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vant dans un lit de justice tenu à Versailles en mai 1788, au milieu du parlement, de toutes les cours souveraines, des ducs et pairs de France : << Messieurs, il n'est point d'écarts « auxquels, depuis une année, ne se soit livré << le parlement de Paris; imité aussitôt par les << parlemens des provinces, le résultat de leurs << entreprises était l'inexécution des lois inté<«<ressantes et désirées, la langueur des opéra<tions les plus précieuses, l'altération du cré« dit, l'interruption ou la suspension de la << justice, enfin l'ébranlement même de l'édi<«<fice social. La tranquillité publique que je « dois à mes peuples, à moi-même et à mes << successeurs, me commande de réprimer de «tels écarts. >>

Oui, une grande sévérité était nécessaire dans une telle occurrence. Les circonstances étaient difficiles et très-délicates; mais nul doute qu'elles exigeaient qu'on prît un parti ferme et vigoureux. Un Henri IV eut châtié des hommes qui abusaient du mot de bien public en s'opposant à une répartition égale des impôts sur toutes les propriétés. Louis XVI avait en partage la bonté par excellence du grand Henri, mal

heureusement il n'en possédait pas la mâle énergie.

Le parlement était fier de compter dans ses rangs d'opposition le premier prince du sang : le Roi exila le duc d'Orléans à sa terre de Villers-Cotterets; les conseillers Freteau et Sabathier, qui s'étaient montrés les plus violens, furent arrêtés et conduits, l'un au château de Doulens, et l'autre au Mont-Saint-Michel. Ces demi-mesures ne firent qu'augmenter la résistance, encourager l'audace: c'est un principe reconnu que les ménageinens ne font qu'endurcir les cœurs ingrats. Quelques mois après, deux autres conseillers, d'Espremenil et Goislard de Monsabert, sont arrêtés en plein parlement; le premier est conduit à l'île d'Hières, et le second au château de Pierre-Encise, à Lyon : cela ne fit que produire encore plus de fermentation.

Espérant que

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le clergé ferait quelques sacripour venir au secours de l'État, Louis XVI convoqua une assemblée générale des prélats du royaume. Suivant un relevé publié en 1776 par M. le comte de Lauraguais, les revenus du clergé se montaient à 182,734,500 livres;

et cet ordre ne payait que 10,000,000 d'impositions; tandis que le reste de la nation payait au trésor 394,000,000, sans compter divers impôts indirects *. Le clergé ne seconda pas plus les intentions du Roi que ne l'avait fait le parlement. Celui-ci ayant provoqué la tenue des États-Généraux, Louis XVI les convoqua pour le 1 mai 1789.

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La perfidie recherche les ténèbres; le mystère accompagne les pas de celui qui veut tromper : c'est à la clarté du soleil que se montre la vérité; et qui vient parler son langage, qui veut trouver en elle seule ses moyens et ses ressources, ne redoute pas l'éclat des discussions publiques. Louis XVI sentait son cœur battre de plaisir à cette grande et généreuse idée de régénérer la nation, en l'appelant à délibérer sur ses intérêts les plus précieux; il espérait lui donner une nouvelle vie, lui faire retrouver ses antiques vertus; il se rappelait avec délices que ce fut dans les assemblées

* Les contributions de 181 et 1812 se montèrent à plus de 1,000,000,000 pour chacune de ces années; Buonaparte les augmenta de 150,000,000 pour 1813. Quelle différence des modiques recettes de 1788!

vénérables du Champ de Mars que chacun se pénétrant à l'envi et d'émulation et de zèle, dévoua constamment et sans réserve son existence et sa fortune à la prospérité de la patrie : son coeur jouissait par avance du bien que pouvait opérer cette réunion de tous les ordres de la nation; et, magnanime comme tous les Bourbons, il était glorieux de montrer à son peuple, au milieu de cette auguste assemblée, tout ce qu'il projetait de nobles sacrifices pour le bonheur public.

L'histoire avait pu lui apprendre aussi que ce fut Philippe-le-Bel qui appela pour la première fois, en 1302, le Tiers-État aux grandes assemblées de la nation qui prirent à cette époque la dénomination d'États-Généraux; et que ce petit-fils de saint Louis avait agi ainsi parce qu'il fallait également alors pourvoir aux besoins du trésor.

Redoutant donc de voir les premiers ordres contrarier de nouveau ses vues bienfaisantes, Louis XVI se détermina à accorder au TiersÉtat une représentation à elle seule égale en nombre à celles de la noblesse et du clergé, nonobstant tout ce qu'on mit en avant pour lui

persuader combien les intérêts du trône pouvaient en être compromis. Ce judicieux monarque n'était pas sans le pressentir aussi bien que tous ceux qui le lui faisaient observer; mais lorsque pour rétablir les finances il se trouvait entravé par les grands dignitaires du royaume, il appréhenda les mêmes entraves dans les états convoqués selon les anciens usages se voyant donc entre deux écueils, il préféra se jeter dans les bras, du peuple. L'ingratitude des parlemens avait cruellement déchiré son âme; il crut devoir compter plus sûrement sur la reconnaissance du Tiers-État qu'il protégeait si loyalement. Sa position rappelait à sa mémoire et lui faisait goûter ces paroles de Louis IX : « Je préfère l'attachement << des bourgeois, à la foi douteuse des grands. » Ce malheureux prince pouvait-il prévoir qu'il était dans sa destinée de ne rencontrer partout que des ingrats!

A peine la convocation des États-Généraux fut-elle déterminée, que la faction philosophique mit au grand jour ses principes désorganisateurs et ne garda plus aucune mesure dans ses écrits anarchiques. « Le Tiers-État est une nation

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