a

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«< contrariété dans le jeu de la machine, la << mort arrive bientôt. >>>

Ces réflexions du général prussien sont claires et positives; l'historien doit les recueillir précieusement pour l'explication des succès inouïs des républicains, chassant de leur territoire, de la manière la plus victorieuse, des armées que l'on croyait voir marcher sur Paris à pas de géant. Le duc de Brunswick obtint sa retraite et fut remplacé par le maréchal Mollendorf.

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Nous avons vu que monseigneur le prince de Condé avait établi son quartier-général dans la petite ville de Lahr. Dans un des hôpitaux formés à la hâte pour les corps de son armée, on amena deux jeunes chasseurs, l'un et l'autre blessés mortellement dans les dernières affaires.

On les connaissait seulement comme deux amis d'enfance, et on les avait vu constamment se donner des marques d'une sincère affection. L'un d'eux venait d'expirer, celui qui lui survivait se livra à toutes les démonstrations de la douleur la plus vive. Se jetant sur ce corps inanimé il s'écria, au grand étonnement dé tous les spectateurs : « O ma sœur! ma sœur! << je terejoindrai bientôt! oui, hous rejoindrons « bientôt notre malheureux père! Interrogé,

il répondit qu'il n'avait plus rien à dissimuler, et que puisqu'il allait incessamment paraître devant Dieu, à qui il demandait pardon d'avoir peut-être manqué à la décence, en prenant un habillement d'homme, il déclarait son sexe; qu'il était une femme; que comme sa malheureuse sœur, il s'était travesti, pour échapper aux massacres du Comtat-Vénaissin, où son père, Autrichien d'origine et simple ouvrier, avait été massacré comme aristocrate, par Jourdan le coupe-tête. Il ajouta', que toutes deux errantes pendant long-temps par la France, s'étaient enfin soustraites aux horreurs qui n'avaient point cessé de les affliger jusqu'à leur arrivée en Allemagne, où elles avaient pris du service dans les corps levés pour le compte du prince de Condé. A peine cette intéressante victime des fureurs révolutionnaires eut-elle achevé ces mots, qu'elle se jeta de nouveau sur le corps de sa sœur, en fondant en larmes ; et dans la même journée elle rendit le dernier soupir.

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Dans ce même cantonnement, des paysans, en labourant un champ, découvrirent des urnes sépulcrales remplies d'ossemens humains et de médailles romaines; ils firent hommage de ces antiquités à monseigneur le prince de

Condé , auquel tous les habitans de la contrée prodiguaient les marques du plus sincère amour comme de la plus profonde vénération. Le prince témoigna à ces bonnes gens combien il était sensible à leur attention délicate; puis examinant les restes humains contenus dans les urnes, il dit, en s'adressant aux officiers qui l'entouraient : « Ces Romains sont morts <«<< loin des murs où ils reçurent la vie ! l'am<< bition les entraînait à cinq cents lieues de << leur pays natal; et c'est le sort réservé aux «< conquérans, que de laisser leurs dépouilles << dans des terres étrangères, à une longue «<< distance des tombeaux de leurs ancêtres. <«<< Mais nous, qui ne voulons point envahir ; « nous, armés pour la justice, où laisser nos << tristes restes? » Toutes les actions, toutes les paroles de ce prince, respirent la philantropie la plus douce, comme le plus vif et le plus pur amour de la patrie.

«

FIN DE LA DEUXIÈME ÉPOQUE.

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