Page images
PDF
EPUB

Mais indépendamment de ce que le devoir impérieux et sacré des principes monarchiques imposait aux nobles l'obligation de suivre dans l'étranger le frère de leur roi, ne leur faisaiton pas en France une guerre atroce et làche à l'excès? Il n'y avait sécurité pour eux ni dans leur maison ni dans leurs champs; on les massacrait avec la même fureur qu'on mettait à brûler leurs châteaux ; leurs personnes étaient proscrites, leurs propriétés n'étaient point protégées; c'était un crime à eux d'être nobles, cela suffisait à la populace pour se croire autorisée à courir sus *.

Parmi cette caste honorable, que sont devenus ceux qui ont cru devoir rester en France? Ils ont été traînés sur les échafauds, sans égard

* Il est évident que la conduite atroce des démagogues envers la noblesse avait pour but de la forcer à émigrer. Le député Treilhard interrogeant une paysanne de son département (Eure-et-Loir), lui demandait si, à Chartres et dans les environs, on complait un grand nombre d'émigrés? - Pas trop, répondit-elle. Tant pis! tant pis! reprit Treilhard, il nous en faut, et beaucoup.

[ocr errors]

Nous dirons encore que lorsqu'en 1790 le marquis de Traversay revint de croisière sur la frégate l'Active, qu'il commandait, il eut à peine passé quelques semaines à son château, où sa famille et tous les paysans des environs lui prodiguaient

même pour l'âge ni le sexe; les mères y ont péri avec leurs filles à peine nubiles; l'adolescent a été immolé comme l'homme qu'un âge extrêmement avancé ramenait presqu'en enfance. Chose inouïe ! la plus atroce ironie trouvait place dans les arrêts de mort. Ce vieillard est sourd, disait-on au tribunal révolutionnaire, comment aurait-il pu conspirer? Et le tribunal sanguinaire envoyait à la mort le malheureux vieillard comme ayant conspiré sourdement *. Infortunées victimes d'une trop funeste sécurité, que vous avez payé cher le tort irréparable de n'avoir pas fui l'outrage et la persécution!

les témoignages d'estime et d'attachement qu'il méritait si bien, que les révolutionnaires d'une ville voisine annoncérent hautement le projet d'aller incendier le château de Traversay : désastre auquel ce brave officier ne put soustraire sa famille qu'en s'éloignant aussitôt de France. Enfin, pour dernière preuve convaincante., nous citerons la loi du 10 novembre 1792, qui prononçait la peine de mort contre les émigrés qui étant rentrés, pe sortiraient pas dans quinze jours du territoire français.

* Ce fait se rapporte à une femme octogénaire, à madame de Laval-Montmorency, abbesse de Montmartre, condamnée à mort le 24 juillet 1794. Ceux qui n'ont pas été témoins de ces atrocités pourraient croire qu'on les invente, si l'on ne précisait pas les personnages.

que vous avez bien justifié ce qui, dans le langage révolutionnaire, a été nommé l'émigration!

Entourés partout des embûches du crime, les chevaliers français en ont appelé noblement des poignards à leur épée. Dans un pays où il n'y a pas de loi qui me protége, et où il y a une force qui m'attaque, n'ai-je pas le droit d'opposer úne force qui me défende?

Si des bandes de brigands ont violé l'asile qui m'a vu naître et en ont emporté ma dépouille, n'ai-je pas le droit de rassembler une troupe d'amis, et d'aller reprendre ce qui est à moi?

Si l'on m'a chassé à main armée de ma maison, n'ai-je pas le droit de me la r'ouvrir à main armée?

De telles questions n'auraient jamais dû être problématiques; il a fallu qu'une révolution comme la nôtre eût dénaturé, perverti jusqu'aux notions les plus simples de toute justice, pour qu'on ait pu trouver possible de les résoudre contradictoirement aux principes éternels de l'équité.

Les émigrés obligés de s'armer, de combattre, ont fait une guerre non-seulement loyale, mais sublime : lorsque les conventionnels ont ordonné de mettre à mort ceux que le sort des combats livrerait, ils ont repoussé jusqu'à la seule idée de représailles; ils n'ont pas eu un seul prisonnier en leur pouvoir, sans se souvenir aussitôt qu'il était né leur concitoyen; sans lui prodiguer ces traitemens magnanimes qui ont triomphé de la barbarie des décrets, et ont rendu tous les guerriers français à la générosité originelle de leur caractère.

L'émigration armée et l'insurrection de la Vendée seront à jamais célèbres, et justifieront la France des crimes des révolutionnaires. L'histoire, en montrant notre patrie subissant au 14 juillet 1789 le joug d'une faction impie atroce, dira aussi que des Français courageux se dévouèrent pour la délivrer du monstre de l'anarchie, et soutinrent au prix de leur sang la couronne éclatante de saint Louis chancelante sur le front auguste des petits-fils de Henri IV. Si la tyrannie démagogique s'était établie dans un si beau royaume sans l'énergique opposition de la noblesse; si l'athéisme y avait

été proclamé autrement qu'après un massacre et la totale dispersion des ministres de Dieu; si le régicide avait été consommé sans soulever d'horreur la saine partie de la nation contre les auteurs de cet exécrable attentat, mériterionsnous notre propre estime et celle des autres peuples? L'émigration des nobles, des prêtres et d'une grande partie des notables habitans de la France, lavera les pages de notre histoire des taches sanglantes qu'y ont imprimées les prétendus amis de la liberté.

« PreviousContinue »